Chapitre huit
Un an avant l'accident
Un sourire amer déformant ses traits pour dessiner une grimace hideuse, Namjoon essayait de contenir sa colère. Cela faisait plusieurs heures qu'il patientait dans son appartement. Son petit-ami lui avait promis de le rejoindre dès la fin de ses cours. Namjoon avait alors profité de la situation pour organiser un repas romantique à la lueur de la bougie. Il avait pris le soin de commander la pizza favorite de son petit-ami dans le restaurant le plus populaire du quartier. Il n'avait pas osé cuisiner lui-même par peur de finir à l'hôpital à cause d'une indigestion fulgurante. Seokjin n'avait, évidemment, pas tenu sa promesse. La bougie parfumée à la rose s'était entièrement consumée et avait laissé dans l'air une odeur entêtante. Puis la pizza avait certainement refroidi.
Dire qu'il était en colère était un euphémisme. Cela faisait plusieurs fois que Seokjin lui faisait le coup et il commençait à en avoir marre. Namjoon le suspectait grandement de rejoindre une autre personne à la fin de ses cours. Une jalousie sourde bourdonnait dans ses oreilles et faisait bouillir le sang dans ses veines. Il avait souvent envie de hurler ses suspicions aux oreilles de son amant. Celui-ci n'écouterait certainement pas ses mots. Il ne l'écoutait jamais lorsque les choses n'allaient pas dans son sens et préférait faire le sourd.
Un long soupir quittant ses lèvres, Namjoon se redressa. Il jeta un regard ennuyé et agacé à la table dressée et traina des pieds jusqu'à sa chambre. Ses pupilles détaillèrent avec soin la petite pièce. Son lit occupait une grande partie de la pièce. Il était trop imposant, mais il n'avait jamais pu se résoudre à acheter un canapé-lit. Il avait trouvé cela contraignant et ne s'imaginait même faire retrouver une forme plus compacte à son lit alors que Seokjin vivait presque avec lui. Une minuscule commode séjournait dans un coin de la pièce. Namjoon n'avait pas énormément de vêtements. Il peinait cependant à tous les ranger dans celle-ci depuis que Seokjin avait commencé à investir ses placards. Les étagères murales n'avaient jamais été aussi remplies. Des nombreux livres s'entassaient, menaçant de les faire s'effondrer, et quelques photos de Seokjin et lui décoraient les planches.
Un rire mauvais lui échappa. Seokjin se trouvait absolument partout dans son appartement. Le plus insignifiant des objets, comme cette balle de tennis qui avait roulé sous le lit, témoignait de la présence de son amant. Namjoon se sentit suffoquer. Il n'avait jamais réellement pris conscience de son attachement pour le plus vieux. Il savait qu'il était amoureux de lui. C'était une évidence. Alors pourquoi se sentait-il si mal ? Pourquoi l'absence de Seokjin le mettait dans un tel état de colère ? Pourquoi avait-il l'impression de mourir alors qu'il était simplement amoureux ?
Des larmes de frustration coulèrent le long de ses joues alors que, pris dans un élan de rage, il fit tomber une pile entière de livres contre le sol froid de la chambre. Il ne comprenait plus ses émotions et ressentait le besoin d'expulser le trop-plein d'émotions. Pendant plusieurs longues minutes, Namjoon saccagea sa propre chambre, pleura et hurla. Il se sentait démuni et en colère. Ce fut seulement lorsque sa tête commença à le faire souffrir et que sa voix se fit plus faible qu'il cessa tout mouvement. Il se laissa choir, exténué, sur son matelas. Ses yeux finirent par se poser sur un cadre photo, brisé, qui était tombé.
Sur la photographie en noir et blanc, Seokjin l'observait comme s'il était la huitième merveille du monde. L'étudiant en littérature se souvenait parfaitement de ce jour. Ils avaient décidé de traîner dans les villes de la capitale et avaient fini par demander à un passant de les prendre en photo. Ils avaient énormément ri lorsque celui-ci les avait interrogés sur la raison pour laquelle ils souhaitaient se faire prendre en photo devant une salle de réception quelconque. Namjoon aurait tout donné pour retourner à cette période. Tout semblait tellement simple et il était moins douloureux d'aimer Seokjin.
*
Le grincement reconnaissable de la porte de l'appartement fit sortir Namjoon de son sommeil léger. Il jeta un rapide coup d'œil au radio-réveil qui surmontait sa table de chevet. Celui-ci indiquait six heures du matin. Le jeune adulte se redressa difficilement et laissa ses yeux parcourir le désordre dans lequel il avait plongé sa chambre. Il avait vraiment pété les plombs. Cela ne lui ressemblait pas.
Posant ses pieds contre le carrelage froid, il ne put réprimer une grimace. Il avait mal aux pieds. Un sourire mauvais étira ses lèvres alors qu'il remarquait les petites gouttes de sang séché qui tachaient le sol. Il avait dû se blesser lors de sa crise. Il traversa la pièce en seulement trois pas et s'adossa contre le chambranle de la porte.
Namjoon ne fut pas surpris de découvrir la silhouette sombre de son amant se dessiner dans l'obscurité de la pièce principale. Celui-ci semblait observer la table encore dressée et la pizza encore intacte dans son carton. Un long soupir s'échappa des lèvres de l'étudiant en littérature alors que ses prunelles croisaient celle, brillante, de Seokjin.
« Je t'ai réveillé ? lui demanda simplement le plus vieux en s'approchant de lui. J'aurais préféré que tu restes endormi. »
Seokjin déposa chastement ses lèvres contre les siennes et Namjoon ferma les yeux un court instant pour profiter de la douceur du moment. Il se détestait d'apprécier autant les gestes tendres de son amant. Il était supposé être dans une colère sourde contre Seokjin. Il ne pouvait pas débarquer comme une fleur et lui faire oublier sa crise.
« Où étais-tu ? le questionna-t-il alors que ses yeux sombres se rouvraient sur le visage neutre de son aîné. Tu avais dit que tu viendrais juste après tes cours.
-Une amie m'a entraîné dans une soirée juste après les cours, avoua Seokjin. J'ai oublié de t'envoyer un message. »
C'était toujours la même excuse. Il lui disait toujours qu'une amie l'avait entraîné dans une soirée et il ne pensait jamais à lui envoyer un message. Namjoon commençait à connaître cette histoire et les gestes instinctifs de Seokjin lorsque celui-ci mentait ou se sentait mal à l'aise. Il passait toujours sa main dans ses cheveux pour frotter sa nuque. Un sourire penaud élargissait ses lèvres. Et il s'approchait toujours de lui pour lui arracher un baiser. Des larmes se formèrent dans ses yeux secs alors que Namjoon remarquait tous ces détails.
« Arrête de me mentir, murmura-t-il. Si tu as envie de me plaquer alors avoue-le. Ça sera toujours mieux que d'entendre tes mensonges.
-De quoi tu parles ? sa surprise semblait presque réelle.
-Oublie, souffla-t-il. Te parler de tout ça ne sert à rien puisque tu ne te remets pas en question. Tu ne penses jamais au mal que tout ça peut me faire. »
Les larmes tracèrent des sillons salés sur ses joues alors que, sous ses yeux ébahis, il observait le visage de son amant se transformer pour former une moue inquiète. Celui-ci tenta de poser sa main contre sa joue pour effacer les quelques gouttes, mais Namjoon la repoussa d'un geste brusque. Il avait besoin de prendre l'air, de s'échapper, de réfléchir à tout cela.
« Je sors, prononça-t-il durement.
-Il est six heures.
-Je m'en fiche. »
*
Namjoon avait déambulé dans les rues de la capitale sud-coréenne pendant une heure. Ses pas, dirigés par son inconscient, l'avaient conduit à un quartier résidentiel éloigné du trafic. Il ne fut pas réellement surpris lorsqu'il reconnut les bâtiments. Un fin sourire étira ses lèvres alors qu'il découvrait les noms sur l'interphone d'un immeuble de six étages. Les prénoms de Taehyung et Jungkook étaient écrits sur une étiquette. Il n'était pas vraiment surpris de se retrouver à cet endroit. Il avait souvent révisé dans l'habitation des deux frères pour ses examens. Il n'avait aucun doute quant à son amitié avec le plus vieux de la fratrie et appréciait énormément le manque de tact du plus jeune. Son index pressa le bouton de l'interphone et il n'eut à attendre que quelques secondes pour que la voix ensommeillée de Taehyung s'échappe du haut-parleur.
« Il est sept heures, Namjoon. J'espère que t'as une bonne raison pour venir aussi tôt.
-C'est à propos de Seokjin. »
*
« Le calcium, c'est aussi important pour les adultes que pour les enfants. »
La télévision crachait les mots d'une publicité sur les produits laitiers dans son dos alors que, assis sur un pouf confortable, Namjoon observait les deux frères. Ils étaient plongés dans une conversation silencieuse. Ils n'avaient pas besoin de prononcer le moindre mot pour se comprendre et Namjoon avait rapidement cessé d'interpréter les nombreux regards qu'ils se jetaient. Ils se mettaient certainement d'accord sur la meilleure réponse à apporter à son problème.
La simple évocation de Seokjin fonctionnait comme une formule magique aux oreilles de Taehyung. Plus puissante qu'un alohomora, elle ouvrait toutes les portes. Et, lorsqu'il avait pénétré dans l'appartement, Namjoon avait reçu une œillade aussi mauvaise qu'inquiète de la part de son camarade de promotion. Il ne put s'empêcher de se faire la réflexion que, même avec les cheveux en bataille et la trace de son oreiller imprimé sur sa joue, Taehyung restait une personne magnifique. Namjoon n'arrivait pas à la cheville de ses proches et cela lui avait arraché une grimace. Ils étaient tous gracieux. Jungkook n'était qu'un autre exemple. Avachi sur le canapé, enveloppé dans une grenouillère vert menthe, il ressemblait à un mannequin dont le boulot était de promouvoir le confort de ces pyjamas dans les magazines.
Les frères l'avaient écouté dans un silence presque religieux. Taehyung avait acquiescé à intervalle régulier et Jungkook semblait boire ses paroles. Ils l'avaient écouté parler de ses ennuyeux problèmes de couple. Puis, alors qu'il cherchait à reprendre son souffle après son long monologue, les frères s'étaient plongés dans une conversation silencieuse dont ils avaient le secret.
« Pourquoi ne pas rompre avec lui ? »
Brisant le silence de son habituel manque de tact, Jungkook prononça cette phrase qui lui fit le même effet qu'une gifle. Namjoon ouvrit la bouche pour protester, mais la referma aussitôt. Il était incapable de trouver les mots adéquats pour défendre son couple. Il ne voulait pas rompre avec Seokjin. Cela lui semblait évident.
« On sait que tu es amoureux de lui, ajouta Taehyung, mais votre relation te fait souffrir. »
*
Ce fut le moral dans les chaussettes que Namjoon regagna son appartement. Les mots de ses amis tournaient en boucle dans sa tête et le faisaient énormément douter. Était-il raisonnable de rester en couple avec Seokjin alors qu'ils se disputaient de plus en plus ? Les clés dans ses mains se faisaient lourdes alors qu'il les insérait dans la serrure. Les deux options le feraient souffrir. La simple idée de rompre avec Seokjin lui brisait le cœur. Et, il savait que s'ils restaient en couple, il finirait par souffrir.
Namjoon ouvrit lentement la porte. Il fut surpris de voir une nouvelle bougie allumée sur la table. Elle diffusait un doux parfum de vanille et éclairait la pièce d'une légère lueur jaunâtre. La pizza avait complètement disparu. L'étudiant abandonna ses chaussures à l'entrée et traversa l'appartement désert. Lorsqu'il ouvrit la porte de sa chambre, il fut surpris de découvrir la silhouette de Seokjin allongé sur le lit. Celui-ci avait rangé le désordre dans lequel il avait plongé la chambre et paraissait exténué. Même le cadre photo brisé avait retrouvé sa place sur l'étagère.
L'étudiant étouffa un sanglot alors que sa respiration s'accélérait. Il n'en revenait pas. Il avait bêtement cru que Seokjin serait retourné dans son propre appartement, mais il était resté. Il avait tout remis en place. Une douleur sourde compressa son cœur alors qu'il laissait son dos tomber contre le mur. Le plus vieux dut certainement entendre son souffle haché, car une ombre l'enveloppa rapidement. De longs doigts s'appliquèrent à dénouer ses cheveux fins et des lèvres se posèrent tendrement contre sa tempe.
« Je suis désolé, murmura Seokjin. Je suis vraiment désolé. »
Les yeux inondés par ses propres larmes, Namjoon croisa le regard de son amant. Celui-ci semblait au bord des larmes et cette vision le fit grimacer. Il avait provoqué la tristesse de Seokjin. Les doigts de son petit-ami descendirent le long de son bras et s'entremêlèrent au sien. Namjoon n'opposa aucune résistance lorsqu'il l'entraîna jusqu'au lit. Ils s'allongèrent et la chaleur familière de Seokjin l'enveloppa. Il lui murmura quelques mots doux aux oreilles.
Et, alors qu'il se laissait bercer par les promesses d'amour de Seokjin, il fit un choix. Même si sa relation le détruisait, il se promit de ne jamais quitter Seokjin.
Je crois que ce chapitre est le plus long de la fiction et je pense que c'est celui que je préfère. On approche du point de non-retour. La promesse finale est lourde de sens.
J'ai vraiment aimé écrire ce chapitre. J'ai rarement été aussi inspirée pour cette fiction. J'ai dû l'écrire en moins de quatre heures. Je pense aussi écrire un bonus uniquement centré sur le yoonjin.
J'espère que vous avez aimé votre lecture.
N'hésitez pas à me donner votre avis.
A la semaine prochaine !
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