22. Andreia
Point de vue d'Andreia
On s'est séparé et je m'égare dans les rues de ma Cité. J'ai la tête en vrac, dans un mélange gluant, de la mélasse sans aucun doute. Je ne sais plus quoi penser et je remets en doute beaucoup de choses.
Tout cela à cause de Jack.
Un grognement étouffé s'échappe entre mes dents serrées et j'avance plus vite. J'ignore les gens autour de moi, heureusement, personne ne fait cas d'un chtonien qui parle ou qui réagit seul : il y a plusieurs membres de la communauté qui ont des particularités qui permettent la communication à distance, mais également avec des plans différents. Malheureusement, ça rendait également la population moins méfiante envers tout et rien : les enquêtes sur les disparitions de Feu Follets avaient été un vrai supplice à cause de cela.
Tout et rien pouvait devenir un indice avant d'être contredit peu de temps après. Les sanctions sont peut-être extrêmement graves dans notre système de justice, mais il est encore plus difficile de prouver les torts d'un membre.
Un petit changement de température au niveau de ma main m'envahit, mais elle est aussi perceptible qu'une personne qui me touche la main ; au moins une de mes consœurs se trouve près de moi. Je lève les yeux au ciel à la recherche de celle-ci, chose qui ne dure pas longtemps. En face de moi se trouve Lilith, une des favorites de M. Inferno, et elle est accompagnée d'Abeko et Belili. Lilith est une succube, une magnifique démone des rêves et de l'essence vitale. Physiquement parlant, nous sommes similaires, mais je n'ai rien à envier à sa beauté ; Lilith est la plus belle, c'est dans sa nature de Succube. Elle possède des infimes détails qui relève son charme, sa grâce se reflète dans chacun de ses gestes et même à l'intonation de sa voix qui ensorcèle quiconque croise son regard, du moins si elle le désire. Je l'ai toujours admirée de loin, d'où la raison pour laquelle j'ai la même couleur de cheveux qu'elle, j'aurais voulu avoir les mêmes.
Par contre, Abeko et Belili, c'est plus délicat.
Ses deux-là sont des sœurs démones, mais on ne s'est jamais trop appréciées. À l'époque que je suis devenue une concubine, j'ai découvert une facette ignorée de ma nature et cela m'a rendu immunisée à leur magie démoniaque, mais ça m'a également évité d'être dans l'obligation de boire du sang de démon pour officialiser mon titre de Concubine. Ça les a mis dans une colère noire et moi j'ai découvert que ma famille possédait un lourd passif ésotérique dont j'ignore totalement l'existence.
Un passé qui m'élève à leur niveau, apparemment.
Lilith se détache des sœurs démones et elle me prend dans ses bras. Je réponds à l'accolade avec une joie sincère, elle sent si bon. J'ignore si c'est à cause de sa nature qu'on l'apprécie, mais Lilith est toujours aussi attentionnée pour chacune d'entre nous. C'est elle qui m'a aidé à comprendre mon passé et qui m'a enseigné la magie. La grande sœur idéale à l'état brut.
— Lilith, comment vas-tu ? Et M. Inferno ?
— Il m'a demandé de tes nouvelles, voilà pourquoi je me suis déplacée.
Je hausse un sourcil, surprise par la chose. S'inquiète-t-il pour moi ? L'idée me fait plaisir, mais le doute a pris racine en moi depuis ma conversation avec Jack plus tôt. Je chasse ces souvenirs et je m'exclame :
— Il désire me voir ?
— Pas forcément, grogna Abeko d'une humeur massacrante.
— Il nous a demandé d'aller te voir, si jamais tu as besoin d'aide, ajoute Belili d'une voix plus douce.
Je fronce les sourcils. Belili est subtile là où Abeko est d'une honnêteté insultante, ce qui la rend bien plus dangereuse que sa sœur dans une conversation. Je croise les bras sous moi poitrine et je réplique :
— Ça doit brûler la langue de me dire ça. Je demanderai bien un massage, mais tu serais capable de me faire un coup fourré.
Abeko éclate de rire et Belili se contente d'un sourire discret, mais très révélateur. Elles sont cinglées, mais on sait toutes les quatre qu'aucune ne peut se faire du mal ; aucune d'entre nous ne veut froisser M. Inferno à qui nous avons un immense respect pour lui.
Lilith secoue la tête sans cacher son sourire, telle une maman qui ne peut rien faire face à l'animosité entre des sœurs. L'image est très près de la réalité.
— Mais alors, Andreia, as-tu retrouvé ton suspect ? demande Lilith d'une curiosité sincère. Tu nous as dit que tu le connaissais.
— Ouais et que tu voulais te venger, renchérit Abeko d'un ton gentil qui m'intrigue.
— Dis nous que tu l'as torturé ? rajoute Belili d'un sourire glaçant. Après tout, il t'a humilié, tu dois avoir réparation.
Mon regard alterne entre les deux, et j'ignore quoi répondre. Premièrement, parce que penser à Jack me fait cogiter et j'en deviens idiote. Deuxièmement, la sollicitude des jumelles me laisse éberluée, je ne sais pas comment le prendre. Troisièmement, c'est sans doute le pire, mais je crois que Lilith sait ce qui se passe dans ma tête quand je pense à Jack ; ses yeux se mettent à pétiller, je ne suis pas rassurée.
Je détourne la tête et je lève une main.
— Euh.. Je-Je gère mes affaires très bien.
— Attends, il te plaît ? s'exclame en chœur les deux sœurs.
— QUOI ?! Non, m'écriai-je.
Sauf que mon visage me brûle tant je suis embarrassée, et encore plus lorsqu'elles se mettent toutes à rire. Pas méchamment, mais plutôt comme une copine qui découvre ton secret. Là, quelque chose cloche.
— Avant de poursuivre cette conversation, on se trouve un coin privé.
Quinze minutes plus tard, nous voilà dans une salle privée d'un restaurant de style nippon, mais les filles ne me lâchent pas et ne cesse de me cuisiner pour en savoir plus sur mon «suspect» qui me plaît. Le doute est toujours aussi bien accroché en moi. Seraient-elles impliquées aussi dans cette histoire de disparitions ? Après tout, leur apparition coïncide avec bien trop de choses pour que je ne me méfie pas de quoique ce soit, même si ça me fait mal de penser cela.
Peut-être suis-je un pion dans leur plan ?
Heureusement, je cache habilement toutes ses pensées et je les regarde sans rien laisser paraître de mon trouble. Je déguste une partie de mon repas tandis que les jumelles attendent encore des réponses à leurs questions puériles, ou est-ce pour mieux cacher leurs intentions ?
— Lilith, c'est bien Abeko et Belili qui t'accompagnent ? finis-je par demander en les désignant avec mes baguettes.
Les deux concernés réagissent à mon commentaire : la première grogne et la seconde lève les yeux au ciel avant de répliquer. Quant à Lilith, son rire cristallin résonne dans la pièce, je ne voulais pas me méfier d'elle, mais avais-je le choix ?
— Au contraire que tu sembles le croire, on ne te déteste pas, mais on aime créer des démons... Puisque nous sommes infertiles.
Un silence gênant s'installe entre nous, et ça me coupe l'appétit. Les boulettes de viande à la général tao me permettent d'éviter de les regarder ; nous connaissons toutes cette histoire, et c'est un sujet difficile pour toutes. Abeko et Belili sont des démones infertiles, elles ne pourront jamais avoir d'enfants. Les démons aiment être entourés et l'idée de la famille est importante. Le fait d'être infertile est une horreur pour eux, mais M. Inferno les a pris avec lui et il leur a permis d'utiliser leurs sangs pour participer au rituel qui fait de nous les Concubines que nous sommes. Notre grande famille a et sera toujours précieuse pour elles, je n'en doute pas, mais je ne fais pas partie de ce groupe. Je suis si différente d'elles, et je n'ai rien comme elles, je n'ai pas pu boire leur sang et devenir une démone.
Je n'ai pas eu le choix d'être qui je suis.
— Je sais que c'est dur pour vous, mais...
— Mais nous avons été en colère contre toi, parce que nous n'avons pas pu être.. «tes mères», m'interrompt Abeko. Tu es une Abiku de l'Orisha de la ruse et de la sagesse africaine, notre magie ne peut pas modifier tes origines.
— Tu es très puissante et nous te respectons, quoi que tu penses, ajoute Belili dans un sourire encourageant. Qu'importe ton apparence.
Je les regarde, mal à l'aise. Je n'aime pas parler de mes origines, je ne veux pas me souvenir de mon ancienne vie, ni comment je suis morte. Encore pourquoi j'ai été pendue et brûlée.
Je m'appuie sur le dossier de la chaise dans une attitude nonchalance. Qu'une façade, encore toujours.
— Pourquoi me dire ça ?
— Parce que tu nous évites depuis que tu as commencé cette enquête, argumente Lilith, vexée.
— Et qu'on te fait suivre depuis le début.
J'écarquille les yeux à la réponse d'Abeko, elle se contente de hausser les épaules. Belili en profite pour me voler une boulette et je m'insurge en la menaçant de mes baguettes.
— Comment ça, vous me faites suivre ?
Je suis sous le choc. Je suis suivie depuis tout ce temps et elles n'ont rien fait ? Belili termine sa bouchée et elle explique le raisonnement de cette invraisemblance :
— Pourquoi t'es étonnée ? Ça fait 10 ans que tu enquêtes, on ne t'a pas vu.
— Tu passes seulement voir M. Inferno, précise Lilith.
— Et on apprend que tu as disparu des heures, poursuit Belili en comptant sur ses doigts toutes les preuves qu'elles ont recueillie. Puis, tu es allée dans les Bas-Fonds, mais tu étais toujours accompagné d'un homme.
— Un homme qui l'a fait sourire, me taquine Lilith tout en agitant ses doigts les uns contre les autres.
La succube semble tellement heureuse de ce détail gênant, mais le plus incroyable est qu'elle n'est pas la seule. Je n'ai jamais douté qu'Abeko et Belili puissent penser ça de moi, elles sont si sanglantes et psychopathes que je ne me suis jamais intéressée à elle, cependant, je me demande si je ne me suis pas plantée sur toute la ligne. Elles ne sont pas du tout comme je l'ai toujours cru, et je me sens bête d'avoir douter d'elles, et même de M. Inferno.
Et si elles sont réellement mes alliées ?
Je laisse tomber mes baguettes sur la table et ça attire leur attention. L'ambiance s'alourdit par ma faute, je le sais, mais le doute me consume. Le bruit de chaises qui raclent le sol me parvient et je suis entourée de leur bras. Elles me serrent contre elle et elles me murmurent :
— On est là pour toi, Andreia, me dit Lilith, une main dans mes cheveux.
— Tu peux te reposer sur nous, poursuit Belili contre ma tempe.
— Tu n'as pas à te cacher derrière un masque avec nous, me rassure Abeko.
La peur et le doute m'étouffent, je ne sais pas quoi faire, ni quoi penser. Je m'agrippe à elles, j'ai peur de flancher, j'ai si peur de me tromper que j'en tremble. Jack ne me fait pas confiance, la Lanterne non plus, mais je sais qu'ils sont en danger ; pourtant, j'ignore si je peux dire ce que je sais à mes consœurs.
— Ne te cache pas derrière ta magie, montre-nous ton vrai visage, me murmure Lillith.
Les larmes ruissellent sur mes joues et je libère ce sort. Mon apparence illusoire fond jusqu'à révéler ma véritable apparence. Une apparence que j'haïs, parce que je n'ai pas la beauté de Lilith, que personne ne trouve jolie une femme comme moi. Me coiffer est horrible et je suis éternelle dans leur ombre, mais elles sont gentilles. Elles caressent mes cheveux que j'hais tant et je murmure :
— Je vais tout vous raconter... Tout.
Et c'est ce que je fis. Je leur ai tout dit : sur Jack, sur les disparitions, mes doutes, les Feu Follets, ce que j'ai fait, mais aussi comment je me sens dans tout ce bordel.
°°°
Boum, fin de chapitre très mystérieux sans savoir sur quel pied nous dansons. Qu'a dit exactement Andreia aux Concubines ? Sont-elles de confiance ?
Et vous, qu'en pensez-vous ?
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