Point de vue de Jack

Andreia est dévastée, à des milliers de lieux de moi et je ne sais pas quoi faire. J'ai l'impression d'être dans l'œil d'une tornade, le fracas est assourdissant, mais rien ne m'atteint réellement. J'aurais cru que toutes ses émotions allaient m'envahir comme les fois précédentes, mais là, je ne suis que spectateur.

D'un côté, c'est mieux, d'un autre, c'est pire.

J'ai beau la tenir entre mes bras difficilement, elle ne me voit plus ; je n'existe pas. Elle est une loque, l'image d'un béluga entre mes mains me vient, mais je la rejette ; c'est méchant et c'est trop proche de la réalité. Je lance un regard à Alice qui est restée silencieuse.

Je serais tenté de croire que c'est par respect, mais je ne me risquerais pas ma main. La nymphe veut quelque chose, c'est bien évident.

— Alice ?

— Tu te doutes que la présence de Ban n'est pas anodine, se contente-t-elle de me dire en haussant les épaules. Je n'aurais pas cru avoir une telle opportunité avec ta venue et ta sorcière.

Le concerné a sursauté si fort qu'il attire mon attention sur lui ; je l'ai presque oublié. Je jette un regard vers lui, mais sa tête est baissée. Je vois la chair de poule qui l'a envie, la tension nerveuse au niveau de ses épaules et de ses mains. Ce gamin a été apprivoisé, mais il n'est pas devenu aliené. Une sensation désagréable descend dans ma colonne, une lame affilée aurait eu le même effet sur moi. Ma mâchoire se contracte si violemment que je sens l'élancement se propager jusqu'à la tempe.

— Je ne te l'achèterai pas.

Ce n'est qu'une ruse et elle le sait, mais je dois tester la réaction de la nymphe et du jeune homme derrière moi. Elle ne m'envoie qu'une brève oeillade, mais ce que j'y lis me surprend. Une fraction de seconde m'a suffi à comprendre le regard d'une vieille amante, nos corps se connaissent d'une profonde intimité. Je la regarde ahuri, je dois avoir l'air d'un poisson, mais je m'en ai la gueule à terre.

Je tourne lentement la tête vers le garçon, et je cherche un signe, un indice qui expliquerait en quoi cet enfant est si important pour la Nymphe. J'ai cru que ce n'était qu'une façade, un rôle, mais il s'agit réellement d'un enfant.

Les nymphes ont beau aimer la sexualité, une chose peut surpasser ce désir ; le rôle de parent. Ce n'est pas une question de maternité ou de paternité, c'est seulement l'ordre d'un bébé, d'un petit qui a besoin d'un parent.

Pour Alice, Ban représente un danger, une faiblesse que bien gens utiliseraient pour les faire souffrir, elle comme lui. Il n'est pas en sécurité ici, c'est ce qu'elle me fait comprendre et elle s'attend à ce que je puisse l'aider à le faire sortir. Ce qu'elle me demande est audacieux, même pour elle, mais elle m'offre également un précieux trésor : sa reconnaissance.

Cependant, je ne suis pas certain de vouloir prendre le risque de nous diriger vers une relation de confiance. C'est une chose de baiser, d'être intime avec le corps, mais intime dans la psyché, au plus profond de nos secrets ; c'est très effrayant pour moi.

Avant de prendre une quelconque décision, je dois confirmer une information, mais je ne me suis pas attendue à être devancé :

— Quand as-tu compris qui je suis ?

Je baisse les yeux vers Andreia. Sa voix est lasse, épuisée, mais ses yeux brillent d'une lueur défi. Je souris, rassurée de la voir reprendre du poil de la bête. La colère n'est pas la chose la plus appréciée, mais elle est bien plus rassurante pour moi que l'inertie du chagrin ou de la peur.

Alice lève les yeux au ciel, exclamant son évidence :

— Parce que Ban me l'a dit, il t'a touché et j'ai compris ta nature. Je te l'ai dit : il n'y a pas beaucoup de sorcières de ton gabarit. Concubine.

Du respect se dégage derrière la tirade hautaine d'Alice, c'est plutôt inusité de sa part ; mais bon, je présume qu'elle apprécie minimalement Andreia.

— Je casse l'ambiance, mais on doit y aller, Alice.

— Et j'accepte de faire quitter Ban, ajoute la sorcière entre mes bras.

Je la vois se tourner vers le jeune homme qui lève la tête avec incertitude. Elle lui fait un sourire si doux qui me laisse sans voix. Elle lui prend la main et la serre avec une douce fermeté qui tranquilise le gamin. Mon regard s'alterne entre les deux filles, elles seraient très bonnes copines dans une autre situation.

Alice sourit chaleureusement et se joint à cette infusion ; moi, je suis la quatrième roue du tricycle, je me demande ce que je fous là. Je sers de décoration ou quoi ?

Je les laisse à leur effusion d'amour, sans m'y impliquer ; ce n'est pas moi qui décide sur ce coup de toute façon. L'important est que tout allait sortir de cet endroit avec un avenir plus sûr, chose rare ici au Bas-Monde. 

°°°

Chapitre plus court, mais c'est la fin de la première étape de l'enquête de Jacke et Andreia.

Demain, nous allons tombés sur la deuxième étape, plus sombre, plus flou, mais la question est : est-ce que les prochains événements vont rapprocher ou éloigner ces deux-là ?