10. Jack
Point de vue de Jack
Je souris en reconnaissant les lieux ; après une demi-heure à marcher, nous voilà enfin chez moi. Bon, à première vue, ça n'a rien de glorieux. Nous nous trouvons en pleine forêt, plus précisément dans des zones marécageuses. Une désagréable odeur d'eau stagnante flotte dans l'air, la lumière perce difficilement ici, créant une fausse impression d'intemporalité. Heureusement qu'il fait plus frais ces derniers temps, sinon, nous aurions eu le droit aux moustiques.
Par contre, quelque chose me chiffonne.
Pourquoi vouloir me faire venir ? Un esprit Feu Follet s'est manifesté dans la cité, et même si pour la plupart des gens, même pour les Chtoniens, ce n'est qu'une flamme, ce n'est pas le cas pour les miens. Chaque flamme est différente, et nous communiquons de cette façon. Les changements sont subtils et le code semble compliqué pour tout «étrangers» à notre petite communauté, même si je suis le seul membre humanoïde des Feu Follets. C'est ma lanterne qui m'a permis de trouver ce foyer dès plus étrange, mais maintenant, nos différences sont invisibles entre nous. Même si je ne suis pas un Feu Follet comme eux, que j'ai été un humain et que j'ai gardé cette enveloppe, je suis l'un des leurs et ils sont les miens.
Cependant, ça n'explique pas pourquoi ils m'ont convoqué avec Andreia ? Les Feu Follets savent tout, ils sont déjà au courant dans quel pétrin je me trouve. C'est plutôt risqué de leur part de faire venir une étrangère chez nous, limite insensé.
Sans doute vont-ils faire comme ils ont fait pour moi dans le passé : je ne me souviens pas comment je suis arrivé chez les Feu Follets. Peut-être en sera-t-il de même pour elle ?
Je ralentis mes foulées, je suis tout de même inquiet. Je ne peux pas baser ce raisonnement sur quelque chose d'aussi fragile qu'un oubli et je refuse de montrer le chemin à un étranger. Le trésor qui s'y trouve est bien trop précieux pour qu'une personne qui n'est pas tenu au secret puisse le découvrir.
Un changement de température me sort brutalement de ce farfouillis de pensées. Je décroche avec empressement ma lanterne et je m'exclame joyeusement :
— T'es enfin réveillée !
— Pourquoi on est proche de la maison ?
Je me marre en entendant son ton somnolent, mais je n'ai pas le temps de répondre que sa flamme s'agite momentanément et elle n'est pas la seule à l'avoir ressenti. Je cesse de marcher alors que je sens l'intention de Brasier me traverser, mais Andreia ne sait rien. Elle s'arrête à côté de moi et elle demande :
— Pourquoi t'arrête tu ?
— Parce que nous sommes arrivés, répondis-je simplement.
Je n'ai pas le temps d'en dire plus que ma lanterne change de forme devant nous et elle prend une des formes originelles. Une silhouette humanoïde de feu se dresse sous nos yeux plissés, quoique dans mon cas, je suis moins gêné qu'Andreia par ce changement de luminosité. Elle se protège les yeux de sa main, mais il est trop tard, quelqu'un surgit derrière elle pour lui poser un bandeau sur les yeux. Elle glapit de panique, mais je lui saisis les main pour l'empêcher de se débattre.
— Calme-toi, ce n'est pas un ennemi.
— Dis le mec qui m'a attiré dans ce trou, couine la sorcière.
Je la sens trembler et j'ai l'intuition qui me souffle qu'elle pourrait paniquer. Brasier finit de faire le nœud et il me salue d'un mouvement de tête auquel je réponds en faisant de même. Puis, je souffle et j'explique à Andreia :
— Tu ne dois pas voir le chemin, ni l'endroit où nous allons.
— Et c'est censé me rassurer ?
— Soit dont reconnaissant d'avoir été invité dans ma famille, sale peste, peu peuvent se vanter d'être aller chez les Feu-
Andreia semble se calmer d'un coup, au moment même où elle s'écrit :
— Les Feu Follets ? Je vais vraiment être chez eux ? Ce n'est pas une blague ?
J'ose sourire, attendri par sa réaction et le fait qu'elle ne peut voir ma tête. Elle est toute excitée par la perspective de se faire inviter chez les miens. Elle piétine le sol, ses mains s'agitent comme si elle cherchait à se saisir de quelque chose, mais je ne crois pas qu'elle puisse l'enfermer entre ses mains.
Après tout, il existe toutes sortes de trésors.
Je cesse ces pensées et je tire doucement sa main.
— Allons-y, on nous attend.
Je vois l'hésitation la reprendre, mais elle me suit docilement, chose étrange de sa part. Je n'ai pas l'impression que ce soit la même sorcière que j'ai taquiner deux siècles plus tôt ni la garce qui d'il y a quelques heures. J'ai vu une teigne, mais là, elle me paraît douce et agréable. Je sais qu'elle m'en veut ; à cause de sa magie, je peux sentir les intentions à mon égard. Je sais qu'elle me hait, je sens ces démangeaisons en permanence au niveau de la marque et j'ai la sale sensation de me faire corrompre par elle. J'ai de la misère à différencier mes ressentis des siens, le tout s'emmêle et se parasite sans que je ne puisse y faire quoique ce soit.
C'est embêtant de la trouver aimable tout en devant supporter cette haine sous-agent qui me rappelle ce qui s'est passé dans la ruelle. Elle a été une vraie garce, ignoble, je n'avais plus ressenti pareille douleur depuis mon ancienne vie en tant que mortel. L'impression d'avoir le bras ligoté par un fil d'acier qui chercherait à me sectionner le membre, les sens que je perdais et l'illusion bien trop vive d'être du verre brisé qui crisse au moindre mouvement.
Une douce chaleur m'envahit, oblitérant momentanément le reste et je souris d'apaisement.
— Merci, ma lanterne.
Un rire satisfait et joyeux retentit autour de nous, puis nous pénétrons un terrier jaillit de nul part. La tourbière disparaît autour de moi et nous voilà ailleurs, à la maison. Les marécages laissent place à des landes et des plaines scandinaves. De la neige éternelle peut se voir ici et là, des cours d'eau frais égayent les lieux et le vert tendre des herbes affirme l'aspect divin de ces contrées. Une odeur de pluie et d'iode fraîche chasse l'odeur d'eau stagnante et je prends une profonde inspiration de pur délice.
Les vieilles traditions l'appellent Sidh, l'Autre Monde, ce qui est plutôt correct comme définition. C'est carrément un autre monde, loin de l'agitation humaine ou même chtonien.
Des membres de la communauté s'approchent, curieux par l'attroupement que nous sommes, Brasier, Andreia et moi. Cela attire bien du monde et tout le monde s'empresse de me saluer et d'observer l'étrangère. Tout le monde parle en même temps, la plupart pour décrire l'invitée, mais quelques-uns s'approchent de moi pour me saluer.
— Te voilà, Torche sur deux pattes !
— Encore ce surnom ridicule ? grogné-je en roulant des yeux.
— Ça te va comme un gant, pourtant, réplique Brasier.
— Euh... À qui tu parles, Jack ?
— Oui, qui est-ce ? demande un jeune feu follet, retournant la question de la femme à mes côtés.
Je me tourne vers la sorcière. Sans voir son regard, je vois très bien qu'elle est larguée par la situation. Elle entend, mais elle ne peut pas saisir ce qui se passe réellement autour d'elle.
J'entrepris donc de tout lui expliquer.
— Celui qui m'a surnommé «Torche sur pattes», c'est Calcifer, un parent de ma Lanterne et lui qui a dit que ce surnom débile m'allait comme un gant, c'est Brasier, le chef de Famille des Feu Follets. C'est également lui qui a mis le bandeau sur tes yeux dans la forêt.
Je tire sur sa main pour qu'elle s'approche et je poursuis :
— Par contre, personne ne nous a expliqué pourquoi je suis ici et pourquoi tu as été invité également.
Je plisse les yeux vers Brasier qui penche la tête d'un air nonchalant. Je sais qu'il sait maintenant pour les capacités d'Andreia, mais je ne comprends pas sa décision. Un simple bandeau peut vraiment l'empêcher de connaître les lieux ? Mais encore, ça n'explique pas pourquoi nous sommes tous les deux ici, alors que c'est elle qui m'a marqué de son maléfice. Elle représente tout de même un danger pour nous tous.
— C'est simple, Jack : tu as rencontré Will O'wisp, la Sorcière sait des choses et nous manquons de temps. La rumeur comme quoi nous sommes traqués n'est pas qu'une rumeur, c'est un véritable problème.
Un frisson me dévale la colonne et elle est presque douloureuse, mais elle s'ajoute à celle d'Andreia qui me parasite.
— Nous avons des questions et nous voulons des réponses. J'espère que tu comprends, Sorcière, que ta coopération n'est pas optionnelle.
Je lâche la main de la Concubine comme si elle me brûlait. Bien sûr que j'avais entendu les rumeurs, mais ça fait tellement longtemps que je ne suis pas rentré. J'ignorai que ces murmures n'en étaient pas et je commençai à me méfier de la femme qui m'a marqué. Avait-elle tout prévu ? Désirait-elle s'en prendre aux miens et à nos trésors ?
Je saisis Percheron, mon marteau et je regarde Andreia, une ennemie dans ma maison.
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