27. Rentrée des classes
Jeudi 1er septembre 2016
Quand le réveil a sonné, je l'aurais bien balancé contre le mur.
Problème : c'était mon téléphone et j'aurais eu du mal à négocier l'achat d'un nouveau avec mes parents.
Par contre, quand Léa a allumé la lumière de ma chambre, j'ai vraiment failli le lui lancer sur la tête et je me suis retenue de justesse.
— Allez, Alice, c'est le grand jour ! Fini l'ennui, revoilà les amis !
Elle était vraiment montée sur ressort. Faut croire que la rentrée, ça lui donne la pêche. La veille, son collège avait publié sur internet la composition des classes. Léa avait été la première à s'en rendre compte et avait passé la soirée à piailler avec ses copines, pleurant de joie ou de tristesse, selon les cas.
Au petit déjeuner, entre deux bouchées de tartine, elle nous a refait le résumé des évènements, comme si on ne l'avait pas assez entendu hier soir.
— Et toi, Alice, tu sais avec qui tu vas être ? a demandé ma mère qui devait en avoir marre d'entendre ma sœur rabâcher les mêmes histoires.
— Non. Toute façon, je ne connais personne, au cas où tu aurais oublié...
— Dis pas ça ! s'est exclamée Léa. Tu vas sûrement être avec certains de mes amis qui étaient en troisième. Tu vas voir, ils sont super sympas. En plus, je leur ai parlé de toi !
Je lui ai lancé mon regard qui tue numéro 3. Celui qui veut dire « mais tu peux pas la boucler ? »
C'est vrai quoi, j'avais presque réussi à oublier que je risquais de tomber dans la même classe qu'Anthony Mitchelli, et elle m'y refaisait penser ! Et puis, qu'est-ce qu'elle leur avait dit à mon propos ? Je déteste quand les gens en savent plus sur moi que moi sur eux.
— Au fait, tu as bien renvoyé le formulaire pour les cours exploratoires, m'a demandé ma mère. Tu as pris quoi ? Les méthodes scientifiques ? Ou les sciences de l'ingénieur ?
— Heu... Non. On peut s'inscrire sur place en arrivant aujourd'hui. Je rependrai peut-être les cours d'informatiques, comme l'année dernière...
Ma mère a pincé les lèvres mais n'a rien dit. Est-ce qu'elle se doutait que j'avais fait exprès de ne pas renvoyer le formulaire, en espérant qu'aujourd'hui il n'y ait plus de place dans ces matières-là et que je sois obligée de prendre, au hasard, Littérature et Société ?
En vrai, je ne suis pas sûre que ça me plaise davantage. Il y a moyen que ça soit bien barbant, selon ce qu'ils nous forceront à lire. Mais, au moins, il n'y aura pas de math !!!
J'ai bien le droit à un peu de répit avant d'entrer en S, non ?
— Et sinon, laquelle de vous deux veut que je l'amène à l'école ? a demandé ma mère avec entrain.
D'un même mouvement, Léa et moi, on s'est tournées vers elle et, par la force combinée de nos deux regards, on a fait fondre tous ses espoirs.
— Tu sais, elles sont grandes, maintenant, ces petites, a fait mon père. Tu veux pas leur mettre la honte, quand même ?
Ma mère a levé les bras en signe de reddition et nous a laissées finir notre petit déjeuner pendant que mon père nous embrassait sur la tête et nous souhaitait une bonne rentrée avant de filer à son travail.
***
J'ai retrouvé Gab devant son immeuble, comme d'habitude, et je lui ai raconté la mésaventure avec ma mère.
— Elle croyait vraiment qu'on allait la laisser nous amener à l'école, tu te rends compte ?! À la rigueur, si mon père m'avait proposé de me mener à l'école en Harley, j'aurais peut-être dit oui.
— Moi, j'aurais bien aimé que ma mère me le propose ce matin. Bien sûr, j'aurais refusé. Mais ça m'aurait fait plaisir, je crois. Quant à mon père...
Là, il a dû surprendre mon air figé, mes yeux ronds ou encore ma grimace étonnée parce qu'il s'est mis à rire.
— Ha ha ! Je sais pas pourquoi je te raconte ça. Laisse tomber !
— Il n'y a pas de soucis, hein, tu peux m'en parler si tu veux, ai-je tenté.
— Une autre fois.
Même pas la peine d'insister. C'est toujours « une autre fois » quand il s'agit de son père. J'aurais dû m'empêcher de faire cette tête-là. Mais c'est tellement rare qu'il en parle que j'ai été surprise, aussi !
On est passé devant un resto chinois et ça m'a donné une excuse pour changer de sujet :
— J'ai envie de manger des sushi à midi, ça te dit ?
— Ai-je le choix ?
— Ha ha ha ! Bonne réponse !
Il est pas très difficile niveau bouffe, quand même, Gab. Bon, bien sûr, je ne lui ai pas dit que je comptais aller au fameux resto Sushi Two...
Tout en papotant, on s'est retrouvés devant le lycée. Arrivée qui coïncide inéluctablement avec la formation d'une petite boule d'anxiété juste là, au creux du ventre. Ça m'a toujours fait ça. En général, ça commence quand l'établissement est en vue et ça s'arrête étrangement lorsque j'entre en classe. Mais aujourd'hui, la boule était un peu plus grosse et plus douloureuse que d'habitude. Savoir que j'allais être dans une nouvelle classe où je ne connaitrais personne me tracassait et même la présence de Gabriel ne réussissait pas à me rassurer.
Devant les grilles, j'ai reconnu quelques têtes. Des personnes de ma classe de l'année dernière, d'autres qui étaient dans des classes supérieures et que j'avais croisé. Dans tous les cas, je ne leur avais jamais leur adressé la moindre parole. Je reconnaissais aussi quelques filles que j'avais vu traîner avec Léa. Certains fumaient, d'autres riaient très fort. Tout le monde était bien habillé. D'ailleurs, même Gabriel avait fait un effort. Il avait un jean noir et un T-shirt neuf où on pouvait lire "Hellfest 2016" et, fait rare, il avait attaché ses cheveux en queue de cheval.
Dans la cour du lycée, les groupes habituels s'étaient créés. Beaucoup de gens se connaissaient déjà et semblaient ravis de se retrouver pour se raconter les vacances. Seuls quelques nouveaux faisaient un peu bande à part. C'était facile à remarquer, ils étaient les seuls qui perdaient leur temps à regarder le panneau d'affichage ou à consulter leur téléphone toutes les trente secondes d'un air inquiet. Bref, rien à signaler.
— T'es sérieuse ?! a fait soudain Gab, en me donnant un coup de coude.
— Hein ? Quoi ?
— Tu viens de dire « hum hum ». Ça veut dire « oui, moi aussi », selon mes compétences très poussées en traduction de langages d'ado irresponsable.
De quoi parlait-il déjà ? Du nouveau groupe de métal qu'il avait découvert, de sa super stratégie à je ne sais quel jeu ou bien du dernier Pokémon qu'il avait capturé ? Peut-être qu'il m'a parlé de tout ça. J'avais ponctué son monologue de quelques « hum hum » que j'avais espéré bien placés.
— Et là, s'ouvrent à toi deux choix : soit m'avouer que tu n'écoutais pas un traitre mot de ce que je dis depuis tout à l'heure, soit accorder une confiance aveugle concernant ma dernière idée de génie et accepter ma proposition. Attention à ce que tu dis, car de ce choix dépendra ton avenir !
— Dans les deux cas, tu sous-entends que je n'ai pas écouté ! ai-je protesté.
— Parce qu'en temps normal, tu aurais répondu quelque chose comme « même pas en rêve », « jamais de la vie » ou « quand les Pikachu auront des plumes ».
— Pourquoi tu demandes, si tu connais ma réponse ?
Il a haussé un sourcil et croisé les bras.
— Pour voir si tu m'écoutais ou pas.
— C'était quoi ta proposition ? ai-je demandé, mi-coupable mi-méfiante.
— Faire partie du groupe de rock que je compte créer cette année.
— Sérieux ?
— Yes !
Mon regard a soudain été attiré par une agitation à l'entrée de la cour du lycée.
— Alors... ? a insisté Gab
— C'est ok... Je peux faire ton garde du corps, si tu veux, ai-je répondu sans réfléchir.
— Ha ha ha ! Alors celle-là, tu me l'avais jamais faite ! Pas mal du tout. Je penserai à toi si le besoin se fait sentir. J'imagine que tu accepteras les règlements en Nutella ?
— Hum hum...
Quelqu'un venait d'entrer dans la cour, et il captait l'attention de tout le monde. Poignée de main ou accolades amicales pour les gars, deux bises pour les filles, deux pas de danse avec son meilleur pote. Une ou deux blagues au passage. J'étais trop loin pour entendre de quoi ça parlait, seuls les gloussements des filles parvenaient jusqu'à moi. Anthony faisait son entrée au lycée comme s'il en était le roi et qu'il connaissait tout le monde, alors que c'était la première fois qu'il y mettait les pieds. C'était quoi son truc ? Son sourire Colgate ? Sa coupe de kéké à la mode, rasé sur les côtés avec une mèche sur le dessus (Il parait que ça s'appelle « undercut », moi, j'aurais dit « tête de c** ») ? Sa peau hâlée comme s'il avait passé des vacances dans le lieu le plus branché de la planète ? Le fait qu'il mesurait près d'une tête de plus que presque tout le monde ? Sa démarche assurée, comme si la cour de récré lui appartenait ? Sa tenue louche jogging-blouson noir ?
— Mais c'est quoi cette manie de toujours porter un blouson en cuir ? Il fait même pas froid ! me suis-je exclamée.
C'est vrai quoi ! Même moi, je n'avais pas mis mon sweat Batman. Pourtant, si j'avais pu le prendre, ça m'aurait réconfortée un peu. Peut-être que lui aussi, c'était son blouson porte-bonheur ?
— C'est sans doute pour faire baver les filles... a répondu Gabriel. Comme toi.
— Mouais... Heu... QUOI ?!
Je me suis retourné vers Gab. Il avait son petit sourire en coin, celui qu'il fait chaque fois qu'il croit être drôle à mes dépens. J'ai plissé les paupières et j'ai pointé deux doigts vers mes yeux.
— Tu vois ce regard, Gab ? C'est pas de l'admiration. C'est le regard méfiant et lucide de l'héroïne qui surveille son ennemi.
— Ouh ! Mais c'est que tu ferais presque peur... T'as du Nutella, au moins ?
— C'est toi qui devais m'en apporter !
— Pourquoi toujours moi ?
— Parce que ma mère veut pas en acheter et...
— Hey ! Salut, Gab !
C'était Ari, le délégué de notre classe l'année dernière. Ari, le gars qui fait des fêtes où je suis jamais invitée. Ari, le gars qui ne me dit jamais bonjour. Mais ça tombe bien, ça m'évite de me forcer.
Il a serré la main de Gab et je les ai laissé discuter entre eux pour reporter mon attention sur mon « ennemi » en train d'amuser la galerie. Je l'ai vu donner une tape sur l'épaule de son pote et indiquer une direction d'un hochement de tête. J'ai su tout de suite qu'il était sur le point de mettre à exécution le clou de son spectacle. Un truc pour rendre inoubliable son one man show matinal. Montrer à tout le monde qui est Antony Mitchelli. On sent ça quand on fait partie des non populaires. Appelez ça mon radar anti-embrouilles. Il a d'ailleurs été plutôt efficace jusqu'à présent puisque, même si je ne suis pas super estimée dans ma classe, je n'ai jamais été bouc émissaire ou souffre-douleur.
Anthony a fait quelques pas, comme s'il se dirigeait vers les toilettes, mais au moment où il a croisé une fille, il lui a fait un croche-patte. Le truc basique. Même pas intelligent. Même pas marrant. Mais les autres, ça les a fait rire de la voir tomber. Ça les a encore fait plus rire quand Anthony a fait semblant de s'inquiéter pour elle et lui a tendu une main. Oscar du pire comédien de tous les temps.
J'ai retenu mon souffle quand la fille a levé le bras pour attraper la main d'Anthony.
« Oh non... T'es morte pour les trois prochaines années, ma pauvre... » J'ai pensé avec tristesse.
Et ensuite, j'ai pas compris. J'imaginais qu'il allait lui lâcher la main au dernier moment, ou un truc du genre, afin de faire redoubler les rires de sa clique. Mais non. La fille s'est levée en s'aidant du bras d'Anthony. Elle a dû dire un truc parce que les autres ont ri, mais pas Anthony qui a juste haussé les épaules d'un air faussement désolé. Est-ce qu'elle avait réussi à le ridiculiser ? Franchement, si c'est le cas, cette fille est mon idole.
Enfin, c'est ce que je me suis dit avant qu'elle ne se retourne et que la reconnaisse. C'était Camille. La fille du cours de musique de Gab !
— Gab ! T'as vu ça ? Il... Il... Elle... C'était... T'as vu ?
— 'Tain, Alice, ça te réussit pas l'amour, on dirait ! il a fait en secouant la tête d'un air navré.
— Mais arrête avec ça !
Et la sonnerie a retenti.
— Allez ! À plus ! Bon courage avec ta nouvelle classe, ma vieille ! a lancé Gab en s'éloignant pour rejoindre les élèves de première.
J'ai soupiré. Je n'avais plus d'autre choix que de rejoindre le groupe des nouveaux élèves de secondes. Je ne voyais pas quoi faire d'autre que prier :
« Pourvu qu'Anthony ne soit pas dans ma classe ! S'il vous plait, pourvu qu'il ne soit pas dans ma classe... »
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