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Le jour fatidique de ma rentrée scolaire au collège est arrivé.
Lorsque je sonne à la porte de la voisine qui doit me convoyer à l'école, mes cheveux sont toujours longs, ils dépassent largement mes épaules, mon T-shirt est toujours aussi informe.
Je porte un jean délavé par l'usure et rapiécé à coup de patchs thermocollants qui sont complètement hétéroclites et disparates. Mes pantalons sont souvent trop larges, celui-ci est trop court et laisse un vide comique entre le bas des jambes et le haut de mes baskets élimés par les escalades de mon arbre.
Lorsque la femme m'ouvre, elle a immédiatement ce regard appitoyé qu'elle a eu sur moi la première fois. Je suis le même loqueteux sauvageon, la seule différence avec notre première rencontre, c'est qu'au moins ce matin, je suis propre.
Elle me sourit joyeusement et m'indique simplement :
— Les filles sont là-haut, tu peux aller les voir et les attendre !
On est censé se rendre à l'école, je suis hyper ponctuel, du coup il est 7 h 15 au lieu des 7 h 30 convenues, mais je ne comprends pas pourquoi je dois aller dedans pour « voir » les filles, mais ne sachant quoi répondre, je m'avance à l'intérieur.
Leur maison est récente et ultra moderne, son tour est fait de bois exotique et de chrome, on dirait une sorte de yacht échoué sur un écueil de pelouse.
Le grand salon est sur plusieurs niveaux, il a un espace multimédia sur lequel il faut descendre de quelques marches pour arriver au canapé et s'asseoir, je trouve ça assez casse-gueule, mais j'adore que toutes les surfaces soient en bois. La décoration est très épurée, on respire, c'est d'un art moderne classieux. C'est très haut de plafond, car le grand escalier en colimaçon avec sa rambarde scintillante de chrome tourne jusqu'à une mezzanine à l'étage.
À côté de l'escalier, il y a une sorte de grande pièce surélevée de deux marches, c'est un bureau ouvert sur le salon, de gigantesques puzzles représentant des dessins de Royo sont encadrés sur les murs, un bureau très moderne trône au milieu de la pièce, il y a un ordinateur dessus avec son moniteur en plastique gris à la taille disproportionnée.
Je me demande quels jeux peuvent tourner dessus tout en montant l'escalier. Il débouche à la perpendiculaire d'un couloir.
Sur la droite, deux portes se font face sur chacun des pans de murs et les sons qui s'épanchent des deux portes se faisant face me révèlent que ça doit être la chambre des nanas, qu'il y a une engueulade en cour ou je ne sais pas quoi et qu'elles s'envoient des noms d'oiseaux à travers le couloir. Au fond de ce dernier, une porte ouverte dévoile une salle de bain luxueuse remplie de vapeur d'eau.
La partie gauche du couloir est aussi la mezzanine qui donne sur le salon en bas. Aucune porte du côté mur, mais un petit bureau en ébène est appuyé au centre. Il y a une petite télé dessus et sur le mur derrière tout un tas de cadres de photos de famille.
Dans le fond du couloir se trouve une porte très large en bois massif, elle est close, je me doute que c'est la chambre parentale.
Je grimpe les dernières marches et je me tiens au milieu du couloir ne sachant que faire.
Laetitia sort de sa chambre pour réclamer quelque chose dans celle de sa sœur, elle est simplement vêtue d'une serviette qui l'enserre au-dessus de sa poitrine, c'est très court en bas, je peux presque voir le début de ses fesses, je n'avais jamais vu ça en vrai et ça me plait beaucoup.
Victoria ouvre sa porte, elle ne porte qu'un t-shirt long qui recouvre une petite culote... Ou peut-être rien qu'en sais-je... Je déraille déjà.
Son regard tombe sur moi dès qu'elle a donné ce qui est apparemment un sèche-cheveux à sa sœur. Elle crie et ferme sa porte brusquement.
Laeticia se tourne vers moi, je ne sais pas si j'ai fait quelque chose de mal, j'ai très peur qu'on me jette dehors, mais lorsqu'elle s'avance vers moi, c'est avec le sourire. Elle a pris soin de rabaisser un peu d'une main sa serviette, pour ne pas que je vois sa minette, mais elle n'a pas l'air plus gênée que ça.
Elle me salue, me demande comment je vais et me donne les premières bises sur les joues de ma vie. Je suis paralysé, je n'ai même pas essayé de les éviter.
Elle me dit qu'elles sont presque prêtes et qu'en attendant, je peux jouer aux jeux vidéo.
Je me demande comment on peut être à la fois à demi nue et presque prête. L'heure de partir pour le collège me paraît dangereusement proche pour n'être vêtue que d'une serviette de bain, mais lorsque j'ouvre la bouche, c'est pour bégailler :
—Jeux video?
Elle me guide par les épaules, dans la partie parentale du couloir en direction de la grande porte close et m'installe au bureau au milieu du corridor. Elle est très douce et très prévenante, très tactile, elle sent très bien et tout ça m'est complètement nouveau, je me laisse guider sans être capable de sortir un seul mot.
Elle m'abandonne là devant l'écran, je la mets éloignée, sa serviette se détache, elle la retient trop haut au-dessus de sa poitrine, ce qui a pour effet de me révéler à moitié son cul.
Mais incroyablement, mon attention est plus fascinée par ce qui se trouve sur le bureau. Une petite TV de 36 cm à laquelle est raccordée une console de jeux, une Master System, un truc désuet sans être préhistorique, je connais sans connaître, j'ai lu des vieux magazines de jeux, immédiatement, je suis absorbé dans le premier jeu qui pop sur la TV.
Je ne sais pas combien de temps je passe à jouer à Sonic, mais je suis fasciné par les couleurs, la musique et le level design.
C'est la voix nasillarde et haut perchée d'une Victoria exaspérée qui me tire de mon univers du pixel.
Lorsque je tourne ma tête à droite, c'est pour tomber sur les deux filles côte à côte. Laeticia a ramené ses cheveux en une natte unique, elle est habillée d'une jupe d'écolière en tartan beige à rayures jaunes, ses gros seins moulés dans un t-shirt noir sont comme des fruits murs appétissants.
Victoria porte une sorte d'ensemble noir, une espèce de combinaison short/haut dont j'ai bien du mal à déterminer comment ça s'enfile, des lanières la ceint à la taille et des ficelles autour de son cou qui doivent maintenir tout ça en place. Ça m'a l'air d'une complexité exagérée, mais elle est ravissante. Ses cheveux sont encore humides.
Elle a toujours à mon encontre ce regard outré et dégoûté, comme celui qu'on adopte quand le chat vous ramène un rat crevé sur le palier.
Elles descendent l'escalier sans m'attendre, je les suis avec un temps de retard, la tête toujours perdue dans des éclats de pixels aux couleurs saturées.
Quand j'arrive en bas, elles ont déjà enfilé leurs chaussures et sont en train d'ajuster sur leurs dos des sacs de cour super fancy, des trucs modernes en simili cuir noir de collegienne à la mode et j'ai immédiatement honte quand je mets sur mon dos un cartable tout carré d'enfant de primaire qui semble être fait de carton ou de papier maché.
J'ai l'air d'un clown absolument ridicule, Victoria se moque de moi en confirmant que je ne ressemble à rien, elle me dit que je donne l'impression de sortir directement « des bois où y aurait une décharge », je commence à voir son vrai visage, elle ne m'aime pas et elle est cinglante.
Elle s'approche de moi et me renifle et lance à sa sœur que :
« En plus, il ne sent pas très bien et regarde : il est aussi grand que moi, c'est un nain, ha ha, un nain des bois. »
Je me sens vexé, ça aurait été un garçon qui m'aurait sorti ces conneries, ça aurait glissé sur moi, mais venant d'une fille, une créature si nouvelle pour moi que j'ai du mal à encore comprendre, ça me vexe.
D'autant plus que c'est faux, je suis presque sûr que je ne sens pas mauvais et je suis certain que sans les talons qu'elle a aux pieds, je serais plus grand qu'elle !
Je me renifle, elle est à quelques centimètres de mon visage, elle me sourit méchamment, elle voit qu'elle m'a touché, moi je lui demande maladroitement comment elle arrive à sentir quoi que ce soit embrumé comme elle est de son propre nuage de senteur de parfum et de savon qui m'assaille les narines.
Ça n'a rien de désagréable, mais ça, je ne lui dis pas et je réagis de la seule façon que je connais : je la pousse sèchement hors de ma bulle d'une seule main, comme on pousserait un animal inoffensif qui vous rapprocherait de trop près sans que vous en ayez envie.
Elle a un regard étonné avant de perdre l'équilibre en basculant en arrière et seule la présence de sa sœur derrière elle qui la retient l'empêche de finir le cul par terre. Elle recule ensemble de 2 bons pas.
Il y a tellement de niveaux et de sous-niveaux, de marches et de parapets et de rambardes en chrome à toutes les hauteurs dans ce salon qu'on dirait un parc de skate et je me demande comment j'ai fait pour ne pas les envoyer valdinguer et se prendre leurs talons à la con dans une de ces saillies architecturales.
Victoria fulmine et veut me rendre la pareille. Elle se redresse, laisse choir son sac au sol, et de toutes ses forces me pousse de ses deux bras, en les posant sur mon torse tout en grimaçant.
Ça n'a absolument aucun effet : je ne bouge même pas d'un seul cm arrière, ses bras se plient contre mon torse aussi dur que du béton et c'est elle qui vient s'écraser contre moi, son front cognant contre mon sternum !
Elle a laissé une main contre mon torse, mais pensant tomber son autre main, il s'est automatiquement abaissé plus bas pour rattraper une chute qui n'est pas arrivée et s'est retrouvé posé sur ma ceinture abdominale aussi dure qu'une planche de bois avant de glisser autour de ma taille.
Elle semble tellement surprise qu'elle ne prononce aucun mot, elle perd sa composition, son surmoi de petite conne avec sa morgue froide. Elle écarquille ses yeux incrédules de façon démesurée, tandis que sa mâchoire inférieure pend d'incompréhension en donnant à sa bouche une ouverture à la fois mignonne et comique.
Son visage est sous le coup de la surprise la plus totale, persuadé que mon corps devait être à l'image de mon accoutrement. C'est à son tour d'être perdu et de ne pas savoir quoi faire et à qui elle a à faire.
Je suis un clown, mais le clown passe des heures à faire du vélo et le singe dans les arbres pendant que tous les autres garçons font leurs devoirs. Je suis monstrueusement affuté, je n'en ai jamais pris conscience, mais elle vient de le faire.
Elle m'ignore, se redresse, se reprend, me tourne le dos et s'en va dans le couloir d'entrée où j'entends ses pas déterminés et trop rapides sur le carrelage sautant sur les 2 ou 3 marches qui surélèvent le hall par rapport au reste.
Évidemment, je n'ai pas compris ce qui s'est passé, mais j'ai en tout cas saisi que la froideur de la gamine n'est qu'un masque et je pense déjà qu'il est assez facile de la faire tomber. Les filles n'ont pas l'air différentes des mecs. Si elles comprennent la force et la violence, alors les mots doivent aussi être capables de les faire tomber.
Et c'est avec cette pensée que je monte en voiture. Je suis sur la place de devant, Victoria n'a pas voulu s'asseoir derrière à côté de moi, elle ne m'adressa pas la parole de tout le voyage ni une fois arrivée à l'école.
Au collège, je la perds de vue dans la cour, de toute façon, je n'imaginais pas que nous aurions quelconques interactions dans cet espace. Je suis seul au milieu de centaines d'adolescents de toutes les sections, je ne sais pas où aller, c'est la première fois que je suis entouré d'autant de monde, je me sens comme noyé dans cette mer de corps et de mouvements.
La sonnerie se déclenche, tout le monde se calme et la composition des classes se fait entendre au microphone, lorsque j'entend mon nom, je cherche l'emplacement de ma classe et la première personne que j'y voit c'est Victoria déjà occupé à papoter avec un groupe de filles qu'elle doit déjà connaître, elle a pas fait attention a mon nom quand il a été annoncé, je pense même pas qu'elle le connaisse, mais alors que je prend sa direction, sa tête se lève, et son regard tombe droit sur moi elle est impassible, mais ses yeux sont noire de rage je pense qu'elle me déteste encore plus a present.
Le collège où je suis est la continuité du primaire, ma classe est donc composée de quelques mecs de ma dernière classe de CM2.
Eux connaissent mon nom et avant même que je franchisse la dizaine de mètres qui me sépare du rang de ma classe, je les ai déjà vu chuchoter entre eux, les filles tendant l'oreille.
On dirait qu'ils ont tous déjà socialisé et tout le monde connaît ma réputation avant même que j'arrive.
Je n'ai absolument aucune chance d'être autre chose que ce que j'ai été toute ma vie, un pariah.
Je vois les nanas qui couvrent leur bouche de leur main, pouffant devant ma tenue d'arlequin.
Les mecs qui me connaissent évitent de me regarder, ils font comme si je n'existais pas, ils savent que mon ridicule n'a d'égal que la violence animale que je peux faire déferler.
Personne ne me parle ou ne me salue quand je me range dans le rang.
Lorsque nous entrons en classe, je me retrouve seul à un pupitre double au fond de la classe.
C'est le brouhaha autour de moi, je suis le seul qui reste silencieux, le seul à qui personne n'adresse la parole.
Il en sera ainsi pendant des mois.
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Merci d'avoir fait un détour dans la base de données 99.
Reviendrez vous.
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