Bleu neige.
Bleu neige.
Il y a des villes dans l'Océan. Des royaumes dans les abîmes. Des paradis engloutis.
Il y a des Nuits sur la Terre. Des Nuits où on se perd. De vraies Nuits d'Hiver.
Il y a des tables et des gens autour des tables. Il y a des enfants qui se frottent les yeux. Des adultes qui se mutilent les paupières. Et des enfants adultes qui gardent les yeux ouverts en permanence. Le jour. La nuit. Même sous l'eau.
Ils ont les yeux toujours grands ouverts. Comme des petites planètes pleines d'eau.
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TaeHyung dormait sur le lit aux draps couverts de bleu. Il avait la position incongrue de l'inconscience et la pureté sauvage de l'innocence. Il n'y avait pas de cernes sous ses longs cils. Pas d'imperfections visibles sur son épiderme, juste le petit grain de beauté caché sous le bout de son nez. Ses vêtements chiffonnés ne gâchaient rien de l'élégance tandis que ses bras tendus offraient la grandeur et la splendeur des rayons lumineux. Le soleil perçait les nuages d'aube. Les fenêtres laissaient la peinture matinale recouvrir son monde. Cachant les visages sur le papier glacé. Noyant les murs blancs de couleurs. Redessinant les ombres aux bords du lit. Faisant fléchir mes sourcils de garçon fatigué.
Il était si tôt. Il était si trouble. Dehors, dans le froid qui se frottait aux vitres, la journée embrayait son déroulement, la Nuit se retirait un temps. La Nuit s'en allait telle la vague qui n'attend que le moment propice pour engloutir les villes, avaler les déserts, décomposer la Terre dans son ventre noir. Je frottai ma peau livide de mes mains sèches. Ma langue caressait le sel sur mon palais. Celui qui s'entassait en purifiant mes entrailles. Mes doigts frôlèrent la main immense du garçon assoupi. Plus un gamin qu'un étudiant. Juste un futur nouveau né du jour se découvrant. Juste la nouvelle victime d'un nouveau froid, emmitouflé dans les anciens draps et les anciennes odeurs qu'on ne change pas. Et puis demeurait le bleu.
Le bleu partout. Le bleu même sous les nuages, sur la pierre et dans les oranges. Le bleu dans les cimetières et contre ses phalanges. Le bleu sur chaque petit centimètre de la planète. Le bleu dont j'étais enduit depuis mon aventure dans la piscine.
Je passai la porte de la chambre et foulai le sol du salon toujours aussi bien habillé. Sur le plancher s'étalait le paquet de cigarettes ouvert, ses organes tueurs se dispersant à droite à gauche. Je me baissai pour le ramasser puis le rangeai dans ma poche arrière. Et comme cette soirée là, dans cette maison là, avec cette piscine là, je récupérai ma veste et pris la porte. A la seule différence que je me fis discret en partant, épargnant le doux éphèbe qui songeait encore. Il n'y avait personne dans le corridor, pas de monstres sous les lits, pas une ombre dans la rue verglacée. Seul le silence s'étalait. Et la poussière. De la poussière plein leurs yeux. L'Hiver se muait en brouillard. Le matin se cachait derrière les buildings. Puis tous ces bâtiments gris que je voyais bleus, ceux qui venaient gratter le ciel mais qui n'atteignaient rien du tout. Un peu comme tout le monde.
Froid de chien. Tu me rends malsain.
La première heure, je marchais. La deuxième aussi d'ailleurs. J'épuisais mes jambes et usais mes chaussures. Je m'éloignais du monde, fuyais pour fuir ce qu'on ne peut pas fuir. Je courrais après moi-même et je courrais loin de moi-même. J'avançais d'un pas léger mais chaque pensée qui accompagnait le mouvement ne pouvait être plus brutale. C'était une marche indécise sous les nuées glaciales. Les mains dans les poches et le menton dans le col, je marchais dans New York. Je marchais la première et la deuxième heure.
Les gens commençaient à s'éveiller, à remuer et à gesticuler. Ils paniquaient dans la chambre, dans la cuisine et dans la salle de bain. Ils paniquaient beaucoup et surtout souvent. Chaque geste et chaque désir ne semblait avoir d'autres buts que semer la mort à coup de routine. Réveil, fringues, café, taxi, travail et la même dans le chemin inverse. Moi je passais sans but. Je passais et me souvenais de quelques choses, juste comme ça. Pour passer et passer le temps. Je marchais au bord du trottoir, sur les vastes avenues. Une d'elle était longue et familière. Certains visages me parlaient aussi. Et lui, il était pas là hier après midi ? Donc, je me baladais sur le bord du trottoir, comme courbé en haut de la falaise, à deux doigts de plonger vers le béton. Je levais les bras en croix, pour m'équilibrer ou m'envoler, je sais plus trop. Je ne faisais pas attention. Moi je pensais.
Je pensais à la semaine précédente, et à mon cours de sociologie. A ces types qui se collaient la mèche sur le crâne et qui parlaient fort en plein milieu de la classe. A ma voisine et à son fard à paupière turquoise. A mon prof et son ton nonchalant, ses histoires barbantes et ses thèmes fermés à clé. Je pensais aux arbres qu'on avait plantés dans le parc d'à côté. Je pensais à la Liberté qu'on continuait de me voler.
Puis la vaste salle devint le dortoir de l'université, mon lit superposé et la moquette qui empestait. Je voyais la table de bureau devant la fenêtre, la porte cassée de la salle de bain et les oreillers que j'oubliais toujours de laver. J'entendais mon camarade de chambre raconter sa journée et se dire mon ami. Je l'entendais parler de ses filles, ses filles et ses filles. Jamais les mêmes, jamais des belles. Toutes des copies contrefaites. Et puis il m'engueulait parce que j'avais ouvert la fenêtre. Moi je lui répétais que c'était pas de ma faute, que c'était la Nuit d'Hiver qui frappait contre la carreau. Il répliquait que c'était pas drôle. Je ne répondais rien. Il m'aurait traité de fou.
Je marchais toujours le long de l'allée, entre les passants et les voitures, funambule parmi les piétons. Je comptais les nuages et tâchais de ne pas tomber. Un pied devant l'autre. Deux mains dans le vent des bagnoles. Pourquoi il me regardait comme ça, celui-là ? Je suis pas un déséquilibré, ok ? Non ?
Puis dans mes souvenirs, j'étais assis sur une chaise dans le bel appartement familial. On était trois autour de la table trop grande. Il y avait des livres sans images incrustés dans les murs, et des photos sans paysage plantés sur les commodes. Papa racontait sa journée. Maman me demandait ma journée. Et moi je doutais. Je doutais que cet instant fût la réalité. Il y avait pas quelque chose qui clochait ? Toutefois, je n'en disais rien. Je ne disais rien. A table, avec eux ou n'importe où ailleurs, il fallait être bien. Devant mes parents j'étais bien. Je souriais beaucoup et beaucoup trop. Maman m'aimait. Papa m'aimait. C'était bien.
Arrêtez de me regarder comme ça. Je vais bien. Je suis bien. Je suis foutrement bien même.
Je marchais au rythme de la musique. Elle me revenait un peu à ce moment là. Toujours sans titre et sans auteur. Juste des notes et des paroles vagabondes. Elles accoudaient les gens mais les gens n'entendaient pas. Ils avaient les oreilles et l'esprit bouchés. Ils ne pouvaient pas voir mes souvenirs. Ils ne pouvaient pas grand chose en fin de compte. Moi, j'étais dans la cafétéria du lycée et une fille brune me toisait depuis sa table. Je la connaissais. Elle m'aidait à faire mes algorithmes quand tout était flou. Elle était gentille avec moi. Avec les autres je ne savais pas. Et elle rougissait souvent quand je lui disais merci. Sûrement qu'elle m'aimait bien. Mais elle ne me l'avait jamais avoué et moi j'étais trop brouillé pour m'en apercevoir. Et depuis sa table, dans la cafétéria, elle me toisait.
Mes yeux ne voyaient que le garçon du couloir de l'université. Le garçon adoré. La garçon idolâtré. Celui qui passait à côté de moi pour la première fois mais qui ne me remarquait pas. Qui ne remarquait rien. Le garçon qui mangeait à ma table, qui souriait à mes amis, qui saluait mon entourage, mais qui était toujours si loin. A la hauteur parfaite pour tout sentir et tout contrôler. Le garçon à l'apparence calme et sage. Le garçon idéal pour cette société parfaite. Et moi, le parasite, moi le déchet, moi le demeuré qui buvait la mer, je l'avais vu.
Lui aussi m'avait vu. Mais le mur entre nos regards avaient mis trop de temps à s'écrouler. Juste le temps que je me jette de la rambarde et qu'il perce mes orbites de ses feux rougeoyants.
Deux petits mioches jouaient devant moi. Ils avaient un cartable sur les épaules et les mêmes cheveux bruns. Ils riaient ensemble. Ils marchaient ensemble. L'un était plus grand que l'autre. Et quand ils passèrent à côté de moi, sans me jeter un coup d'œil, j'entendis qu'ils récitaient un poème. Je n'en saisis qu'un mot et pourtant.
J'étais allongé sur le sol de la chambre d'Abel, il était avec moi. Nous étions encore jeunes. Lui moins que moi. Mais c'était inévitable. Il regardait le plafond comme s'il pouvait voir le ciel nocturne de l'autre côté. Il récitait des beaux vers. Toujours les mêmes. Moi, j'écoutais en souriant. Je fermais les yeux et dormais. Puis quand je me réveillais, Abel s'en était allé. Comme toujours. Mon pied trébucha à cette pensée et quitta le rebord.
Le funambule était tombé entre les falaises. L'oiseau avait tranché ses ailes.
Après cela, je retournai sur le trottoir mais m'éloignai de la route. Je ne pensais plus. Je ne pensais plus parce que j'étais puni. Je ne pouvais plus penser parce que j'avais mal agi. Alors je marchais dans le silence radio de mon crâne. Pourtant, quelque part, dans un coin plein de souvenirs, il y avait des vers et des notes de musique. Juste la douceur de l'ouragan. Juste un écoulement soudain sur le courant des étoiles.
Et les yeux dirent, clairement dirigés dans les yeux :
De l'orient, espère, espère, il reviendra.
La cinquième heure, j'étais à bout. Épuisé, vainqueur de ce combat pour me détruire les membres, à moitié perdu, à moitié trouvé, je ne savais plus trop ce que je faisais. J'avais fini par recommencer à penser. J'avais même pensé à rentrer chez mes parents, à appeler ma mère où mon camarade de chambre. Mais cette partie raisonnée de ma personne, éveillée par la fatigue et l'égarement, avait été étouffée par tout le reste. Tout ce qui n'était pas sensé. Presque tout ce qui me composait.
Je traversai un boulevard et, passé la latence, je reconnus l'endroit. Les grands bâtiments vieillots, joliment ornementés, étaient en fait la bibliothèque. J'avais l'habitude de venir étudier ici avec les autres - ceux qui n'étaient plus et qui n'avaient pas vraiment été. Tout était imposant là-bas. Le hall et les étages, la salle au plafond haut, aux milles passerelles et aux sièges de velours. Meubles cirés et lampes de chevet. Livre aux reliures brisées et rats impossibles à déloger. Murmures et pages tourmentées. Le silence du corps mais les mots de l'âme. Je décidai d'entrer, de franchir les couloirs et d'ignorer le papier peint antique.
Il y avait du monde, des paroles à peine audibles s'infiltraient quelque part. Le grincement des chaises et les livres feuilletés ricochaient contre chaque mur de chaque rayon. Des étudiants de tous les âges, de tous les domaines se mélangeaient et travaillaient. Travaillaient et travaillaient. Je me sentais comme un intrus à me balader sans but précis, à explorer cette planète rustique. Depuis les étages, on avait une vue plongeante sur le rez de chaussée, et en m'approchant de la rambarde boisée, j'observais les inconnus. Tous. Jusqu'à être bien sûr qu'ils ne m'avaient pas vu.
Je me laissais aller, porté par l'envie et le calme des lieux, à attraper quelques poèmes au vol, à lire une page d'un roman et à le reposer pour en recommencer un autre. A me pencher sur les résumés et à imaginer les traits des personnages, leurs tics nerveux, leurs défauts malencontreux. Et puis tous les détails que l'auteur aurait oublié, comme leur couleur préférée ou leur premier anniversaire. J'essayais d'imaginer toutes ces choses, une par une et le temps passant, je me perdis. Qui était qui ? Qui se nommait comment ? Etait-ce le début ou la fin ? Je ne savais plus. Et comment aurais-je pu savoir le sens de leur histoire quand moi même je marchais à l'envers. Les miracles n'existaient que dans les livres, n'est-ce pas ?
En reposant une romance aux pages jaunies par les époques passées entre deux étagères, des lettres d'or attrapèrent mon regard. Un recueil de poèmes. Goethe.
Ainsi que le souvenir, il était revenu.
De l'orient, espère, espère...
Frissonnant sans m'en apercevoir, je passai des doigts frivoles sur chacune des pages, embrassant leur surface tendre l'une après l'autre, jusqu'à trouver la bonne. La seule. Le poème d'Abel m'avait appelé alors que ses vers se mourraient là, étouffés entre d'autres recueils d'autres auteurs. Un fin rictus fendit mon visage alors que je m'échappai des hautes étagères. En immergeant un peu plus loin, je captai l'attention d'un type las de travailler. Le menton dans sa paume il guettait un événement quelconque. J'étais là et j'étais quelconque. Et sans dire bonjour ni au revoir, je lui quémandai une feuille et un stylo. Il prit son temps pour effectuer chaque action, alors que je patientais impatient. Il finit par me tendre les objets tout en arborant une moue indifférente. Je le remerciai et m'éloignai le plus loin possible.
Je trouvai une table libre au coin du deuxième étage, juste à côté d'un escalier en colimaçon. Je m'y installai et ouvris le livre à la page du fameux poème. Poème que je lus une fois, deux fois, peut être plus, jusqu'à le connaître de nouveau par cœur. Puis je m'attelai à recopier ses mots sur la feuille de papier. Quitte à me les graver dans la peau pour ne plus les oublier. L'encre bavait un peu. Le bleu nuit coulait hors des lettres. Je ne bronchais pas. C'était toujours lisible. Finalement, je reposai la plume et laissai sécher l'œuvre. Du bout des lèvres, je murmurais les vers. D'un souffle à peine audible, je chantais ma chanson. Je fredonnais les deux, en même temps, tout aussi passionnément. C'était plein de bleu. Pour une fois c'était plus beau que triste, histoire de ne pas être aussi beau que triste. Enfin.
C'était peut être la septième heure. Je m'étais peut être endormi sur la table. Je m'étais sûrement endormi. J'avais rêvé d'Abel parce qu'il me manquait. J'avais rêvé de TaeHyung parce qu'il était beau TaeHyung. J'avais regardé l'heure sur mon vieux cellulaire, me réveillant d'un sommeil et d'une platitude rare. D'une marée paisible et non pas cruelle. J'avais cautionné le calme pour qu'il devance la tempête. Pour que celle-ci me fasse encore disjoncter. Je m'étais endormi pour oublier de penser. Mais ça n'avait pas marché. J'avais juste reculé l'échéance, allongée la latence, amoindri l'espérance.
Ce n'est qu'une fois réveillé que le rêve n'a plus aucun sens. C'est toujours la Réalité qui gagne. La Réalité et sa chienne de Nuit, fidèle dévoreuse de cœur éponge.
Embarbouillé et éberlué par la lumière déjà déclinante, je partis en laissant le recueil à sa place. Je partis d'un pas lourd, de ma démarche pesante, comme si tout l'univers s'abattait sur mes épaules mais que je n'y prêtais pas plus attention qu'à mon état pitoyable. Je marchai au ralenti dans le film de ma vie. Je passais à côté de la table du type lassé, toujours à s'ennuyer là. Je lui rendis son stylo. Je gardai la feuille pliée dans la poche de mon jean, juste à côté du paquet de cigarettes. Le type dit merci. Je ne dis rien. J'étais déjà loin. Je m'en tapais de toute façon. Tout me foutait le cafard ou tout m'indifférait royalement. Le rien me semblait soudain plus convenable, plus acceptable que d'enfoncer ma tête déjà noyée.
Lorsque j'arrivai dans le hall, des visages familiers me sautèrent aux yeux. De l'autre côté des grandes vitres, en bordure d'un parc, des garçons de l'université – pour ne pas dire des camarades, des amis, des connaissances, des proches, tout ce que vous voulez – étaient éparpillés par ci par là. Je reconnus Harry, celui qui avait organisé la fameuse fête et d'autres dont les noms m'importaient si peu. Ils discutaient vivement, riaient faussement, les mains dans les poches de leur long manteau, le sourire amère, les yeux vides.
Un peu plus loin, il y en avait d'autres et encore d'autres, répartis en petits groupes de bons copains. Je réprimais un certain dégoût et demeurais impassible. Il me fallait encore des heures de marche pour pouvoir penser à nouveau correctement. Il me fallait chercher de quoi éclairer mon esprit englouti par la fumée aqueuse de l'Océan. Je ne pouvais pas rester ici. Et à l'instant où je passais la porte, j'aperçus TaeHyung, assis à une table avec les autres, buvant un café ou je ne sais quoi dans un gobelet, le visage aussi suprême qu'à l'accoutumée. Un coup cogna mon thorax et l'envie de poser ma tête contre son épaule pour m'y reposer s'opposa au besoin de m'éloigner de ces gens. J'avalai ma salive et me détournai en direction du boulevard. Je passai au coin du grand bâtiment lorsqu'on m'apostropha.
-Jeon JungKook ?
Je m'arrêtai et fis volte face pour regarder Harry ainsi que les deux autres types s'approcher. Ils avaient les traits fins des enfants de cœur, les vêtements payés par leurs parents bourrés de fric et une allure trop heureuse dans le regard. Je les fixai vaguement jusqu'à ce qu'ils arrivent à ma hauteur. Ils souriaient. Pas moi.
-Ca alors, t'es toujours en vie ? On s'est posés des questions tu sais. Quand on a vu que tu avais sauté dans la piscine, on était tous béats. Non mais franchement, tu vas pas bien dans ta tête ? T'es suicidaire, c'est ça ?
Suicidaire. Je hais ce mot. Je hais ce mot. Je le hais. Je le hais. Je le hais.
-Eh. Réponds ! T'as entendu ce que j'ai dit ? Il faut en parler si tu as des problèmes.
Des problèmes. C'est pas vous qui avez des problèmes ? Ils sont heureux ces types là ? C'est pour ce bonheur là que je me bats ? C'est ce genre de modèle qui me guide ?
-T'as pas l'air bien. Tu t'es drogué c'est ça ? T'es tombé si bas ? Moi, les suicidaires je peux pas les supporter. Ils sont faibles et égoïstes. Ils pensent qu'à leur petite tête et à la Mort avec un grand M. Ca me dégoûte. Vous pouvez pas faire comme tout le monde et vivre la Vie.
Je vais te la faire manger ta Vie avec un grand V. C'est toi qui me dégoûtes. Tu me dégoûtes. Tu me dégoûtes. Tu me dégoûtes. D'ailleurs c'est quoi ta Vie ? Et ta Vie est-elle vraiment la Vraie Vie ?
-Si tu veux aller te jeter d'un pont fais-le. Personne ne peut aider les lâches, c'est vrai ça. De toute façon j'ai toujours su que t'avais pas tout à toi. Toujours dans la Lune, toujours à dire des choses bizarres, toujours à parler de son frère. Réveille-toi JungKook, t'es un adulte maintenant.
Parlez pas de Lui comme ça. Parlez pas de mon frère comme si vous le connaissiez. Personne ne connaît Abel. Personne. Personne sauf moi. Lui au moins, s'il était là, il serait venu m'aider, il leur aurait dit de se la fermer gentiment, poliment, normalement et il m'aurait emmené loin. Sauf qu'Abel était pas là. Il était pas là, bon sang.
Et j'avais froid et j'avais mal et l'eau me montait au crâne, s'agitait, s'écrasait contre mes flancs, commençait à perler à l'intérieur de mes yeux. L'Océan s'énervait et me torturait. Tout devenait parfaitement bleu. Un bleu affreux. Un bleu cauchemardesque qui me donnait envie de crier. L'ombre grimpait à tous les immeubles. Elle s'éveillait même en plein jour. Puis l'autre idiot continuait de parler, de me cracher des immondices à la figure. Il parlait de plus en plus cruellement, de plus en plus fort. C'étaient presque des cris, presque des injures, presque des couteaux aiguisés qu'il tentait d'enfoncer dans ma chair. La tempête indomptable renaissait. A l'horizon la Mer m'appelait. Et Abel riait bleu.
J'étais mal. J'étais triste. J'étais anéanti par les assauts de cette eau qui dominait mon moi intérieur. Harry me hurlait de répondre quand il me parlait. Il hurlait et hurlait. Ses hurlements me faisaient peur. Me faisaient mal. Il hurlait encore. Réponds moi ! Mais moi je répondais pas. Alors il s'empara de mon col et révulsé par son geste, écorché par ses mots, je lui crachai mon sel empoisonné à la figure. Il hurla plus fort et me poussa contre le mur. Ma tête cogna la brique et l'ouragan vint fendiller mon crâne. Il me poussa encore, et encore en criant. Il me faisait mal.
Abel vient me chercher. Abel t'es pas là. Abel s'il te plaît. Abel tu vaux mieux que ces saletés. Pourquoi tu me fais ça ?
Une larme d'Océan coule.
J'étais brusqué et coincé contre le mur. J'étais un insecte qu'on venait écraser. Je ne me défendais pas. J'avais trop mal pour ça. J'étais à leur merci et je payais pour avoir craqué, pour avoir sauté du balcon et franchi la limite. Je réalisai que j'avais passé un point décisif et que plus jamais on ne me croirait normal. Je ne serais jamais jamais bien. JungKook jamais bien, toujours dans son coin d'étrangeté, rejeté par la société trop conne. Personne ne m'accepterait jamais. Ni mes camarades normaux. Ni mon père, ni ma mère. J'étais une absurdité affreuse et je tombai hors du nid. J'avais sauté pour fuir, mais mes ailes étaient déjà cassées, avant même que j'aie pu voler. A présent je chutais pour rejoindre les bras de la Mer.
Réponds moi ! Réveille-toi ! Fais quelque chose ! Bats-toi !
Le soleil, se coucha ; main dans la main l'un à l'autre engagés,
Nous saluâmes son dernier regard, bénédiction dernière
Puis, à cet instant précis, je vis TaeHyung surgir de nulle part, prendre Harry par le haut et le repousser loin de moi et de mon corps faible. C'était TaeHyung sans l'être vraiment. Ce n'était pas le même TaeHyung. Non, celui-là était déchirant, brutal et cru. Celui-là poussait contre le béton en criant à l'autre type de ne pas me toucher. De ne pas me toucher. De ne pas me toucher. Plus jamais. Plus jamais. Plus jamais. A le hurler jusqu'aux étoiles, à décrocher la Lune de son poing enragé. Il était plus animal qu'Humain. Il s'offrait tout entier à l'instinct et il frappait, il griffait, il arrachait, il détruisait.
C'était une violence magnifique. Sa rage sublime repoussa même mon Océan ombragé. Et lorsque les deux autres crétins essayèrent de le retenir, il finit par les envoyer se fracasser contre le mur. Harry profita de cet instant pour se relever et reculer le plus possible de l'homme féroce. TaeHyung trébucha et redressa la tête. Ses yeux croisèrent les miens. Et mon cœur mort se vida sous le choc de ses pupilles sombres, voilées de noir, presque lugubres. Il me regarda quelques secondes puis détourna les yeux quand les autres figures familières accoururent au coin du bâtiment. Ses orbes rencontrèrent les miennes une nouvelle fois. Et je compris ce qui n'allait pas. Absolument pas. Je compris que j'étais la personne la plus idiote sur cette Terre et que je méritais de m'égarer encore des nuits et des nuits infinies.
Car TaeHyung me regardait avec ses deux trous noirs désormais paniqués et il n'y avait plus la moindre flamme dans ses yeux. Plus le moindre scintillement sur sa peau. Ainsi je compris que la lumière ne s'était pas éteinte.
Elle n'avait jamais existé.
Il était immobile, si ce n'était le tremblement qui secouait nerveusement sa main tendue, couverte du sang d'Harry et de traces violacées. Le désœuvrement gagnait ses traits et tout son être semblait me demander ce qu'il avait fait. Des rumeurs parcouraient l'assemblées. TaeHyung avait fait ça ? Mais pourquoi ? N'était-il pas le garçon parfait ?
JungKook, suppliaient ses iris sans fonds.
Eveillé et emporté par un foudroiement soudain, je m'élançai loin du mur, m'emparai de la main abîmée de TaeHyung et me mis à courir. Je fendis la foule en deux et entraînai le garçon entre mes paumes. D'abord incertain, puis tout à fait persuadé, TaeHyung courut avec moi. Ses doigts complétant les miens. Son souffle se mêlant au mien. Nous fuyions loin de leurs feux mortels, de leurs jugements sadiques et de leur prison de perfection. Je m'accrochais à sa peau brûlante d'une colère encore fraîche et en produisais de l'espoir pour courir plus loin. Plus vite. Pour transcender New York et ses lames tranchantes, pour terrasser ce monde uniforme à la force de notre sauvagerie mauvaise. Et nous courûmes pendant une éternité. Nous nous échappèrent de leur contrôle en haletant et taisant notre douleur. Et dans cette éternité ci, nous courrons toujours. Dans cette éternité ci, nous sommes toujours libres et nous serons toujours libres. Car c'est notre petite, minuscule, infime éternité.
Nous nous arrêtâmes des années lumières plus loin, isolés au milieu d'un parc perdu et inconnu. Nous cessâmes de courir une fois près d'un étang calme sur lequel batifolaient quelques signes. Puis nous fondîmes dans les bras l'un de l'autre. Parce que c'était ce que seul l'instinct nous dictait de faire. Alors nous nous serrâmes au bord de l'eau, sur l'herbe battante et sous le ciel gris. Nous nous enlaçâmes pour nous protéger d'un froid inhumain et des bouffées de vent. J'avais mon menton sur son épaule. Lui, pleurait dans mon cou. J'avais les yeux plantés dans le ciel couvert. Lui versait toute sa souffrance sur ma peau. Je le serrais un peu plus fort.
J'avais été stupide. Si stupide. Aveuglé par l'entêtement de la solitude, j'avais oublié, ce que Abel m'avait enseigné.
TaeHyung était comme moi. Une victime des Nuits d'Hiver. Le mutilé et le bourreau. La proie et la bête féroce. L'ombre et la lumière.
Soudain, en levant la tête, comme un miracle dû au chagrin, je vis des formes glaciales se détacher des nuages compacts. J'approchai lentement mes lèvres de l'oreille de TaeHyung et lui dis :
-Regarde, il pleut des étoiles.
Le soleil se coucha ; main dans la main l'un à l'autre engagés,
Nous saluâmes son dernier regard, bénédiction dernière,
Et les yeux dirent, clairement dirigés dans les yeux :
De l'orient, espère, espère, il reviendra.
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See you on a dark night
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