Bleu brouillard.
Bleu brouillard.
Bleue comme le ciel. Bleue comme la nuit. Bleue comme les guirlandes brisées. L'eau était bleue.
Elle était froide aussi. J'étais là depuis quelques secondes et la phase insensible avait laissé place à ce froid malsain, à cette presque douleur sans cri. J'avais froid et il faisait bleu. Pas noir. Mais bleu. Un bleu liquide et opaque. Un doux bleu de gel et de chlore. Un doux bleu d'hiver. Mais j'avais froid et mon corps se pliait dans les profondeurs.
Je ne voyais que ces lampes jaune vif, aux rayons étouffés, éclairant vaguement le sol et les murs de ma cage carrelée. Je me laissais bercer. Balloté comme un nouveau né. Comme une poupée de béton qui refuse de toucher le sol et de s'y accrocher. A vrai dire je n'étais qu'un humain plein d'air, dont les poumons réclamaient la surface si proche.
Autour de moi semblaient flotter les teintes aquarelles de mes pensées. Celles qui avaient tant voulu s'échapper et qui s'envolaient dans une fumée lente. Une fumée qui roulait entre les molécules lourdes. Qui s'agrippaient au reste et qui s'échappaient surtout de mon cerveau pour ne plus jamais y remettre les pieds.
Moi je ne m'échappai pas. J'étais là. Que dire d'autre ? C'est pas votre problème sans doute. Je le sais bien. Et je vous dirais que ça m'importait peu. Rien ne m'importait à cet instant. J'étais juste un petit point tout noir sur la carte de l'univers. Parmi d'autres. Parmi d'autres. Et d'autres encore que vous ignorez et que nous ignorons tous.
Elle était froide. Elle était bleue. Elle me piquait les yeux. L'eau se faisait un creux à la place de mon cœur. Elle s'y enroulait et emplissait mon moi intérieur d'un silence abyssal. Notre rencontre brutale me blessait encore les jambes. Et le monde réel me tirait de notre terrible étreinte. Si chaude et pourtant trop bleue pour l'être vraiment. Je serais resté dans ses bras des siècles durant. S'il n'y avait pas eu eux et leur foutu oxygène. Alors j'attrapai la main tendue du vrai et me laissai hisser par ma propre force. Alors je partis en lui confiant les couleurs pâles de mes pensées.
Le ciel se dévoila comme une grande fleur qui éclot alors que je jaillissais hors de la piscine. Je renaissais encore. Mais je ne le voulais pas. Je leur aurais bien envoyé très loin leur renaissance. Seulement je n'en fis rien. Non je ne fis rien. A vrai dire je n'étais pas très net. Je le réalisai en posant mes pieds tremblants sur l'asphalte. Dans mon dos le bassin étincelait, éclairant le jardin de ses feux artificiels. Je ramenais sur terre un peu d'elle, dégoulinant ainsi en milliers de ruisseaux, répandant un peu de moi par la même occasion. Je lui laissais un peu de mon être. Elle faisait la même chose. C'était presque un accord juste, un échange digne entre deux entités trop vastes.
Il y avait une maison devant moi. Je la connaissais bien. Ou peut être pas. Mais je vous dirais que ça me passait clairement au dessus. J'avais juste envie de me carapater le plus vite possible. J'avais envie qu'ils arrêtent de me dévisager depuis leur balcon. Mains accrochées à la balustrade, bouche béate, yeux dépités. Ah triste dépit. Tu me faisais peur. Je ne t'aimais pas. Et là, je peux t'assurer que je n'aimais rien. Si ce n'est le bleu tendre. Si ce n'est le froid qui me mordait les membres.
Et la fameuse perspective de prendre la porte.
On dit mon nom. Une fille ? Un garçon ? On poussa des jurons. C'est quoi votre problème ? On me regarda passer par la baie vitrée, traverser le salon en laissant des traînées aqueuses, prendre mon manteau dans l'entrée et claquer la porte. C'est quoi mon problème ?
Mon problème ? Qu'était-il ? Dans cet état second je n'étais plus sûr de rien. Juste persuadé que ce problème, la goutte de trop noyant mon crâne, n'avait pas coulé dans la piscine. Il était toujours là. Supportable, un peu apaisé, comme une ombre qui se tait. Docile qu'il était.
Et il me poursuivait toujours. Il était là, avec moi, marchant à ma droite, ou à ma gauche. Dans cette saleté de pavillon, à l'université, dans les rues bondées, sous le soleil de plomb, entre la chaleur de la famille. Il était toujours là. D'ailleurs, il n'était pas seul. Ils étaient des millions, à faire leur ballet rocambolesque entre mes nerfs et ma raison. Ils étaient un peu de tout, un peu de tout le monde, un peu de tous les yeux et de tous les mots. Ils étaient là où je voyais le banal. Les problèmes, des petits points tout noirs. Comme moi, mais bien plus sombres. Bien plus parasite. En admettant que je n'étais pas un parasite. Cependant, j'étais un parasite, une déformation subtile qui n'entachait que le rebord du tableau. C'est ça, j'étais un problème. Oui, j'étais un problème avec des problèmes. Et ces problèmes étaient partout. Ils me suivaient dans cette rue paisible, tandis que je me baladais entre leurs baraques friquées, figé par la glace.
Ils étaient eux et ils me jetaient dans un vortex rempli de voix. Une vague sans réconfort. Une tempête acceptable qui n'attendait que le bon moment pour me bombarder avec toute sorte d'objets.
« Eh JungKook, c'était quoi ça ? Fais pas ça. Touche pas à ça. »
« Pourquoi tu parles de cette façon ? C'est bizarre. »
« T'aimes bien cette couleur ? C'est ridicule. Arrête. Sois pas idiot. »
« Tu lui as dit ça ? Mais t'as pas la tête sur les épaules mon gars. Garde les pieds sur terre. Mets tes yeux au milieu de tes orbites. »
« C'est pas logique. C'est pas conforme. C'est pas bien. Stop. »
« Fais ce que je te dis. Ecoute ce que je te dis. Crois-moi un peu. »
« Sois pas comme ça JungKook, ou tu décevras tout le monde. »
« Qu'est-ce qui va pas ? T'as jamais l'air content. Je te comprends pas. »
« Sois pas comme ça. »
« Ne regarde pas comme ça. »
« N'essaie pas. »
« C'est insensé. »
« T'as un grain ou quoi ? »
« Non. »
« Arrête. »
« Stop. »
« Jeon JungKook, qu'est-ce que tu fous ?! »
C'était drôle. Je me sentais tout drôle. Je m'étais cru mi homme mi animal. Je m'étais cru âme sans support. Je m'étais cru esprit dénudé, cœur à vif, prêt à être emporté. J'étais assis par terre. Il y avait cette soirée qui battait son plein. Tous ces gens que j'appelais amis riaient dans la chambre. A siroter une boisson alcoolisée comme il faut. J'étais pas catégorique sur le propriétaire de la baraque mais c'était pas très grave.
Tu sais bien. On fera pas de conneries. Sinon Papa fera un scandale et Maman pleurera peut être, accablée par la honte.
Alors c'était ça, ils riaient d'une blague trop saine, d'une personne, ou d'une histoire probablement folle. Ils discutaient et discutaient. Ils faisaient comme toujours. Leurs voix se superposaient. S'emboitaient les unes dans les autres. Elles traçaient des lignes qui se croisaient, faisaient des nœuds, et trituraient mes neurones ahuris. Tout le monde riait mais personne ne trouvait ça drôle. Tout le monde faisait ce rictus penché. Avec leurs angles exigus de bonheur planté sur le visage. Avec leurs politesses à deux balles. Leur écoute approximative. Leurs discours répétitifs. Leurs conversations sur les études. Leurs enchères sur des sujets bateaux. Souvent ils débitaient sur les cours, sur les rumeurs, sur les filles ou sur les gars et surtout ceux qui leur plaisaient pas. A toujours débattre sur ce complexe de classement. Un tri perpétuel et des rires satisfaits. Voilà de quoi était faite cette soirée.
J'étais assiégé par des hurlements muets. Je m'étais détourné pour voir qui s'égosillait ainsi puis je m'étais aperçu que les cris venaient de mon propre cerveau, de ma propre bouche close. Une plainte que personne ne pouvait entendre. Je m'étais pris en pleine face les lames tranchantes de leur réalité et de leurs regards qui se suivaient les uns les autres. Comme des armes à feu. Des arcs pointés, prêts à déchirer. Et me passant à travers. Ne se penchant jamais sur mes silences attentifs. Oubliant ma présence car elle n'était pas indispensable. Ou plutôt car elle n'était pas la leur et que seule la leur comptait.
Personne n'avait réagi lorsque je m'étais levé, avais posé le gobelet auquel je n'avais pas touché et avais ouvert la fenêtre menant au balcon. Malgré cette nuit d'hiver battante qui s'infiltrait dans la pièce terne, personne ne se manifesta autrement que par des grognements inutiles. Et sans prendre la peine de refermer le battant, j'avais posé un pied sur le rebord. Puis un autre. Puis les deux yeux dans l'eau. Comme un face à face irréversible. Comme une union définitive. La piscine était juste en dessous. Et je n'avais pas eu à réfléchir une seule seconde que je rompais déjà l'air serein pour me précipiter dans cette reine bleue. Et m'y engouffrer comme on s'engouffre dans le vice irréparable.
Je ne l'avais pas fait pour attirer l'attention. Pour gâcher leur soirée ou les faire réagir. Je ne l'avais pas fait pour eux. Mais pour moi. J'avais pris la métaphore au pied de la lettre. J'avais sauté dans ce vide tout brumeux. Dans cette lumière hivernale. Dans cet esclave de la nuit. Et à leurs yeux, je savais que cet acte signerait une fin.
Une fin à quelque chose et un début à quelqu'autre.
Mais mon problème demeurait là. Dans la rue endormie, à l'heure bien convenable. Fidèle compagnon. Secret avec qui je dansais pour la miséricorde. Pour l'impossible de ce début d'aventure nocturne.
**************
J'ai bien cru. Et j'y crois toujours. Qu'en franchissant le pas du vide, j'ai tourné les pupilles. Et il était assis sur le balcon. Il me regardait avec ses joyaux fiévreux. Il me regardait tomber.
Et j'ai cru qu'il tombait aussi.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro