Chapitre 53 - Héros malgré lui
Linnéa luttait contre la fatigue. Depuis quelques minutes maintenant elle entendait des bruits étranges qui l'inquiétaient autant qu'ils stimulaient ses espoirs. Elle leva les yeux sur l'homme qui la surveillait jour et nuit mais il sembla ne pas être perturbé par l'agitation extérieure.
Quelqu'un toqua à la porte. Le gardien quitta sa chaise en grognant de mécontentement puis alla ouvrir avec une lenteur endormie. Son apathie était telle qu'il n'eut même pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait lorsqu'un poing s'abattit violemment sur sa figure. James enjamba le corps de l'homme inconscient, prit les clefs attachées à sa ceinture, et se hâta de détacher Linnéa.
— Tu vas bien ma douce ?
— Chéri, c'est toi ! s'exclama-t-elle en se blottissant contre son époux, les larmes aux yeux.
— Vite, relève-toi. Il faut qu'on s'échappe d'ici.
Le couple rejoignit rapidement Khali et Gaétan dans le couloir. Ceux-ci avaient repéré un escalier menant au rez-de-chaussée de la maison et les quatre fuyards s'y précipitèrent. Linnéa manqua de dévaler l'escalier en glissant sur une marche, son mari la rattrapa à la dernière minute et la tira par le bras pour qu'elle se dépêche.
— Je ne peux pas aller plus vite, se défendit-elle, hors d'haleine. J'ai eu un accident de voiture, je suis enceinte, et on me séquestre dans une cave humide depuis deux semaines !
— Pardon ma chérie, s'excusa James en offrant de la porter dans ses bras jusqu'à ce qu'ils arrivent au rez-de-chaussée.
Khali referma aussitôt la porte derrière les deux derniers et, avec l'aide d'Alicos, poussa une petite bibliothèque et un second meuble devant le passage afin de freiner leurs poursuivants.
— Linnéa nous ralentit, reprocha Khali. On n'arrivera jamais à s'échapper d'ici avec elle.
— Je la porterai, la défendit James avec acharnement.
— Son poids te ralentira malgré tout. Enfuyez-vous tous les trois, moi je reste pour retenir les gardes.
— Sûrement pas, s'opposa le policier. Je ne te laisserai pas les affronter seule, pas pendant une nuit sans lune.
Les premiers coups se firent entendre derrière la porte bloquée.
— J'ai une idée ! reprit James. Alicos, je te confie la garde de ma femme. Emmène-la loin d'ici, à l'abri. Khali et moi allons rester là et tenter d'entraîner les gardes dans une autre direction.
— Non, ne reste pas là mon chéri ! s'insurgea Linnéa.
— Suivez-moi madame Gardam, insista le lieutenant Alicos en entraînant la jeune femme vers la porte de sortie de la maison sans lui laisser le temps de protester davantage.
James et Khali s'appuyèrent de tout leur poids contre la pile de meubles bloquant l'accès à la petite porte de la cave. Les coups s'intensifièrent et se firent de plus en plus puissants de l'autre côté. La barricade céderait bientôt.
Soudain, une balle traversa le haut de la porte, sifflant à l'oreille de Khali, et vint se loger dans un lustre. Craignant pour la vie de la jeune femme, James refusa de prendre plus de risques. Il saisit Khali par la taille et l'éloigna de la porte en lui demandant de rester baissée.
Quelques autres balles sifflèrent puis le fragile équilibre des meubles entassés devant la cave fut brisé en un fracas terrible. Plusieurs planches de bois se fracturèrent sur le parquet. Le policier aperçut le temps d'une seconde fugace l'arrivée au rez-de-chaussée de Jessica et deux hommes de main. Aussitôt il attira Khali vers les escaliers et fila à l'étage. Il devait à tout prix éloigner la menace de sa femme.
Jessica s'arrêta et laissa un ricanement lui échapper en voyant les deux amants se réfugier à l'étage. C'était une ruse, elle le savait, elle le sentait. La jeune femme ordonna à ses hommes de retrouver Alicos et Linnéa, sans doute sur le chemin de la sortie. Pour ce qui était des deux autres, elle en faisait son affaire.
🐺🐺🐺
Gaétan courait devant Linnéa en l'entraînant par le bras pour qu'elle accélère mais la jeune femme était à bout de souffle et n'arrivait plus à suivre la cadence. Ses chevilles lui étaient douloureuses et elle sentait les forces la quitter. Elle supplia le policier de ralentir mais il ne voulut rien entendre. A son élan d'héroïsme soudain, succédait un implacable réalisme qui le confrontait à présent à la réalité des choses, à la gravité de la situation et à la peur de la tournure négative que pouvaient prendre les événements. Aussi délectable qu'avait été la première montée d'adrénaline, il commençait à regretter de s'être lancé dans ce sauvetage courageux les yeux fermés. Il retrouvait toute sa raison et sa lucidité, perdant par la même occasion sa belle assurance.
A quelques mètres derrière les fuyards, deux gardes gagnaient du terrain. Gaétan n'était plus très loin du portail lorsqu'il comprit qu'ils allaient être rattrapés sous peu. Il s'arrêta en cachant Linnéa dans son dos. Un premier garde tira une arme de sa ceinture mais le policier le devança et le précipita au sol d'une balle dans la gorge. Le second homme cessa de courir et visa Gaétan à distance. Il s'avança lentement vers la proie en menaçant de tirer si celle-ci ne jetait pas son arme à terre immédiatement.
Alicos hésita, il consulta Linnéa d'un regard par-dessus son épaule puis choisit d'obéir, le risque encouru était trop grand. Il ne plaisantait pas lorsque sa propre vie était en jeu. Le garde eut un sourire narquois en enjambant l'arme du policier jetée dans l'herbe humide. Il était tout près maintenant.
Le cœur de Linnéa battit plus fort. Elle craignait pour son enfant. Elle ne pouvait pas être capturée à nouveau, pas après avoir été si proche de la liberté. Prise d'un réflexe impulsif, elle poussa Alicos en avant puis s'accroupit pour se protéger des coups de feu éventuels. Le policier trébucha et tomba droit sur l'homme qui le tenait en joue. Il y eut une détonation et une balle perdue siffla dans les airs.
Gaétan comprit que c'était le moment de jouer le tout pour le tout, qu'il le veuille ou non. Il saisit à pleines mains l'arme au canon encore chaud et l'arracha à son propriétaire. Le garde s'agrippa au revolver mais la crosse lui glissa entre les doigts et, dans son élan, Alicos envoya l'arme à feu voler à plusieurs mètres derrière lui.
Les deux hommes engagèrent bientôt un combat à mains nues. Le garde passa le bras dans son dos pour attraper un objet mais une seconde d'inattention l'empêcha de parer un mauvais choc. Un puissant coup de coude en pleine mâchoire l'envoya rouler sur le sol. Il se releva précipitamment en essuyant du revers de sa manche un filet de sang au coin de la bouche puis tenta une seconde fois de saisir l'objet accroché à sa ceinture.
Le policier discerna la surprise sur le visage de son adversaire. Leurs regards convergèrent au même moment vers un point scintillant dans l'herbe. Une longue lame aiguisée était restée à terre après la chute du garde, mais elle était à présent trop loin de leur position actuelle pour que l'un d'eux puisse s'en emparer.
Linnéa avait suivi la scène avec attention. Éloignée des deux combattants, elle n'eut aucun mal à aller ramasser l'objet. Elle songea à attaquer le garde par derrière, ce qui aurait été assez facilement réalisable avec la collaboration d'Alicos, mais elle ne put se résoudre à attenter à la vie de quelqu'un. La jeune femme se déplaça de côté et tenta de se rapprocher du policier pour lui confier l'arme blanche. Cependant, les deux hommes étaient en mouvement permanent, tournant sur eux-mêmes et échangeant des coups de poing.
Après quelques tentatives de rapprochement infructueuses, Linnéa prit son courage à deux mains, elle siffla le nom du lieutenant et se hâta de le rejoindre par derrière afin de tenir le couteau suffisamment éloigné de leur opposant. Alors que Gaétan s'apprêtait à saisir l'arme, le garde fit subitement un bond en avant. Linnéa poussa un faible cri et recula lorsqu'il attrapa fermement le couteau pour le lui arracher des mains.
Un coup de genou dans l'estomac fit se plier Alicos en deux de douleur. Son adversaire en profita pour le pousser à terre et le policier fut sonné par un coup sur la tête. Il ne comprit pas immédiatement ce qui arriva ensuite. Le garde le fit rouler sur le côté d'un méchant coup de pied dans les côtes puis écrasa le bras droit d'Alicos sous sa semelle afin de l'immobiliser.
Une douleur insoutenable arracha un cri de souffrance incontrôlé au policier. Il se mordit la lèvre inférieure jusqu'au sang tandis que Linnéa ajoutait un hurlement suraigu au sien. Des sanglots de nervosité et d'effroi échappèrent à la jeune femme. Elle était tétanisée.
Alicos ignorait encore ce qu'elle avait vu. Il tourna la tête vers son bras droit tandis que le garde retirait son pied pour mieux lui permettre de voir son œuvre. Ce fut un choc terrible. Gaétan crut que son cœur allait sauter hors de sa poitrine lorsqu'il vit ce qu'il ne pouvait croire. C'était pourtant bien vrai, la lame aiguisée lui avait tranché la main au niveau de la jointure du poignet.
Des larmes de douleur et de refus inondèrent son visage. Mais peu à peu la haine montait en lui, lui insufflant une force nouvelle. Alors que le garde riait de sa victoire, Gaétan lui envoya un coup de pied déstabilisant dans les jambes et il chuta au sol.
Se sentant affreusement coupable de l'irréversible blessure infligée au policier, Linnéa accourut à son aide et enserra le garde à la gorge aussi fort qu'elle le put. Alicos en profita pour s'emparer à son tour du couteau, maladroit avec son unique main gauche. Linnéa ne résista pas très longtemps et fut rapidement projetée en arrière avec violence. Puis, alors que le garde tentait de se relever, Gaétan l'arrêta dans son élan en lui ouvrant la gorge d'une oreille à l'autre. L'homme porta la main à la blessure béante sans parvenir à retenir les flots de sang qui coulaient inexorablement jusqu'à l'entraîner dans la mort. A genoux, il bascula en avant, la face dans l'herbe. C'était fini.
Linnéa fondit en larmes et vint se blottir contre l'épaule du policier. Pour la première fois de sa vie, le jeune lieutenant avait le sentiment d'avoir apporté quelque chose à quelqu'un. Il s'était battu pour Linnéa, pour la sauver, parce que son ami lui avait confié ce qu'il avait de plus précieux. La satisfaction qu'il en éprouva était inestimable. Il se sentait un nouvel homme et même la perte d'une main ne pouvait altérer son sourire.
Tout à coup, Linnéa se crispa. Gaétan se tourna vers ce qui avait attiré son attention et vit les phares d'une voiture se diriger droit sur eux. Ils se relevèrent, curieux et inquiets. Le policier scruta le sol devant lui et Linnéa comprit aussitôt qu'il cherchait son arme. Elle se hâta d'aller la récupérer dans l'herbe et la lui ramena avant de l'aider à bien la tenir de la main gauche.
La voiture progressait toujours dans leur direction. Gaétan tira un premier coup de feu en l'air, bien que le droitier qu'il était fût mal à l'aise, puis il pointa le canon sur le véhicule. Une petite décapotable à la capote relevée s'arrêta alors à quelques mètres devant eux.
Alicos se dépêcha de mettre aux arrêts le conducteur qui n'était autre que Tim Valnasser lui-même. Ce dernier avait tenté de fuir la tuerie et la colère de Jessica. Les choses n'auraient pas pu mieux tourner pour le lieutenant, il détenait à présent un coupable idéal en la personne de Valnasser ainsi qu'une victime et témoin en la personne de Linnéa. En y repensant, il était même fier de sa nouvelle mais encore douloureuse blessure de guerre. Il ne regrettait plus rien maintenant, sa carrière lui en serait reconnaissante.
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