Une décapotable d'un sombre bleu métallisé ralentit à l'approche de la camionnette dans la quelle Jessica et ses hommes de main attendaient impatiemment l'arrivée de leur patron. Valnasser se gara rapidement et rejoignit la jeune femme au volant du vieux véhicule rouillé.

— Alors ? Où est Khali ? s'enquit-il.

— Envolée, répondit paisiblement Jessica en fixant l'horizon.

— Quoi ? Je vous avais ordonné de me la ramener !

— Je la retrouverai, je la retrouverai...

Valnasser soupira fortement. Il contint sa rage, craignant la réaction imprévisible de Jessica, plus il la fréquentait et plus il était témoin de sa placide folie assassine.

— Vous avez un plan, je suppose ? enchaîna l'homme.

— Oui.

— ... Et quel est-il ? hésita-t-il à demander en surveillant les trémolos dans sa voix.

— Khali est de mèche avec ce flic, Gardam. C'est lui que je vais appâter, et elle suivra pour voler à son secours.

— Les Gardam, encore eux. Je n'apprécie guère qu'ils soient mêlés à mes affaires.

— Ne vous inquiétez pas, Tim, je vais faire d'une pierre deux coups. Quel meilleur appât que la propre femme du flic ?

— Vous voulez menacer Linnéa ?

— Non, je veux l'enlever...

Jessica tourna la tête et défia Valnasser du regard. Il se sentit aussitôt mal à l'aise et détourna les yeux en approuvant le plan de la jeune femme d'un signe de tête. Il regagna rapidement sa voiture en jetant un œil à sa montre, il était presque minuit, la nuit ne faisait que commencer...

🐺🐺🐺

La porte de la chambre claqua brusquement et Linnéa se réveilla en sursaut. Elle s'assit dans le lit en portant la main à sa gorge, sa respiration était rapide et irrégulière. Elle avait chaud. Ses cheveux collaient à sa nuque. L'air de la pièce était moite. La jeune femme tourna la tête vers la place vide de James. Elle s'inquiétait pour lui. Elle avait encore fait un cauchemar. Mais elle lui en voulait également, et quelque part elle était soulagée qu'il ne soit pas là. Elle ignorait encore comment elle réagirait à leur prochaine rencontre, cela la mettait mal à l'aise.

Linnéa caressa l'oreiller à la taie encore non froissée du policier puis repoussa les draps au bout du lit. Elle enfila ensuite ses pantoufles et traversa dans le noir la chambre qu'elle connaissait par cœur. La jeune femme ouvrit lentement la porte et chercha à tâtons l'interrupteur dans le couloir. Ce dernier fut bientôt éclairé, et Linnéa constata que la fenêtre du fond était largement ouverte. Les rideaux s'agitaient à chaque souffle du vent. La jeune femme regrettait tant la présence de Victor, il avait toujours été si calme et discret, sa présence invisible dans la maison était réconfortante pour la jeune femme habituée à la solitude pendant que son mari coursait les bandits dans les ruelles sinistres.

Elle écarta le rideau agité qui la gênait puis referma la fenêtre en tremblant de froid. Soudain, une main glacée l'attrapa par la gorge puis remonta jusqu'à la bouche pour l'empêcher de hurler. Linnéa réagit avec une extrême rapidité, l'angoisse provoquée par sa solitude dans la grande maison avait sans doute éveillé ses sens. Elle se débattit et parvint à échapper à son agresseur. La jeune femme s'enfuit aussitôt dans les escaliers. Elle glissa sur la dernière marche mais n'eut pas le temps de tomber car son agresseur l'avait déjà rattrapée. Linnéa sentit un coup douloureux dans sa nuque et, alors qu'elle sombrait peu à peu dans l'inconscience, elle discerna les traits de Jessica voilés dans l'ombre...

 🐺🐺🐺

James se réveilla en gémissant de douleur. Ses doigts se crispèrent sur le sol terreux et sa respiration se fit de plus en plus pénible. Le policier fut quelque peu soulagé lorsqu'il vit le charmant visage de Khali penché sur lui. Elle lui caressait le front avec un sourire.

— Ne te lève pas tout de suite, conseilla-t-elle, ça va bientôt aller mieux.

Une douleur aiguë au niveau de la poitrine arracha un cri au jeune homme. Il baissa les yeux et remarqua une profonde blessure que Khali tentait de nettoyer avec un linge humide.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— C'est terminé, le soleil s'est levé, se contenta d'indiquer la belle.

— N'évite pas la question, après ce que j'ai déjà fait je peux tout entendre. A moins que... A moins que je ne t'aie fait du mal ?

— Non, rassure-toi. Tu t'es seulement battu avec un sanglier.

— Un sanglier ?

Le policier tourna la tête de côté et vit alors le cadavre d'un animal sauvage étendu sur le sol non loin de là. La bête baignait dans une mare de sang et semblait avoir été en partie dévorée.

— Ne me dis pas qu'on l'a...

— ... Mangé, si.

— Merci de ne pas me l'avoir dit, rétorqua James qui commençait à avoir des nausées rien qu'à cette idée.

— Tu devrais rentrer chez toi, lâcha sèchement Khali.

— Pourquoi ?

— Parce que c'est tout ce qu'il te reste à faire.

— Je ne te suis pas...

La jeune femme soupira en se redressant puis s'éloigna de quelques pas. Plusieurs rayons de soleil perçaient le toit formé par le feuillage des arbres pour venir éclairer les cheveux de la belle qui tournait le dos au policier.

— Le mal est fait, je t'ai transformé en loup-garou. Point à la ligne. Tout ce qu'il te reste à faire c'est apprendre à vivre avec ça et retrouver ta vie d'avant.

James resta muet quelques instants.

— Mais enfin... Je ne veux pas retrouver ma vie d'avant. Je t'aim...

— Chut, l'interrompit-elle d'une voix étranglée. Je ne veux pas l'entendre, je ne veux pas le savoir, c'est déjà assez dur comme ça.

— Khali, quel est le problème ?

— Le problème c'est que tu refuses de comprendre. Nous n'avons aucun avenir ensemble. Regarde-moi, je ne suis personne, je passe mon temps à courir après un passé qui m'échappe. Je suis un fantôme qui sort de la vie des gens aussi vite qu'il y est entré. Je ne suis rien et je ne veux pas que ça change, ma vie faite de rêves et d'espoirs me suffit, j'ai bien trop peur de la réalité.

— Je... Je ne sais pas quoi répondre... Je ne te comprends pas. Je suis prêt à tout abandonner pour toi.

— C'est bien ce que je refuse, je ne veux pas prendre le risque de gâcher ta vie. Alors laisse-moi dans mon monde irréel et reste dans le tien.

— Non.

— Si tu tiens à moi autant que tu le prétends, laisse-moi continuer à vivre comme je l'ai toujours fait. Je ne veux pas d'un sentiment trop lourd à porter. Tu es ma faiblesse, et je ne peux pas l'accepter.

— Pourquoi est-ce que tu t'obstines à vouloir te montrer forte ?

— Ça suffit, j'en ai assez de cet interrogatoire. Je suis comme je suis, accepte-le et laisse-moi tranquille. Va-t'en James, je t'ai suffisamment fait souffrir.

— Il n'en est pas question.

— Eloigne-toi de la société pendant plusieurs jours lorsqu'une nuit de pleine lune approche. C'est l'unique conseil que je puisse te donner.

Constatant que le policier ne s'en irait jamais, Khali prit les devants. Elle se retourna brusquement et sauta à plusieurs mètres du sol pour s'agripper à une branche. La belle ne tarda pas à disparaître dans les feuillages alors que le policier était toujours assis par terre sans avoir la moindre réaction. Il ne parvenait pas à réaliser qu'il avait vu Khali pour la dernière fois de sa vie...