Alors que j'allais laisser Tina sombrer doucement dans un sommeil plus profond que l'absence de Q.I. qu'une Kardashian lobotomisée (Comment ça elles le sont toutes ? ), elle retint mon bras.

-Est-ce que tu voudrais bien m'expliquer  ? me demanda t-elle d'une voix ensommeillée.

Je fronçai les sourcils et en jetant un coup d'oeil à l'horloge accrochée à la chambre, me rendis compte que j'étais déjà sacrément en retard. Mes neurones s'activaient déjà du mieux de leurs pitoyables capacités pour me concocter une excuse valable. Malheureusement je n'en voyais aucune. J'allais devoir improviser.

-Que je t'explique quoi ? lui répondis-je néanmoins en me tortillant pour appliquer les deux Guérissorts sur mes blessures. Cela ne suffirai pas pour les soigner complètement mais cela accélérerai grandement la cicatrisation.

-Ce monde, comment tout ça fonctionne, dit-elle dans un murmure

Je me figeai.

-Ce monde ? Mais tu n'as pas dit que tu es une extralucide ?

La jeune femme se retourna dans le lit pour me faire face.

-Si, mais avant mon adolescence, je ne savais même pas qu'il en existait d'autres comme moi.

-Que fais-tu ici alors ? Désolée mais c'est tout de même sensé être une réunion secrète....annonçai-je, une note d'incrédulité à peine perceptible dans ma voix.

Elle eut un instant de silence que je considérai comme un temps de réflexion. Prenant sur moi pour ne pas lui demander (Très gentiment, toujours) de se dépêcher, je nettoyais mes armes tout en notant que je devais les aiguiser un peu plus tard.

J'ouvris ma penderie d'un geste brusque, survolant mes vêtements du regard. Lesquels devais-je prendre ? Une robe à jupons amples en satin sombre me faisait de l'œil. Certes, c'était plus éloigné des canons de mode actuels que la Terre de la galaxie Andromède mais il n'y avait rien de plus pratique pour dissimuler une arbalète et le jupon se détachait en un tour de main en cas de problèmes.  Puis après ma petite diatribe de ce matin, personne n'osera me reprocher ma tenue, ils auront trop peur de passer pour des has-beens (Bien que le mot le soit, ironie quand tu nous tiens). Cependant Tina interrompit mes petites questions personnelles à peu près aussi importantes que la part du budget national chinois consacré à l'écologie.

-Mes visions se sont déclenchées durant ma puberté. Ce fut...perturbant. Personne ne savait que faire dans ma famille.

L'adolescence était une période charnière aussi bien physiquement que psychologiquement, ce n'était donc pas surprenant que son legs magique se soit réveillé à cette période, c'était même fréquent. La laissant s'exprimer, je regardai rapidement l'heure. C'est fou comme le temps passe vite !

-Tu es le premier cas "magique" disons, dans l'historique familial ? C'est rare, la magie est souvent génétique, ajoutai-je la tête coincée entre une étoffe de soie moirée et une autre damassée. Maxen avait dû dépenser le P.I.B d'une petite république bananière pour payer une garde-robe pareil.

Tina rit jaune.

-Ma famille est un assemblage hétéroclite d'orphelins blessés, de paumés par la vie et d'âmes esseulées. Parfois ce sont les trois à la fois. Mais ce n'est parce que nous n'avons pas le même A.D.N que ne sommes pas unis. Au contraire ! conclut-elle férocement, dissipant les maigres bribes de sommeil qu'elle avait réussi à rassembler avec une difficulté égale à celle d'un chien essayant de ne pas sauter sur son maître.

Me retournant afin que Tina puisse, au moins un instant, arrêter de parler à ma petite culotte, je lui offris un hochement de tête approbatif.

-Les familles les plus fortes sont celles construites dans l'adversité.

Mon commentaire la désarçonna. L'expression de sa surprise dura au moins autant de temps qu'un épisode des Feux de l'Amour. C'est à dire, beaucoup trop long et prophétique d'une suite beaucoup trop longue aussi. Mettant son mutisme à profit, je me remis à farfouiller entre deux cintres. Je relançai la conversation.

-Donc je répète, que fais-tu ici ? Certes tu ne connaissais rien à tes pouvoirs et ça du être éprouvant pour toi mais de passer d'une famille aimante...d'où ?

-De France, me répondit-elle machinalement.

-J'y suis jamais allée, bref, à un palais en plein milieu d'une dimension magique aux côtés d'un roi fae, il y a eu un tout petit peu de chemin, ironisai-je.

Son visage se crispa à la mention du Faune.

-Roman est le premier être magique que j'ai rencontré, me dit-elle dans un souffle. J'ai rapidement été fascinée par ses descriptions de pays enchanteurs, de créatures mystérieuses, pour moi qui n'avait encore jamais quitté sa ville natale, c'était le rêve ! Il m'a même promis de m'emmener voir un autre extralucide pour qu'il m'aide à maîtriser mes dons.

J'haussai mon sourcil droit, ma mimique fut uniquement appréciée par une paire d'escarpins dorés à la feuille. Dommage, elle était particulièrement réussie.

-Ça fait combien de temps que vous vous connaissez ? lui demandai-je presque innocente.

Presque. Je ne suis pas sûre de l'avoir été un jour.

-Bientôt quatre mois. Il m'a dit que ce voyage serait une occasion pour moi de découvrir d'autres comme moi.

Et bien, il était sacrément patient pour un violeur. Je n'en connaissais aucun capable d'attendre quatre mois avant de passer à l'acte. Remarque, je ne connaissais même pas du tout.

-Qu'il soit marié ne te gênait pas ?

-Au début si, puis Roman m'a expliqué que ce n'était qu'un mariage de convenance. Puis tout ce qu'on faisait, c'était de flirter. Il y avait rien de sérieux entre nous. Apparemment, j'étais la seule à le penser...

Un silence gêné régna sur la pièce. Attrapant la robe à jupons du début, je l'enfilai avec difficulté en prenant un ton faussement enjoué.

-Donc tu voudrais en savoir plus sur ce monde ?

-Oui, dit la jeune femme en se redressant sur son lit. J'en ai marre de rien comprendre, je veux pouvoir faire mes choix, seule.

Je laissai échappée un petit ricanement. Enfin avec la quantité de tissu sur ma tête, ça devait plus ressembler à un couinement de souris offensée des plus ridicules. Dégageant mon visage de ce qui ressemblait au décolleté, je répondis d'une voix presque pas essoufflée.

-Tu vas être très déçue alors, je n'ai pas grand chose à raconter et savoir qu'un démon à trois cornes n'est pas une créature pensante ne t'aidera pas beaucoup.

Tina m'adressa un regard devant sûrement exprimer sa motivation mais en réalité cela ressemblait plus à celui d'un bébé koala s'étant fait piquer son biberon. Puisque je n'étais plus à une heure de retard près, je commençai à lui donner les maigres fragments de connaissance assemblés en mes cinq années de mercenariat.

-En gros, il existe une forme d'A.D.N spécifique à la magie nommée Animus. Dès que quelqu'un en possède, c'est un Immortel. Il ne peut alors mourir plus que de trois façons : l'immolation, la décapitation et blesser son cœur. Après, la plupart sont dotés de pouvoirs magiques liés à leur race.

Je m'interrompis en la voyant se lever et fouiller énergiquement dans ma penderie.

-Euh, tu fais quoi là ?

-Je cherche une tenue convenable pour aller à la cérémonie.

Je dois avouer, à mon grand dépit, que la jeune femme tenant plus du koala que du tigre (Et de loin...) venait de m'abasourdir. Chose qui ne devait pas être arrivée depuis 1765, date bien antérieure à ma vingtaine pimpante.

-Tu ne préférerais pas rester ici afin de...dormir par exemple ? Tu viens juste d'échapper à un événement traumatisant, commençai-je.

-D'abord je ne l'ai pas vraiment vécu puisque tu es arrivée avant. Je ne dois pas me laisser abattre par le comportement d'une misérable vermine. Puis ce n'est pas ce regrettable événement qui va m'empêcher d'en apprendre plus sur ce monde et sur mes dons, déclara t-elle d'un ton ne souffrant nulle contradiction.

J'aurais pu lui rappeler qu'elle avait de sérieuses raisons de s'inquiéter, comme par exemple le fait qu'elle soit dans une dimension inconnue, avec des personnalités magiques surpuissantes, que notre survie n'était absolument pas garantie et  qu'elle ne connaissait même pas ses pouvoirs.  J'aurais pu. Mais cela lui aurait brisé le cœur et je ne me sentais pas de le faire. Finalement, peut-être que je pourrais faire quelque chose avec elle. Il semblerait qu'elle possède beaucoup plus de cran que je ne l'avais jugé. Elle était comme un baume pour ma vieille âme cynique. Je secouai la tête, amusée. Comment pouvais-je penser ça alors que je n'avais que cinq années de souvenirs à mes trousses ?

-Tu es dans la lune ? me demanda t-elle en agitant devant mon visage un bâton de rouge à lèvres déniché je ne sais où. T'as brusquement arrêté de parler pourtant tu n'as pas fini de tout m'expliquer.

J'esquissai un sourire.

-Calme-toi Koala, je réfléchissais à ce que j'allais dire contrairement à certaine, me moquais-je. Si les Immortels manient la magie, il existe néanmoins des mortels pouvant le faire. Par contre ils doivent tout de même avoir recours à l'Animus d'une manière ou d'une autre pour cela. Ça peut être par le biais d'un objet enchanté, d'un transfert de pouvoir ou de plein d'autres façons qui m'échappent.

Elle essaya de protester contre son surnom tout neuf mais je lui collai avec autorité le même rouge à lèvres agité sous mon visage mais sur sa bouche. La nouvellement baptisée Koala se contenta donc de me dresser un peloton d'exécution à travers ses cils afin d'éviter d'avoir le sourire du Joker.

-Il faudrait que tu effectues un test d'Animus pour savoir si tu es une Immortelle ou si tes pouvoirs sont empruntés. La plupart des médiums sont en réalité des vecteurs de l'Animus des morts. Bref, si c'est le cas tu seras officiellement admise dans l'Aeternum. C'est comme ça qu'est désigné le monde des Immortels, ils goûtent l'ironie de ne pas craindre le passage du temps.

Je finissais à peine de faire le contour de ses lèvres qu'elle me posait déjà une question.

-Que se passe t-il lorsqu'un mortel découvre l'Aeternum ?

Tina avait prononcé le mot bizarrement, tâtant les sonorités étrangères comme un enfant avec un bonbon inédit. Déposant délicatement le tube, je m'accordais un instant avant de répondre.

-Ça dépend des dimensions, des planètes, et surtout des mentalités. Il y a des endroits où les mortels connaissent parfaitement l'Aeternum et fraye avec au quotidien mais il y a aussi des minorités plus...secrètes, disons. Certains Immortels croient que parce que les outrages du temps leur sont épargnés, ils sont supérieurs aux mortels. Cela crée des tensions et il existe des groupuscules n'hésitant pas à faire usage de la violence pour revendiquer leurs opinions. Néanmoins les mortels ne survivent jamais longtemps dans le monde violent qu'est l'Aeternum. Trop facile à briser.

Au fur et à mesure de mon discours pessimiste, ses épaules s'étaient voûtées.

-Alors même avec des millénaires de vie et des dons incroyables, la haine existe toujours ? chuchota la jeune femme.

Je lui caressai les cheveux, lui témoignant ainsi un peu du maigre réconfort qu'elle réclamait sans le savoir.

-Oui Koala, tout comme la misère, l'incompréhension, le mépris, l'avidité et trop d'autres encore pour les nommer. Ces défauts ne sont pas exclusifs à l'Humanité. Donner du pouvoir à un homme ne soignera pas ses défauts, il les exacerbera.

Son mutisme signa la fin de la conversation et nous finîmes de nous préparer dans un silence pesant. Je fis attention à ce qu'elle ne me vît pas accrocher mon arbalète sous mes jupes dans la cache renforcée prévue à cet effet, nouvelle preuve du sens du détail de Maxen. Un coup d'œil dans le grand miroir de la salle de bains m'apprit qu'il l'avait aussi pour les mensurations. Les plis tombaient parfaitement, de façon à dissimuler mes armes sans casser la ligne. Je suspectai quelques magies pour parvenir à ce résultat. Me retournant, j'aidais Tina à ajuster le tailleur qu'elle venait de choisir dans ma penderie à l'aide d'aiguilles. Malgré notre différence de taille, cela lui allait plutôt bien, mais j'allais tout de même devoir interpeller un domestique pour qu'il nous rapporte ses affaires depuis la suite des Faunes.

Une dernière inspection de notre reflet et nous étions prêtes à partir. Nous avions à peine du heure de retard, si peu. La ponctualité étant la troisième qualité requise pour faire un tueur à gage correct après la psychopathie et votre taux de létalité (Envers autrui, évidemment), personne ne me croirait si je hurlais mon identité.  Cependant alors que j'ouvrais la porte, la jeune femme me retînt en attrapant mon bras.

-Est-ce...est-ce que tu me protégeras ?

Je la regardais dans les yeux. Je voulais répondre à l'affirmatif. Mais si je le faisais, elle se entretiendrait des illusions et lorsqu'elles se briseraient, cela aura au final fait plus de mal que de bien. Il me fallait effacer les étoiles que j'avais fais naître sur son visage.

-Je t'ai promis de t'apprendre à te protéger. Si il y a bien une leçon que la vie m'a appris, c'est de ne jamais compter sur les autres pour se protéger.

-Mais tu m'as défendue moi.

J'eus un rire acerbe. J'espérais pour elle qu'elle n'était pas une Immortelle, ses coups de griffes ne compenseraient jamais son cœur trop fragile. L'Aeternum la briserait plus sûrement qu'un sumo une balance. 

-Tu ne sais pas pourquoi je l'ai fait, ni ce que j'attends de toi en échange. Donc non, ne compte pas sur moi pour te protéger, compte uniquement sur toi-même.

Ce fut le cœur serré que j'achevais ma phrase. Je savais que ce n'était pas une bonne idée de la sauver, la recueillir. Pourtant j'avais bêtement crû que je pourrais enfin briser ma solitude. 

-Je tue pour vivre, Koala. Quoi que tu penses, je suis et reste une des "méchantes" de l'histoire.

Sur ces bons mots, je me retirai et partis en direction de la grande salle. Il ne me restait plus qu'à y croire.