9. Attaque
Atsuki resta plusieurs jours à l'hôpital, son corps se remit petit à petit mais son esprit se détruisit au fil du retour des souvenirs. Plus elle se rappelait des derniers événements moins elle avait envie de s'en souvenir. Elle se revit assise à l'une des tables de la Chimère après un service harassant. Rufus était venu vers elle et ils avaient longuement discuté. La chimère qu'Aitsuki avait rencontré durant son séjour au pays de l'herbe arc-en-ciel, complètement droguée, s'était avérée être une sorte d'alliée. Rufus traînait dans des affaires encore plus louches que tout ce qu'elle avait pu imaginer.
— Tu prépares un coup d'état n'est-ce pas ? avait demandé Aitsuki après qu'il lui eut expliqué des bribes de ses relations avec certaines chimères.
La réponse de Rufus fut aussi claire qu'une nuit par tempête à Théa. Il s'était lancé dans un discours à propos du bien, du mal, des nuances de gris. Chaque acte a des conséquences positives et négatives.
— Le mal peut être meilleur qu'il n'y paraît, et inversement. Théa a pris des décisions, de graves décisions, sans en mesurer les conséquences. Le conseil a donné des ordres qui ont entraîné une prospérité rapide mais très instable. Ces vieilles femmes sont folles. En voulant protéger la cité elles ont déclenché la colère de plus puissant qu'elles. Tout ce que je fais, je le fais dans l'intérêt de Théa. N'oublie jamais cela.
Elle eut le malheur de lui faire confiance. Elle ne posa pas de questions, elle ferma les yeux sur les allées et venues bizarres, elle obéit lorsqu'il lui demanda l'impensable.
— J'ai besoin que tu entres en contact avec Chaos.
— Pardon ?
La question était sortie de nulle part, peu avant le début d'un service. Aitsuki préparait des verres d'oublitout, deux habitués n'allaient pas tarder et, si ses calculs étaient bons, il était probable que Nox montre le bout de son nez.
— La chimère que tu as rencontrée, celle qui t'a élue, Chaos.
— Tu ne peux pas le faire toi-même ? Et qu'est-ce que tu lui veux ? Rufus, les chimères sont dangereuses, on nous l'apprend dès l'enfance.
Il avait balayé ses objections d'un revers de la main.
— J'ai l'information qu'elle veut.
Cela ne laissait présager rien de bon. Aitsuki ne céda pas et campa sur ses positions une bonne partie de la nuit. Comme elle l'avait présagé, Nox fit son apparition. Plusieurs fois font coutume il était couvert de sang et traînait un cadavre. Chose moins habituelle il était entier et l'étala sur une table alors qu'il appelait Aitsuki.
— Regarde, un traître, voilà ce qui leur arrive lorsqu'ils croisent ma route. Veux-tu savoir ce qu'il avait fait ?
— Pas vraiment, avait répondu Aitsuki, qu'est-ce que tu veux boire ?
— Il a volé des informations au conseil. Et le conseil n'aime pas du tout être espionné.
— Je comprends bien, mais es-tu vraiment obligé d'apporter ce cadavre ici ?
Ce « cadavre » fut un jour un être humain mais quelques mois à la Chimère à côtoyer des types qu'il valait mieux éviter de saluer en public avaient réussi à altérer sa compassion. Aitsuki ne voyait plus le corps que comme un objet inanimé. L'âme de la victime avait disparu à ses yeux et c'était probablement la pire chose qui puisse lui arriver. A partir du moment où l'homme cesse d'être considéré comme un être humain toute pitié envers lui disparaît.
— Avant de mourir j'ai pu lui extirper quelques informations. Notamment qu'il allait régulièrement se ravitailler ici. Il travaille pour Rufus.
— Aucune idée, vraiment, répondit Aitsuki avec le sourire de la vérité.
Elle n'était effectivement pas au courant de cette histoire mais reconnaissait à présent l'homme mort. Elle avait bien vu Rufus discuter avec lui mais était incapable de dire s'ils étaient en affaire ou non. Si, à la manière dont elle les avait vu converser à voix basse, en effet Rufus l'employait. Mais, et ce mais était important, elle ne savait pas si Rufus était impliqué dans cet espionnage. Le conseil... Ce type aurait pu être Smo qui dormait souvent devant les portes du temple.
— Je ne suis pas au courant à propos de cette affaire d'espionnage Nox, alors arrête de ramener ton boulot dans ce bar.
Nox soupira de dédain, il avait une intuition et se fiait toujours à son instinct. Son instinct lui disait que Rufus était derrière tout cela.
— Je ne sais pas ce que ce type a récolté comme information, ni ce que Rufus veut en faire, mais un conseil, n'en faites rien. Vous pourriez déclencher une guerre.
Si seulement Aitsuki avait su, elle l'aurait certainement écouté avec plus d'attention. Mais elle négligea le conseil du mage-guerrier. Et lorsque Rufus revint à la charge à la fin du service elle accepta de l'aider. Son esprit fit bien le lien avec les paroles de Nox et son avertissement mais elle l'ignora.
— Rufus, demanda-t-elle avec une dernière hésitation, es-tu sûr de ce que tu fais ?
— J'en suis parfaitement conscient, je nous évite une guerre à grande échelle. Les cités se battent depuis des siècles et les chimères sont au cœur du conflit. Elles n'aiment pas du tout cela. Appelle Chaos.
Elle s'était exécutée, Rufus était entré en contact avec la Chimère. Quelques jours plus tard trois monstres étaient apparus dans le ciel de Théa et avaient dévasté la ville. L'attaque fut simple, efficace, radicale. Les chimères n'avaient pas fait dans la dentelle et avaient tout détruit sur leur passage. Elles semblaient ne pas avoir de cible particulière, elles attaquaient ce qu'elles voyaient. Aitsuki se rappela avoir hurlé lorsque le bar fut ravagé. Rufus était sorti se battre, ses instincts de mage-guerrier avaient repris le dessus. Tout était ensuite devenu noir. Puis l'hôpital.
Lorsqu'elle put enfin quitter l'hôpital, Aitsuki courut vers l'orphelinat où elle avait grandi. Elle soupira de soulagement alors que le bâtiment se dévoilait au détour d'une rue, intact. Rassurée, elle gagna ensuite la Chimère. La joie qu'elle avait éprouvée s'évapora comme neige au soleil à mesure qu'elle se rapprochait car le quartier avait subi de graves dégâts. L'auberge n'y avait pas échapper. Aitsuki découvrit avec horreur qu'il ne restait rien. La Chimère n'était plus qu'un tas de gravats.
Les larmes virent toutes seules en un flot torrentiel. Combien de temps resta-t-elle à pleurer ainsi ? Elle ne sut le dire mais le soleil avait disparu lorsqu'elle reprit ses esprits. Nox venait d'apparaître dans son champ de vision.
— Oui, j'aurais peut-être dû mentionner ce détail...
— Où est Rufus ? murmura Aitsuki entre deux sanglots. Dans le puits ?
— Tu es donc d'accord avec moi, sa place est dans le puits...
— Où est-il ? hurla la jeune femme.
— Il est mort.
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