5. Ligue clandestine
La nuit s'acheva et il en fut de même pour le service de la Chimère. Aitsuki et Rufus remontèrent les chaises sur les tables en silence. Chacun avait des informations à demander à l'autre mais la jeune femme était en colère contre le vieil homme et refusait donc de lui adresser la parole. Son comportement paternel mais surtout machiste au possible avait laissé un goût amer à la jeune femme. Ce bien qu'elle sache pertinemment qu'il lui avait probablement sauvé la vie. Pour sa part Rufus ne comprenait ni le fait qu'elle ne l'ait pas sollicité de suite, ni qu'elle lui tienne rigueur pour l'avoir aidée. Elle s'était mise dans un sacré pétrin avec Nox et ne le réalisait même pas.
Un client qui avait une chambre à l'étage vint demander à manger avant son départ. Aitsuki soupira puis acquiesça et prit la direction des cuisines tandis que Rufus passait un coup sur une table avant d'inviter l'homme à s'asseoir.
— Tu sais qu'on ne fait plus ça Harold ? prit soin de préciser Rufus, je n'ai pas assez de personnel pour être disponible jour et nuit.
— Tu sais où tu m'envoies Rufus, répondit l'homme, mieux que quiconque tu sais qu'il me faut des forces.
— Où vous envoie-t-il ? demanda Aitsuki qui revenait avec un plateau de victuailles froides.
Elle regarda Rufus à la recherche d'une réponse mais il détourna le regard. Le dénommé Harold quant à lui, s'empressa de croquer dans un fruit. Une fois la bouche pleine il était inconvenant de parler.
— Où va-t-il Rufus ? questionna encore la jeune femme.
Le vieil homme s'étonna à voix haute qu'elle ne boude plus, dans l'espoir qu'elle prenne la mouche et parte mais, à son grand désarroi, l'adolescente avait un caractère affirmé et volontaire. En temps normal il appréciait ces qualités qu'il avait décelées chez elle quelques semaines plus tôt mais pour l'heure elles l'incommodaient fortement.
— C'est trop tôt gamine, tu n'es pas prête, murmura-t-il.
— J'ai déjà Nox sur le dos, répliqua cette dernière, cela ne peut pas être pire.
Harold manqua de s'étouffer en entendant le nom du mage-guerrier et demanda aussitôt des explications : que venait-il faire ici et quelles étaient ses relations avec la jeune femme. L'homme avait une bonne quarantaine d'années et du vécu dans les pattes mais il tremblait presque de peur. Rufus répondit qu'Aitsuki aurait ordonné l'assassinat de deux mages-guerriers de Théa, au marché noir qui plus est.
— Et Nox a pris la mission ? s'étonna Harold, il a accès au livre noir ?
La peur était maintenant palpable dans la bouche de l'homme, Aitsuki ne comprenait pas tout mais une chose était sûre, cela n'avait rien de légal. Rufus leva les yeux au ciel et l'autre plongea le nez dans son vin, conscient qu'il avait trop parlé.
— Rufus... Tu es membre d'une ligue clandestine ?
Le crime était bien organisé à Théa et de par le monde. Outre les petits brigands il existait de grandes coalitions de criminels qui s'alliaient en ligues, obtenant ainsi un réseau et une organisation à l'efficacité proche de celle de Théa et des autres cités guerrières. Certaines ligues étaient si puissantes qu'elles avaient quitté la clandestinité et opéraient en toute illégalité au grand jour. Elles avaient évolué et étaient devenues des villages, des cités. Un petit pays était même né sous l'impulsion d'une ligue plus si clandestine. L'armée de Théa l'avait anéanti peu après sa création, au cours d'une guerre qui avait vu l'émergence de légendes, mais aux yeux de tous les criminels il avait eu le mérite d'exister. Les ligues clandestines étaient un fléau à éradiquer. Théa et son conseil avait horreur du crime organisé, sous toutes ses formes. Si Rufus en était membre alors tout le monde autour de lui était en danger.
— Et Nox... ajouta Atsuki, comme frappé par la foudre, le sait-il ?
— Disons qu'il s'en doute fortement, mais il n'a aucune preuve et n'en cherche pas vraiment.
— S'il en avait on serait tous morts, précisa Harold avant de se lever, mais je ne savais pas qu'il avait accès au livre noir des missions.
— Cela suffit, le coupa brusquement le patron de la Chimère, il ne l'a pas, elle a donné un ordre direct.
Harold tourna des yeux ronds vers l'adolescente qui ne savait pas trop sur quel pied danser.
— Tu as donné un ordre direct ? A Nox ! A un mage-guerrier ? A Nox ! Un ordre d'assassinat ? A Nox !
Il en perdrait presque la raison. Harold hésitait entre une admiration sans borne et une frayeur tout aussi grande. Elle était complètement folle.
— Va-t'en Harold ! ordonna Rufus, et tiens un peu ta langue ! Je n'ai que faire de fourmis bavardes !
Ce fou en dirait trop à la mauvaise personne un jour. Il baroudait depuis bien longtemps avec Rufus mais ce-dernier n'hésiterait pas à se passer de ses services s'il devenait trop bavard. Harold obéit et prit la poudre d'escampette, laissant le barman avec son employée.
Aitsuki passa une main dans ses cheveux afin de déplacer une mèche qui la gênait puis reporta son attention sur Rufus. Il nettoyait la place laissée vacante par sa « fourmi » tout en grommelant dans sa barbe.
— J'ai appris que tu avais été mage-guerrier, commença l'adolescente curieuse mais assez maligne pour ne pas directement entrer dans le vif du sujet.
Entre Nox et son instabilité mentale d'un côté, Rufus et ses activités hors la loi de l'autre elle marchait sur des œufs. L'idée d'aller les dénoncer tous les deux lui traversa l'esprit, malgré le peu qu'elle savait elle était quasiment sûre de pouvoir les envoyer dans le puit pour un bon moment. Le conseil serait pour sûr intéressé, peut-être même lui pardonnerait-il d'avoir sans le vouloir ordonné la mort des mages-guerriers. Aitsuki avait encore du mal à réaliser qu'elle avait fait une chose pareille. Tuer n'était pas dans sa nature, faire tuer non plus. Elle respectait la vie, même celle des deux monstres qui l'avaient torturée. Non le conseil ne serait pas clément, elle finirait aussi dans le puit. Et puis Rufus, si louche soit-il, l'avait aidée dès le premier jour. Ils formaient une bonne équipe à la Chimère, Aistuki était persuadée de mériter son salaire et la confiance du vieil homme. Ainsi, l'idée de trahison s'en fut aussi vite qu'elle était venue. Et puis ce n'était pas son genre.
— J'ai servi loyalement Théa pendant des années, déclara Rufus, je le fais même toujours, autrement.
— En étant hors la loi ?
— Je ne fais rien qui nuise à la sécurité de la cité, c'est même l'inverse gamine, sans moi Théa serait déjà tombée.
Aitsuki était assez sceptique, l'armée possédait de très bons éléments, ne serait-ce que Nox. Mais devant l'air déterminé de l'homme elle eut foi.
— Pourquoi as-tu quitté l'armée ?
— Afin de ne pas me faire bouffer par des loups prêts à tout comme Nox, et pour quelques désaccords d'ordre politique. J'aurais pu devenir le seigneur de Théa tu sais ? J'étais en lice.
La jeune femme comprit qu'il ne s'étalerait pas plus sur cette période de sa vie, du moins pas ce matin. Elle l'aida à nettoyer la place salie par Harold et soupira de fatigue, il leur fallait vraiment du personnel supplémentaire. Rufus, aussi harassé qu'elle acquiesça, il ajouta qu'il avait eu de la main d'œuvre avant, mais qu'il ne l'avait pas renouvelée.
— Il est en prison non ? demanda Aitsuki en se remémorant une conversation précédente.
— Oui, il y en a un en prison, l'autre a fui Théa avec sa tête mise à prix par le conseil.
— Quelle horreur ! s'exclama l'adolescente, ils l'ont retrouvé ?
— Le frère de Nox a touché la prime.
Aitsuki déglutit, le pauvre serveur avait probablement eu une fin de vie tout sauf agréable. Néanmoins elle insista sur le fait qu'ils avaient besoin d'employés pour gérer les clients la journée. Rufus rétorqua qu'il le savait bien, mais que le choix ne serait pas aisé, les hommes de confiance étaient rares.
— Promets-moi d'y songer Rufus.
— Fort bien gamine, on cherchera du renfort, mais avant cela il faut que l'on s'occupe de ton cas et de tes vingt-mille pièces.
— Tant que cela ?! Mais je n'aurai jamais une telle somme !
Rufus sourit, il lui annonça tranquillement que l'argent ne serait pas un problème, il lui avancerait sans souci. La jeune femme fut inondée par la reconnaissance, elle enlaça le vieil homme, ne sachant pas vraiment comment exprimer sa joie.
— Mais, dit-elle en se détachant de lui, je ne pourrai jamais te rembourser.
— Il va en effet falloir que tu fasses quelques extras, je ne parle pas de prostitution, ajouta-t-il précipitamment en voyant l'air outré de l'adolescente.
— Quoi alors ?
— Je vais t'apprendre la magie... Entre autres.
4y!Ew
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