41. Balle de paillettes
Bonne lecture !
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Le jour se levait sur Théa lorsque Nox, Aitsuki et Hayate sortirent des toilettes. Ils furent accueillis par Grogne, le corps dissimulé par son habituelle cape brune, une bière à la main. Il les dévisagea, avala la moitié de son verre d'une traite, et poursuivit l'alcôve qui lui servait de quartier général.
— Je ne veux pas savoir ce que vous préparez à trois dans ces toilettes.
Aitsuki rougit et fit rapidement le tour des tables. Elle soupira de soulagement et annonça à ses semblables que Grogne était seul. Il n'y avait pas d'autre témoin dérangeant.
— Je vais monter dormir, les prévint-elle. Je suis éreintée.
Elle partit en direction de l'escalier, toujours mal protégé par son sortilège, mais Nox lui barra la route. Il désirait le vase, Hayate également.
— Ce vase est précieux, insista le mage-guerrier de Théa. Les mères du conseil le voudront. Ne t'embarque pas dans la politique et donne-le-moi.
La jeune femme le repoussa et argua que le comité ne pouvait lui reprocher ce qu'il ignorait.
— Tant qu'aucun de vous deux ne parlera, nul ne saura où il est. Et si l'un de vous décide de me trahir, je compte sur l'autre pour l'assassiner. Oui Nox, je peux aller dans le puits pour cette phrase, mais il faut que tu comprennes que je suis exténuée !
Elle monta les escaliers avec la subtilité d'un rhinocéros au galop, les abandonnant en bas. Ils étaient adultes, ils sauraient se débrouiller. Des larmes de fatigue, un trop plein d'émotions se déversa un peu plus à chaque marche qu'elle grimpait. Elle arriva dans sa chambrée le visage trempé, récupéra sa serviette, son pyjama et un modeste panier en osier qui contenait toutes ses affaires de toilettes. Elle sortit dans le couloir, fit quelques pas, puis se ravisa et revint dans sa chambre. Elle ôta son sac, son manteau, ses bottes et lâcha le tout dans un coin de la pièce avant de repartir. Une fois sur le palier, elle jeta un œil vers les étages du bas, mais ne distingua que les lueurs du jour qui transperçaient les minuscules vitres des chambranles. Les deux nés-morts s'étaient peut-être décidés à retourner dans leurs casernes respectives. Après tout ils étaient soldats et avaient l'un comme l'autre des impératifs et des comptes à rendre, même Hayate.
Elle pénétra dans la salle de douches, faiblement éclairée par une petite fenêtre ronde creusée dans la roche dure des falaises de Théa et s'autorisa une pause. Les larmes reprirent, libératrices. Le stress, l'angoisse, la peur, la chimère agonisante, Aitsuki évacua tout. Elle se défit ensuite de ses vêtements, se rappela qu'elle n'avait pas ouvert les robinets du bain et s'approcha de celui-ci. L'eau était rare au milieu du désert, mais elle en avait grand besoin. Elle tourner les vannes puis se pencha vers son panier en osier. Aitsuki en sortit une minuscule sphère odorante pailletée qu'elle avait achetée une fortune peu de temps avant son départ de l'orphelinat. Elle l'avait trouvé un jour de marché, bien avant les attaques de chimères, lorsque la vie était légère. Un petit lot de quatre boules, que la vieille dame souriante lui avait vendu en lui assurant des minutes de pure féérie. Elle s'était promis de les garder pour les grandes occasions, et c'en était une. Aitsuki avait effectué son premier voyage en terres chimériques et y avait survécu. Elle immergea la sphère dans l'eau et admira un instant les bulles se former. Puis, elle alla vers la vasque de rinçage et entreprit de se décrasser. L'argile, comme l'odeur de Terpas, lui collait à la peau. Elle se frictionna, lava ses cheveux et fut enfin prête pour son bain. Elle stoppa les robinets puis plongea avec délice dans l'océan de mousse. L'eau était chaude, la mousse agréable, et les mains de Nox pénétraient les nœuds de ses épaules.
Aitsuki ouvrit les yeux et fit un bond à l'autre bout de la bassine. Elle jeta un regard vers l'endroit où elle avait imaginé le mage-guerrier, mais elle n'aperçut que la porte close. Elle inspira plusieurs fois profondément puis se détendit. Elle avait rêvé. Elle prit une position confortable puis ferma les yeux et vida son esprit.
— Tu me fais une place ? demanda quelqu'un sur sa gauche.
Aitsuki tourna le visage, vit Nox, et enfouit la tête sous l'eau. Avec un peu de chance il aurait disparu à l'instant où elle remonterait à la surface, ou bien allait-elle périr dans un bain de paillettes aromatisé à la framboise et ainsi finir agréablement sa vie. Cependant il était encore là lorsqu'elle émergea, sa longue chevelure blonde parsemée de mousse rose. Il n'avait plus son armure et paraissait donc dix ans plus jeune, mais elle aperçut une épée et une dague posées non loin. Nox s'était départi de sa tenue et de son parfum de mort, si tenace. Assis à côté du baquet, accoudé, il attendait la permission d'entrer dans l'eau.
— Nox, j'essaie de me détendre, d'oublier ce voyage exténuant, et si tu me parles encore de ce vase je t'étrangle !
— Je n'ai rien dit, répondit le jeune homme débarrassé de sa carapace noire.
— Je n'ai pas envie de me battre, insista Aitsuki, le corps masqué par une couche de mousse. Les larmes lui montaient aux yeux tandis qu'elle poursuivait. Je suis fatiguée et je ne veux pas...
Elle n'acheva pas sa phrase, elle avait plongé son regard brillant dans celui impassible de Nox et, sans réfléchir, avait enroulé ses bras autour de son cou et l'avait embrassé dans un élan de passion. Elle l'attira dans l'eau et accueillit toute la sorcellerie qu'elle invoqua pour eux. Si Chaos ne lui avait rien appris, il l'avait en revanche bien choisie. Les mouvements d'Aitsuki étaient imprévisibles. Tantôt elle convoquait des forces qu'elle ne connaissait pas, tantôt elle piochait dans la magie de Nox et réveillait toute sa haine avant de l'inonder d'un amour tellement puissant qu'il en devenait divin. Il mit un certain temps avant de parvenir à maîtriser ce flot d'enchantement, mais, lorsqu'il y parvint, Nox inversa la tendance. Aitsuki commença par résister inconsciemment, Chaos n'admettait aucun maître, mais, petit à petit, elle lui céda du terrain, jusqu'à s'abandonner. Chaos appartenait certes à la Trinité, mais Valefor également et jamais il ne laisserait une autre chimère le dominer. Il en était de même pour son né-mort. Une bonne partie de la magie du monde se trouvait attirée et contrôlée dans un baquet d'eau moussante d'un mètre cinquante de diamètre. La vapeur se dissipa, l'écume se mua en un million de bulles, et enfin Aitsuki et Nox se séparèrent, haletants. La jeune femme réalisa l'absence de couverture et, d'un geste pudique, s'enveloppa la poitrine des bras. Son compagnon ricana et baissa les yeux avant de remonter vers ses pupilles grises.
— Tu sais que je suis assis entre tes jambes ? .
Aitsuki voulut se reculer, mais Nox saisit le rebord du baquet derrière elle et la coinça contre le bois. Il se pencha un peu vers elle. Leurs nez s'effleurèrent, leurs lèvres également. Elle lui caressa la figure d'une main, le cou de l'autre et l'embrassa encore.
— Vous savez que vous êtes censés laisser la baignoire propre pour les suivants ?
La dague de Nox traversa l'air et se figea dans le mur, non sans avoir frôlé le visage d'Hayate.
— Trop occupé pour me repérer hein ? se moqua le seigneur d'Eos. Ainsi se vérifie le proverbe « Si tu cherches, la faiblesse d'un homme trouve la femme ». J'aurais pu vous tuer tous les deux.
— Hayate ! s'exclama Aitsuki qui se défit de Nox pour se déplacer vers le rebord auprès duquel elle avait déposé sa serviette. Quand es-tu entré ? Pourquoi ?
Le mage expliqua sa présence par un besoin de décrassage. Il les avait bien sentis tous deux dans la salle de bains, mais sa grande naïveté avait mal interprété les raisons de cette cohabitation.
— Les mages-guerriers d'Eos utilisent les douches communes d'Eos sans restriction et sans pudeur. Mais jamais je n'ai croisé de couples enlacés comme vous dans les thermes, du moins pas dans cette position.
Honteuse et humiliée, Aitsuki s'empara de sa serviette et s'en enveloppa en jaillissant de l'eau.
— Depuis quand es-tu ici ? demande-t-elle à son ami en sachant qu'elle n'affectionnerait pas la réponse.
— Assez longtemps pour regretter l'absence de Cherry.
Elle ne comprit pas son allusion et lui jeta un regard étonné tandis que Nox s'esclaffait et sortait lui aussi de l'eau. Il invita Hayate à prendre leur place.
— Il reste un peu de parfum dans l'eau, ce n'est pas de la cerise, mais tu devrais pouvoir imaginer Cherry, si mignonne, si jolie, si amoureuse de Takumi...
Hayate serra les poings.
— Tu... es... vraiment... une... enflure... Nox, articula Hayate.
Le mage-guerrier de Théa, les hanches enveloppées dans un linge, récupéra dague et épée, s'inclina bien bas et le salua avant de partir.
— Elle ne te mérite pas, abruti.
La porte se referma derrière lui, laissant Aitsuki et Hayate seuls. Aitsuki vérifia que sa serviette tenait bien autour de sa poitrine puis elle se leva, vida l'eau et farfouilla dans son panier en osier.
— Je suis heureux pour vous, tu sais ? lui dit Hayate dans son dos. Un peu jaloux, mais content. Les nés-morts ont rarement droit au bonheur.
Elle se tourna vers lui et lut la tristesse sur son visage. Les nés-morts étaient haïs.
— Tu veux me parler d'elle ? lui proposa-t-elle. De Cherry ? Je vais préparer ton bain.
— Nox en a fait un bon résumé, réagit Hayate. Elle est amoureuse de Takumi. Elles sont toutes amoureuses de Takumi.
— Alors elles méritent leur malheur, répondit tranquillement la jeune femme. Car une unique, voire même aucune, ne verra son amour partagé. Elles sont maudites, condamnées à aimer sans recevoir cette affection en retour. Et tu es plongé dans la même souffrance, mais conscient de l'être. Libère-t'en, aussi dur cela soit-il. Cherry n'est pas la seule femme sur cette terre.
Hayate sourit. Cela était plus facile à dire qu'à faire. Et elle ne connaissait pas les tourments du cœur, cette solitude. Elle avait Nox. Aitsuki lui accorda le point, mais persista.
— Cette Cherry, si parfaite soit-elle, n'est pas la seule femme d'Eos, ou de Théa, ou du monde. De plus, ajouta-t-elle. Je t'offre une dose de bonheur concentré qu'elle n'a pas.
Victorieuse, elle étendit les mains la sphère colorée qu'elle avait extirpée de son panier. Hayate méritait lui aussi sa pause béatitude. Elle la laissa dans le baquet vide, rouvrit les robinets et lui souhaita un agréable bain.
Elle récupéra ses affaires et retourna dans sa chambre. Aitsuki enfila son pyjama, tira le rideau et s'écrasa sur son lit.
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
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