4. Œil de fer
Les avait-il réellement assassinés ? Aitsuki essaya de sonder le visage de son client afin d'y détecter la vérité mais elle ne rencontra que le sourire goguenard que Nox affichait fièrement.
— Je ne t'ai jamais ordonné de les tuer, murmura-t-elle tout bas afin que lui seul l'entende.
— Oh que si, répondit-il avant d'avaler d'une traite un second verre. J'entendais ta voix résonner dans mon crâne comme si tu étais en train de me hurler dans les oreilles.
Il l'avait donc bien vue, traînée par ces monstres, et pourtant il n'avait rien fait pour lui venir en aide. L'incompréhension laissa place à la colère, une rage qu'elle ne laissa pas sortir. Seules ses larmes montrèrent à quel point elle lui en voulait, en faire plus serait risquer de mourir. Nox était craint par ses ennemis mais aussi par une bonne partie des habitants de la cité. Son enfance était ponctuée de morts toutes plus horribles les unes que les autres. Il avait tué des proches, son oncle notamment. Ce-dernier était pourtant un mage-guerrier redoutable mais, il n'avait rien pu faire face à la puissance meurtrière de son neveu. Nox avait aussi tué pour un regard de travers, de malheureux inconnus qui avaient simplement croisé sa route. Il était aliéné, pourri jusqu'aux tréfonds de la moelle.
— Tu as de l'instinct, constata le mage-guerrier amusé, c'est bien. Je t'aurais aidée avec plaisir mais, je n'en avais pas envie. Ils avaient déjà fini de toute manière.
— Ils auraient pu me tuer...
— C'est interdit par nos lois, nul n'est autorisé à tuer une chef de clan. Au pire tu aurais fini dans le puit, ajouta-t-il un brin moqueur.
Le puit, le petit nom de la prison de Théa. C'était une gigantesque construction creusée dans la roche. Un seul et unique escalier circulaire desservait toutes les cellules, la seule sortie était en haut. Plus une cellule était enfouie et plus le crime perpétré était grave. Aitsuki ne s'en était jamais approchée mais l'orphelinat n'en était guère éloigné et, parfois, lorsque la nuit était calme, on pouvait entendre des bruits étranges en provenance du puit. Certains disaient qu'il s'agissait de monstres emprisonnés en bas du puit, des créatures si redoutables que les laisser en liberté était impossible.
Aitsuki frissonna, elle n'avait pas songé à cette éventualité, elle n'avait jamais pensé un jour faire quoi que ce soit qui puisse l'amener au puit.
— Alors, reprit Nox, comment comptes-tu me payer ?
— Je... La jeune femme hésita longuement et chercha une porte de sortie.
Elle n'avait certainement pas la somme qu'il s'apprêtait à demander. Aitsuki ignorait le prix d'un double assassinat mais, à coup sûr, elle n'avait pas assez d'argent.
— Je n'ai pas la preuve de leur mort.
Nox haussa un sourcil et elle regretta aussitôt ses paroles. Elle venait de mettre en doute son intégrité, ce n'était peut-être pas la meilleure des idées. Heureusement pour elle Rufus intervint à ce moment. Le barman était peut-être vieux mais loin d'être stupide.
— Nox, tu l'embêtes...
— Elle a une dette de sang envers moi, répondit le guerrier.
— Tu lui as sauvé la vie ?
— Non.
— Alors elle n'a pas de dette de sang envers toi, revois ta technique de drague.
Le mage-guerrier ne parut pas apprécier cette dernière remarque, ni la première d'ailleurs, il se redressa et fit face à Rufus qui l'imita. Les deux hommes se regardèrent droit dans les yeux pendants quelques instants en silence. Au bout d'un moment les autres clients réalisèrent que quelque chose se tramait et cessèrent leurs conversations les uns après les autres pour se tourner vers les deux hommes. Aitsuki voulut intervenir mais Rufus la stoppa avant qu'elle n'ait pu dire un mot.
— Qu'a-t-elle fait pour mériter ton attention ? demanda posément Rufus.
— Qu'a-t-elle fait pour mériter la tienne vieil homme ? répondit Nox sur le même ton.
Ils faisaient un concours de testostérone, il n'y avait pas de meilleure description. Aitsuki les regarda l'un après l'autre puis finit par s'énerver, tant contre eux que contre elle-même.
— Je suis là ! Rufus ! Merci de ton aide mais je vais régler ce problème seule. Nox, quel est ton prix ?
— Demande à Rufus, il a tous les tarifs du marché noir... Je reviendrai dans une semaine.
Le mage-guerrier partit sur ces-mots, non sans un dernier regard noir envers Rufus qui lui renvoya la politesse. Lorsque la porte se ferma sur Nox, des applaudissements retentirent dans la taverne, puis les conversations reprirent de plus belle. Deux client happèrent le barman qui ne put poser la question qui lui brûlait à la jeune femme ce qui l'arrangea fortement. Elle partit s'occuper elle aussi de clients accoudés au bar, deux piliers de l'établissement qui venaient chercher leur dose quotidienne d'Oublitout. Ce petit alcool, pas très fort en goût, doux et délicat, avait une petite couleur rosée et un effet secondaire des plus intéressants : il provoquait une légère amnésie durant quelques heures. Idéal pour oublier une journée de travail harassant ou une vie décevante. La version concentrée, la Lithi, était en revanche interdite. La substance faisait partie des nombreuses drogues répandues au sein de Théa et plus généralement dans le monde. Elle provoquait des amnésies permanentes que peu de remèdes pouvaient soigner.
— C'est pour ça qu'on vient ici, déclara l'un des piliers à Aitsuki qui le servait, Rufus est l'un des rares à tenir tête aux mages-guerriers.
— Il est fou, murmura la jeune femme, il aurait pu le tuer.
— Oui et non, assura le second, Rufus était l'un des plus grands mages-guerriers de son temps. Il était même plus fort que le seigneur de l'époque, il aurait pu nous gouverner.
Les pensées d'Aitsuki s'attardèrent sur la jambe boitillante de son ami, elle avait du mal à l'imaginer dans l'une de ces armures rutilantes qu'arboraient les mages-guerriers. Qu'avait-il bien pu lui arriver ?
— Combat face à une chimère, répondit le premier.
Elle réalisa qu'elle avait réfléchit à voix haute.
— Il l'a tuée ? demanda-t-elle.
Question stupide, il ne serait pas là sinon. Ainsi Rufus connaissait la magie...
Aitsuki sourit en secouant la tête.
— Qu'y-a-t-il de drôle ? demanda l'un des deux ivrognes.
Je viens de comprendre le nom du bar...
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