29. Ménélas, du clan Arlingtonrow
Bonne lecture !
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Aitsuki demeura quelques temps assise sur un tas de couvertures qu'elle avait trouvées dans un recoin de la caverne. Les petites lampes murales magiques éclairaient les couloirs de leurs éclats blancs teintés de bleu. Dehors la tempête faisait rage, la porte, seule entrée physique à ces souterrains, tremblaient sous les coups des vents tumultueux. Aitsuki soupira, La Chimère était une fois de plus à reconstruire. L'auberge, à peine inaugurée, n'était plus qu'un tas de gravats, au mieux. L'argent de Rufus, le peu qu'il restait dans les coffres de la ligue clandestine, s'était envolé dans les airs. Aitsuki songea que le vieil homme la giflerait pour avoir si mal géré son affaire. La jeune femme avait pourtant fait des efforts, elle connaissait par cœur les sorts pour les cachettes secrètes, des plus petits donnant accès à une petite niche à l'image de la réserve de Lithi, aux plus grands, portails à travers lesquels pouvaient passer des humains. Cette magie rare et ancienne était la raison de la survie de La Chimère ; jamais une perquisition dans l'auberge n'avait porté ses fruits, et pour cause, rien de compromettant n'était stocké en ces lieux. Quant aux portails il fallait en être le créateur ou avoir donné de son sang pour en détecter les traces éphémères. Non, la ligue n'était pas particulièrement en péril de ce côté-là. En revanche l'attitude pataude des membres, leur flemme aussi énorme que le trou de leur bourse causerait assurément leur perte. Et que dire de la double destruction du bâtiment ? Non, Rufus ne serait vraiment pas content, s'il revenait un jour.
Aitsuki songea à Grogne, Smo et tous les autres. Combien d'entre eux avaient réussi à fuir ? Combien s'étaient battus ? Combien avaient péri ? Théa faisait face à sa seconde attaque de grande ampleur en quelques mois et l'identité des premiers attaquants n'était toujours pas connue. Nul doute que le conseil allait sévir après tant de catastrophes. Combien y aurait-il de morts aujourd'hui ? Aitsuki serra un peu plus une couverture contre elle et laissa les larmes couler le long de ses joues.
— Joyeux anniversaire Aitsuki, murmura-t-elle, soit moins lâche qu'à présent.
Elle resta prostrée plusieurs heures, à moitié endormie, puis se décida à explorer les lieux. Ce n'était pas très grand, quelques petites cavernes reliées par des couloirs étroits et réparties sur une demi-douzaine de niveaux. Certaines pièces étaient percées sur l'extérieur mais, pour l'heure, de lourds volets de bois en scellaient les ouvertures. La présence de quelques meubles dont des lits lui rappela l'histoire troglodyte de Théa. Rufus réservait certainement ces chambres à certains membres de la ligue. Aitsuki entra dans l'une d'elle et s'approcha d'un long et large coffre orné de symboles gravés dans le bois clair. Elle voulut l'ouvrir mais une décharge magique l'en empêcha, son propriétaire ne tenait vraisemblablement pas à ce que l'on touche à ses affaires. Hormis les chambres et quelques points d'eau, l'endroit ne contenait que quelques pièces vouées à entreposer des babioles et autres matériels auxquels Rufus ne prêtait guère d'importance. Aitsuki ne trouverait rien de précieux ou dangereux ici. Rufus avait des caches plus... sécurisées loin d'ici. Elle fouilla un peu partout pendant encore une bonne heure puis se rendit à l'évidence : elle pourrait passer encore des heures, voire des jours, à tout explorer, cela ne changerait pas la situation. Elle se devait de rassembler tout son courage et de sortir. Ces frais murs de roche nus étaient un cocon dans lequel elle ne pouvait décemment demeurer ad vitam aeternam. Aitsuki chercha une cape dans le bric-à-brac de Rufus, en dégotta une rouge brodée d'or, criarde mais intacte et de bonne facture et s'en para. Puis elle retourna vers la petite porte de bois qui avait cessé de trembler et, inspirant un bon coup, sortit.
Dehors les éléments étaient calmes. Le vent était tombé, la lune était montée et, dans la nuit, les habitants de Théa s'éparpillaient pour trouver des survivants. Du long des parois rocheuses beiges et ocres scintillaient des centaines de torches, allumées dans toutes les ouvertures des habitations troglodytes. La cité dévoilait tous les recoins des falaises entre lesquelles elle fut construite. Plus aucun bâtiment ne subsistait debout, la cité était revenue à son état premier, lors de sa fondation. Aitsuki sentit son cœur être broyé par un étau invisible, pris par le choc de voir la cité défigurée, et à la fois si belle. Jamais Théa n'avait autant brillé que dans ce qui était devenu une mer de gravats surplombé d'or. Elle avait sous les yeux les habitations des grandes familles, creusées à travers la roche, sur tous les contours de la place. Au centre, sans abris, le reste de la population s'affairait à sauver ce qui pouvait l'être.
Aitsuki marcha au hasard, puis sentit Hayate et se laissa porter par sa trace. Elle le remercia en for intérieur pour ne pas s'être masqué. Nox, lui, était absent, indétectable. La possibilité qu'il soit mort n'était pas négligeable mais Aitsuki ni croyait guère, elle ne le détectait jamais. La jeune femme marcha, courut presque, à travers les décombres et découvrit Hayate, un bras en sang et la lèvre meurtrie, alors qu'il se faisait soigner par l'un de ses hommes.
— Je suis heureux de voir que tu n'as rien, s'exclama-t-il avec un grand sourire.
Ce n'était pas tout à fait vrai. Aitsuki avait essuyé quelques plâtres durant sa fuite à travers la tempête. Elle était couverte de bleus et d'écorchures et aurait bien besoin d'un bon bain, mais elle était vivante et en un seul morceau.
— Où est Nox ? Demanda-t-elle inquiète, ce qui vexa Hayate qui prit un air boudeur.
— Il va revenir, il est parti chasser la seule chimère qui lui ait réchappé. Ce mec est terriblement fort, et terriblement fou.
— Ce sont des chimères qui nous ont attaquées ? Encore ?
Hayate hocha la tête en signe d'approbation. Ce n'était rien de plus qu'une bonne vieille attaque de chimères.
— Principalement du niveau deux et trois, même si je pense avoir repéré Ninurta – chimère niveau 4 – précisa-t-il alors qu'Aitsuki haussait un sourcil. Je suis étonné qu'il y ait eu tant de dégâts, même les mages-guerriers de Théa sont capables d'abattre une chimère de niveau trois.
Il s'était lancé dans un monologue incompréhensible dont ses guerriers semblaient saisir le sens. Aitsuki, elle, était complètement perdue. Elle maudit une fois encore Théa de ne pas l'avoir accepté dans les rangs de l'armée, et Rufus pour lui avoir appris à mettre des couleurs dans un ciel blanc mais pas à différencier les chimères.
— Je crois que la tempête est le point le plus inquiétant, poursuivi Hayate en observant le ciel étoilé. Elle n'avait rien de naturel. Elle était chargée en magie, d'où l'impact sur les bâtiments, et les chimères étaient cachées dedans. J'espère que Lux a identifié le responsable. J'ai hâte de rencontrer ce mage. C'était vraiment une belle tempête.
— Elle a tué beaucoup de monde, et tout détruit, fit remarquer Aitsuki, non sans également lui demander pourquoi il faisait mention du frère de Nox.
— Où étais-tu pendant la bataille ? demanda Hayate avant de la railler en entendant sa réponse. C'est sur le champ de bataille que se déroule le spectacle, pas au fond des cavernes. Lux a réussi à stopper la tempête, ne me demande pas comment, j'ai hâte de le savoir. Après ce fut un carnage. Il y avait de la chimère à ne plus savoir qu'en faire. D'ailleurs, tu as raté les mille épées. Nox dans toute sa splendeur, tuant tout, et je dis bien tout, même le pauvre gosse de Théa qui passait par là, sur son passage. J'adore cette attaque.
A l'entendre Aitsuki ne put douter de ses paroles. Il avait l'air rêveur de quelqu'un qui évoquait un doux souvenir. Elle resta un moment avec lui, trop choquée pour savoir quoi faire. Elle repensa à l'homme qu'elle avait essayé d'aider avant de se mettre à l'abri. Elle était repassée par le même chemin et n'avait même pas songé à aller voir s'il était encore là. Perdue, elle était complètement perdue. Devait-elle aller à l'orphelinat pour chercher des survivants ? Partir vers l'hôpital, heureusement creusé dans la roche ? Ou bien chercher des membres de la ligue ? Elle ne savait pas quoi faire. Une crise et adieu ses moyens et son bon sens. Voilà pourquoi elle n'était pas un bon leader.
Un mage-guerrier arriva près d'eux. D'instinct, les gardes d'Hayate portèrent une main à leur garde mais laissèrent l'homme passer. Il s'inclina devant le seigneur d'Eos et l'invita à le suivre jusqu'aux ruines du temple. Le conseil restreint s'y était réuni et le convoquait. Aitsuki le suivit à son invitation et ils arrivèrent bien vite au centre de la cité, dans une foule dense et compacte. Ils se frayèrent un chemin, menés par le mage-guerrier, jusqu'à l'emplacement du temple, à présent une pile de pierres. Ils arrivèrent et Aitsuki ne put réprimer un cri d'horreur. A terre, juste devant eux, s'étalaient les corps des dix femmes chefs de clans qui composaient le conseil restreint, baignant dans leur sang.
— Ce n'est pas moi, déclara Hayate en écartant les bras.
— Je le sais, lui répondit un mage-guerrier qui s'avançait vers lui tout en ôtant son casque. C'est moi.
Aitsuki ne le connaissait pas, ni sa barbe brune fournie, ni sa longue chevelure de la même couleur et son visage doré ne lui étaient familiers. La foule, elle, semblait le connaître puisqu'un murmure d'effroi la traversa. L'homme s'écarta et fit place à un autre plus vieux, mais assurément de la même famille. Il marchait avec une canne, mais fièrement, il suintait l'auto-suffisance et l'arrogance par tous les pores. Il s'adressa, non pas à la foule ni à Hayate, mais à l'un des cadavres.
— Vois-tu ma chère mère, le temps des femmes est révolu.
Puis il se tourna vers la population, aussi hagarde qu'Aitsuki.
— Je suis Ménélas, chef du clan Arlingtonrow, à la suite d'une prise de pouvoir quelque peu... sanglante, n'est-ce pas très chère ? ajouta-t-il pour sa génitrice égorgée à terre. Cette attaque sur notre cité était l'attaque de trop, il est temps que les hommes reprennent les rênes du pouvoir, afin de garantir la sécurité de Théa ! La pouvoir aux hommes !
D'abord fut le silence, puis une clameur monta de la foule. Le sang appelait le sang. En un instant, le système politique de Théa tomba. Ce fut l'anarchie, le chaos.
— J'applaudis l'audace, murmura Hayate à l'oreille d'Atsuki. Je ne serais pas surpris que l'on découvre qu'il fomentait cela depuis des années, peut-être est-il même responsable de l'attaque.
— Il n'aurait pas osé, répondit Aitsuki sur le même ton.
— La soif de pouvoir peut nous faire faire des choses tu sais.
— Je n'arrive pas à croire qu'il profite de ce drame pour tuer sa mère et renverser les chefs de clans.
— D'ailleurs, Aitsuki, si tu as besoin d'un mâle dominant, tu peux venir sous ma tutelle à Eos. Je suis nettement plus appréciable que Nox.
Aitsuki voulut répondre mais elle se retint, l'armée, sous les ordres du nouveau dirigeant, dispersait la foule en criant. Il fallait soigner les blessés, et que chaque clan s'organise autour de cette nouvelle organisation.
— Les chefs de clans dissidentes peuvent venir mourir sous ma lame ! Cria Ménélas.
Il était on ne peut plus clair sur ce point.
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
J'espère que vous allez bien.
Axel.
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