24 Flammèche
Un long chapitre pour me faire pardonner cette absence.
Bonne lecture !
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Aitsuki sourit toute la nuit, le soulagement de savoir Nox vivant s'étalait largement sur son visage. La Chimère n'accueillait pas grand monde cette nuit-là, la nouvelle de la mort du seigneur de Théa n'était pas encore parvenue aux oreilles du conseil et la jeune femme évitait soigneusement d'en parler. Ainsi, elle ne dépendait à ses rares clients qu'en imitant à la perfection Grogne. Le mage-clandestin, assis au comptoir, comme de coutume, observait sa leader tout en buvant une sorte de bière issue de la fermentation d'une céréale locale. Aitsuki l'effrayait, sa joie palpable, sa bienveillance de tenue, tant de bonté d'un coup ne pouvait que cacher quelque chose de louche, de très louche. Néanmoins, il ne parvenait pas à trouver le courage de lui parler. Il mourait d'envie d'obtenir des explications, mais son instinct de survie lui conseillait de rester loin. La patronne de la chimère nettoyait des verres en chantonnant, offrait des boissons à tour de bras et ne broncha même pas lorsque deux talents en vinrent aux mains. Ce dernier acte eut raison des craintes du mage clandestin qui osa demander l'origine de cette bonne humeur à sa leader. Aitsuki lui sourit, le resservit, et lui répondit qu'il n'y avait pas de raison particulière.
— Ouais, et Typhon est un ange, rétorqua Grogne.
— J'ai réellement hâte de le connaître en ce cas.
— Tu me fais peur chef, vraiment.
— Je ne peux pas simplement être de bonne humeur ? demanda Aitsuki. C'est un crime la joie ?
Il avait réussi, elle était à présent de mauvaise humeur. Aitsuki râla en rangeant une bouteille puis passa ses nerfs sur les malheureux-clients qui possédaient une ardoise dans l'établissement, soit tous.
— Et il serait temps que vous ayez tous envie de lecture ! créa-t-elle d'une voix forte afin que chacun l'entende d'un bout à l'autre de l'auberge. La trésorerie était au plus bas, Aitsuki ne pouvait décemment pas continuer à piocher dans les réserves de Rufus. Elle râla, le temps de l'euphorie était passé. Nox était vivant, comme toujours en somme, inutile d'en faire toute une histoire. La nuit passa, lentement, calmement, sans grand intérêt. Personne n'était revenu de voyage en terre étrangère, par conséquent aucun client n'avait de nouvelles ou de rumeurs fraîches. La seule information valable, la mort du seigneur de Théa, était connue d'Aitsuki seule, et vue la manière dont elle l'avait obtenue, il valait mieux ne pas l'ébruiter.
Une partie des clients quitta l'auberge peu après cinq heures. Les patrouilles prenaient une pause de quelques minutes, c'était le moment idéal pour filer en douce. Le reste de la clientèle profiterait la relève au lever du jour pour en faire autant.
Il ne demeura bientôt que trois clients, et Grogne qui comptait plus comme un meuble. Ils étaient chacun à une table différente, dans un recoin de l'auberge. Deux sur trois portaient une capuche qui dissimulait partiellement leur visage, le dernier était tellement barbu et chevelu qu'il était impossible de l'identifier. Ils buvaient leurs boissons respectives en silence.
L'ambiance était si calme qu'elle en était devenue morbide, Aitsuki se surprit à avoir peur dans son propre établissement. La fin du service approchait, mais pas assez vite à son goût. La porte principale s'ouvrit et un individu entra, couvert de poussière et de saleté. Le visage et le corps dissimulés, il avança vers le comptoir, le bruit de ses pas brisant le silence. La patronne le reconnut lorsqu'il parvint devant elle, et visiblement Grogne aussi puisqu'il grommela des salutations et s'en fut sans demander son reste. Aitsuki se dirigea vers l'arrière du comptoir, approcha du mur, saisit une cordelette et la secoua. La petite cloche de bronze ainsi tintée annonça à tous que la Chimère fermait. Les trois clients se levèrent, payèrent sans un mot, et disparurent dans l'ouverture de la porte. Aitsuki et le dernier arrivé devinrent les seuls êtres vivants des lieux, souris et autres rongeurs mis à part.
— As-tu fait ton rapport ? demanda la patronne pour briser le silence.
Elle sortit deux verres, attrapa la bouteille, la vraie, de cœur de feu, et les servit.
— Tu te prends pour ma chef de clan ? lui répondit Nox avant de vider son verre d'une traite.
— J'aimerais que le conseil apprenne la mort de notre seigneur. Il a été assassiné, ainsi que son escorte. Je doute que ce soit l'œuvre de simples brigands.
Nox ricana, ce qui était effrayant. Si elle tenait tant à prévenir le conseil qu'elle le fasse elle-même.
— Ils seront contents de savoir que tu te promènes dans les royaumes chimériques malgré les interdictions.
Aitsuki lui ordonna de baisser d'un ton. Certes ils étaient seuls, mais prudence était mère de sûreté.
— J'irais faire mon rapport tout à l'heure. Avant cela, j'ai besoin de savoir si tu as vu quelque chose, ou quelqu'un.
La jeune femme fouilla dans ses souvenirs, mais rien ne lui vint, à part la chimère et une pluie de sang, elle n'avait rien croisé d'extraordinaire. Nox en fut mécontent, mais il ne put l'en blâmer, lui-même n'avait découvert aucun indice.
— Les blessures indiquaient des lames, les tueurs sont vraisemblablement humains, mais je n'ai rien pu trouver de plus, des gens s'approchaient, trop nombreux pour moi, j'ai filé.
Aitsuki haussa un sourcil, il était peu probable qu'il dise la vérité, Nox ne refusait jamais un combat. Cependant, elle n'était plus à un mensonge près. Une autre question la taraudait, bien plus importante...
— As-tu vu Rufus ? Un quelconque indice sur sa localisation ? Est-ce qu'il est responsable de ce massacre ?
À cette dernière question Nox lui dépendit par la négative.
— Ce n'est pas son genre, et son style de combat n'aurait pas laissé les mêmes marques de blessures.
Aitsuki se permit un sourire, une marque sur le corps pouvait vous innocenter d'un crime. Si un jour elle, passait du côté obscur elle ne manquerait pas de s'en rappeler et d'apprendre le style de combat d'un autre. Nox redemanda un cœur de feu, mais elle n'eut pas temps de le servir. Le son grave d'une corne retentit dehors. Le bruit sourd grondait dans toute la cité et n'avait qu'un seul usage : prévenir tout le monde. En un instant tout Théa s'éveilla. Mille lumières jaillirent des maisons.
Aitsuki, sortie avec Nox dans la ruelle plus éclairée que jamais, observa l'agitation pour en découvrir l'origine. Le mage-guerrier bondit dans les airs et disparut. La panique gagnait toute la cité alors que les patrouilles ordonnaient à tous de rentrer à l'intérieur.
— Les chefs de clan sont convoquées au temple ! hurla un garde alors qu'il couvrait dans la ruelle avec deux autres.
Aitsuki rentra précipitamment prendre un manteau, puis partit en direction du temple, elle voulait savoir. Elle n'avait pas atteint la première intersection qu'elle fit demi-tour. Elle retourna sur ses pas et récupéra deux mouchoirs de couleur en se promettant de toujours en avoir en poche. Elle se joignit ensuite au flot de femmes, escortées ou seules, qui convergeaient vers le temple. La grande salle du conseil fut rapidement pleine à craquer, aucune chef valide n'avait ignoré l'appel. Quelques femmes, comme Aitsuki, étaient vêtues normalement ou portaient une armure, mais la plupart d'entre elles étaient emmitouflées dans de longues capes dissimulant leurs vêtements de nuit. Dans la précipitation, nulle ne s'était souciée de son apparence. De nombreux mages-guerriers, hommes et femmes, se tenaient positionnés aux abords des portes, une main sur le pommeau de leur épée. Les tâches aux flammes vacillantes illuminaient un conseil aux palpitations flagrantes. La corne ne sonnait qu'en cas de danger imminent, et gravissime. Sa dernière utilisation remontait à plusieurs mois, lors de l'attaque de la chimère.
Aitsuki s'assit auprès de chefs de clan aussi soucieuses qu'elle. Elles patientèrent quelques minutes, s'échangeant leurs appréhensions et inquiétudes, avant de se taire sur ordre d'autres chefs plus âgées. Les portes de la salle du conseil furent closes et la réunion débuta. La plus âgée des chefs, aidée de deux autres, s'avança jusqu'au centre de la pièce et, accablée, demanda à une troisième femme de la rejoindre. Elle lui saisit les deux mains sous les gémissements d'une partie de l'assemblée et l'étonnement de l'autre avant de la serrer contre elle puis, finalement, s'adressa au conseil.
— Le seigneur de notre grande cité a été assassiné, déclara-t-elle d'une voix éteinte.
L'effroi gagna la foule. Aitsuki essaya de paraître surprise et, submergée par l'émotion collective, pleura avec les autres. La doyenne patienta et, le choc passé, au nom de l'entièreté du conseil présent, assura à la femme dont elle tenait encore une main que la mort de son fils serait vengée. Aitsuki découvrit ainsi la grand-mère de Nox qu'elle étudia. Dignité fut le premier mot qui lui vint à l'esprit. Drapée dans sa cape tel un bouclier, la vieille femme n'avait laissé couler qu'une larme, elle qui venait d'apprendre la perte de son enfant.
— Le seigneur d'Eos est ici, annonça ensuite la doyenne. C'est lui, oui mes sœurs, c'est notre ennemi, lui et ses hommes, qui ont découvert notre seigneur et son escorte dépossédés de la vie. Il est arrivé cette nuit aux portes de la cité avec les corps et nous a demandé audience, en paix. Il s'est exprimé devant le conseil restreint, mais nous avons souhaité qu'il s'adresse à vous toutes. Certaines s'y opposent-elles ?
Qui s'opposerait à cela ? Un ennemi qui vient en paix ramener un mort, quelle première dans l'histoire des cités ! Aucune voix ne s'éleva contre la proposition et les portes s'ouvrirent pour accueillir le seigneur d'une cité officiellement en guerre avec Théa.
Un homme entra, suivit de deux gardes aux armures rougeoyantes et de plusieurs mages-guerriers de Théa parmi lesquels Lux et Nox. Aitsuki s'attarda sur ce visiteur qui marchait vers le centre de la pièce. Du haut des gradins de pierres, elle le détailla. Il était jeune, une petite vingtaine d'années, des épis dorés en guise de cheveux et un regard bleu malicieux. Il inspirait la sympathie et la joie alors même qu'il venait raconter la mort du père de Nox. Aitsuki secoua la tête, ce type avait peut-être tué le seigneur, aucune sympathie ne devait lui être accordée. La jeune femme déporta son regard sur les deux frères un peu plus loin. Il était de notoriété publique que Nox n'avait aucun sentiment amical pour feu son père, mais ni lui, ni Lux ne reflétait d'émotion. Les deux hommes étaient impassibles. La voix du seigneur d'Eos était forte, claire, chaude. Il décrivit les circonstances qui l'avaient menée à découvrir les corps du seigneur de Théa et de son escorte. Il nia farouchement toute implication dans sa mort et promit d'apporter son aide au conseil afin de faire la lumière sur cette affaire et d'identifier les coupables. Aitsuki trouva son récit stérile, il était aussi prolifique en détail que Nox. Le seigneur d'Eos frappait, en pleine nuit, à la porte de Théa, pour ramener le corps du seigneur de Théa, qu'il avait trouvé près de la frontière d'Urane, en terre chimérique ? Il mentait. Aitsuki le savait, mais elle ne pouvait le dire sans risquer quelques soucis. Urane était tout au nord du monde. Le royaume de Clios séparait Urane, de Calliope, au sud, là où le père de Nox était mort. Eos était à la frontière est d'Urane, à plusieurs jours de route de Théa et Calliope. Les soldats d'Eos étaient bien loin de chez eux, et bien trop proches de Théa pour être honnêtes.
La fin de la réunion fut annoncée et la doyenne invita officiellement leur hôte à séjourner quelques jours dans la cité pour qu'il se repose. Le fait était commun à l'entrelacs diplomatique, mais aux vues des relations avec Eos, un brin étonnant. La séance fut levée et ces dames invitées à regagner leurs lits. Aucune d'entre elles ne saurait répondre dans l'heure à cette invitation, car il était certain que les autres habitants de la cité les attendaient de pied ferme dans leurs demeures, mais la simple idée du repos fut suffisante.
Les premières lueurs de l'aube frappaient les vitraux de leurs rayons orange, chassaient la torpeur de la nuit, et promettaient une journée sans tempête. À l'inverse de ses congénères, Aitsuki ne se dirigea pas vers la sortie, mais descendit vers la scène centrale. Les chefs de clans siégeant au conseil restreint s'y étaient rassemblées, mais ce n'était pas elles que la jeune femme souhaitait rencontrer. Le seigneur d'Eos l'intriguait depuis qu'elle avait posé les yeux sur lui, pour une raison obscure. Elle sentait quelque chose, en son cœur était né une étrange sensation, une familiarité qu'elle ne saurait expliquer. Ses battements de cœur s'étaient faits plus puissants, plus rapprochés. Il émanait de cet homme une aura rassurante, à l'image de celle de Rufus. Aitsuki jurerait être capable de discerner les contours de cette aura dorée. Elle monta lentement sur la scène, ignora Nox occupé avec sa mère, et s'approcha des étrangers. L'un des gardes, main sur son arme, la vit et lui fit signe de s'arrêter, mais son seigneur le stoppa et avança vers elle, sourire aux lèvres. Est-ce qu'il ressentait la même chose ? Cet homme suait la gentillesse et puait la sympathie, on ne pouvait que sourire en sa présence.
— Bonjour ! Je suis Hayate, seigneur d'Eos et d'Urane.
Aitsuki eut l'impression de retrouver un vieil ami.
— Bonjour, je suis...
— Occupée à partir, l'interrompit Nox qui la saisit par le bas. Je sais que tu l'as senti, ajouta-t-il pour elle à voix basse, mais il est dangereux, et si toi tu as réussi à le sentir, tu peux être sûre que lui aussi.
— Nox ! Rabat-joie ! Laisse-nous faire connaissance, lui dit Hayate en faisant signe de s'éloigner à ses gardes pour plus de tranquillité. Cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu un peu de chaos dans ma vie.
Ce mot lui fit l'effet d'une douche glacée. Aitsuki fit un pas en arrière. Il était possible qu'il l'ait innocemment employé, mais l'avertissement de Nox résonnait à présent dans ses oreilles, preuve s'il en était de la nécessité de fuir.
— Je, je dois partir, bredouilla-t-elle. Je vous souhaite un agréable séjour dans notre cité.
— Pas si vite, se plaignit Hayate. Nox est de piètre compagnie, il est aussi sympathique qu'une chimère avec une rage de dents.
C'en était trop pour Aitsuki qui s'enfuit sur-le-champ. Elle entendit à peine la remarque acerbe que Nox fit à leur invité, aussitôt réprimandé par sa mère, et elle quitta rapidement le temple. Une fois dehors, elle courut jusqu'à l'auberge, en claqua la porte, et verrouilla celle-ci à double tour.
— Pourquoi nous enfermes-tu ? demanda une voix derrière elle.
Aitsuki se retourna, puis hurla. L'auberge était pleine de clients. Tous les habitués de la Chimère s'y étaient donné rendez-vous.
— Qu'est-ce que vous faites-là ?
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
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