22. Les plaines de Calliope
Bonsoir !
Prêts ?
Bonne lecture !
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— Grenouille !
Une nuit comme une autre à la Chimère, une patrouille approchait de l'auberge et tout le monde devenait aussi innocent qu'un agneau nouvellement né.
— Bonsoir messieurs ! les accueillit joyeusement Aitsuki alors qu'un groupe de quatre mages-guerriers pénétrait la salle principale de l'auberge.
Les mages ôtèrent leurs casques et Aitsuki ne put retenir une légère exclamation de surprise avant de se reprendre.
— Oh, pardon, mesdames.
Nul élément de l'armure des mages-guerriers ne permettait de distinguer le sexe de son porteur. Au combat, la violence des coups, la fureur des armes et la rage de vaincre étaient identiques. Seule la clémence différenciait un homme d'une femme : les maîtresses de Théa ne faisaient jamais de prisonniers.
— On nous a signalé des activités suspectes aux abords de votre établissement, déclara une femme à la voix ferme.
— Je ne suis pas responsable de ce qu'il se passe en dehors de ces murs, répondit tranquillement Aitsuki. Mais puisque vous évoquez le sujet, ma clientèle ne se sent pas très en sécurité dehors. J'aimerais que le conseil s'intéresse un peu plus au sort des petits commerçants honnêtes comme moi. Toute cette insécurité nuit à ma prospérité.
Bluffer, il fallait bluffer, tenter le tout pour le tout. Les mages-guerrières en face d'elle n'étaient pas stupides, la Chimère était située dans le pire quartier de la ville. Seulement, sans preuves, elles ne pouvaient rien faire.
— Il vous suffit de demander à votre chef de clan de plaider votre cause au conseil, lui dit celle qui semblait diriger la patrouille alors que les autres parcouraient la pièce et scrutaient les clients silencieux.
— Je suis la chef de clan, déclara Aitsuki sur un ton ferme. Et si vous n'avez pas d'autres questions, je vous demanderai de quitter mon établissement, vous effrayez mes clients, à moins que vous ne désireriez prendre un verre ? J'ai reçu hier toute une cargaison de jus de baies marines, un vrai délice de fraîcheur.
Le regard que lui lança la mage fut éloquent, Aitsuki y répondit par un large sourire forcé et les regarda quitter l'auberge avec grand soulagement. Elle attendit impatiemment que la porte se referme, les lèvres douloureusement étirées, puis, une fois certaine que la patrouille fut dehors, se retourna rapidement, saisit une bouteille sur l'étagère, attrapa un verre, se servit une rasade et l'avala d'un trait. Elle reposa son verre, hésita un instant, et se resservit.
— J'ai bien cru qu'elles allaient nous arrêter, murmura-t-elle pour elle-même.
Un client grogna pour attirer son attention et la vie nocturne reprit son cours.
Rufus avait disparu depuis quelques mois maintenant, il n'y avait toujours aucune trace de lui et même la foi d'Aitsuki commençait à s'ébranler. Pour ne rien arranger Nox n'était toujours pas revenu de sa mission et le conseil de Théa avait durci les règles liées au débit de boissons. Bientôt la Chimère ne servirait que du thé sans feuilles.
La patronne ferma plus tôt qu'à l'accoutumée, le soleil ne pointait pas encore mais, cette nuit elle n'avait pas envie de travailler.
— Tout le monde dehors ! s'écria-t-elle. On ferme !
Plusieurs clients lui firent remarquer l'absence de lumière naturelle mais elle leur répondit fermement que s'ils souhaitaient rester ils pouvaient se payer une chambre.
— Bande d'accros à l'oublietout ! Contribuez donc un peu à l'établissement au lieu de vous enivrez. Partez donc travailler un peu !
Certains demandèrent de la lecture, manière discrète de demander à avoir accès au livre magique des missions : le livre noire de la ligue. La ligue tenue par Aitsuki était certes une ligue clandestine, mais la nouvelle chef imaginait facilement que le plus gros délit commis par ses membres était l'ivresse sur la voie publique. Elle n'avait encore croisé aucune personne désireuse d'un fait d'armes ou d'une mission un peu délicate, à part peut-être le fugitif rencontré quelques jours avant. De fait les coffres sonnaient creux, l'or manquait. Pas de mission effectuée, pas d'argent dans les caisses d'Aitsuki qui se demandait comment pouvait bien faire Rufus en son temps.
— Vous ne voulez pas de fait héroïque pour changer ? demanda-t-elle aux deux hommes qui cherchaient une simple rapine.
— Pas envie de mourir, grommela l'un d'eux.
Leur chef soupira et songea à voix haute à ce qu'aurait fait Rufus.
— Il ordonnait, c'est tout, répondit Grogne en quête lui aussi d'un peu d'argent. Et la plupart des gars sont à l'extérieur du royaume. Ils attendent probablement que l'enquête du seigneur se tasse avant de revenir.
— Nous avons donc vraiment de bons éléments ? s'étonna Aitsuki tout en parcourant les pages du livre noir. Kidnapping ? 15 000 pièces d'or. Oh non, une petite fille...
— Je prends, déclara rapidement Grogne avant qu'elle n'ait le temps de refuser la mission. Et ouais nous avons quelques poids lourds. Je suis d'ailleurs surpris que Typhon ne soit pas déjà là, j'aurais pensé qu'il serait le premier de retour après la mort de Rufus.
— Pourquoi donc ? Il voulait sa place ?
Grogne ricana. Elle avait tout à fait raison, Typhon était en tête sur la liste des successeurs potentiels de Rufus.
— C'est un égoïste mais il est bon. Cruel, mais bon. Je pense que Rufus l'aurait nommé en son temps. La moitié d'entre nous aurait été expulsée dans le mois suivant mais la ligue aurait maintenu sa puissance.
« Alors qu'à présent nous ne sommes que des perdants », maugréa Aitsuki entre ses dents avant de tendre à regret un morceau de papier avec les détails du kidnapping.
— Soit clément Grogne...
— Ca ne risque pas.
Oui, Aitsuki souhaitait que cette nuit se terminât vite.
Le dernier pilier de comptoir parti, Aitsuki put enfin tourner la clef dans la serrure et fermer la Chimère. Elle en soupira de soulagement. Elle jeta un rapide coup d'œil à la salle principale et décréta que le ménage attendrait le lendemain. Elle monta s'écrouler dans son lit puis s'endormit sans ôter ses vêtements. Lorsqu'elle s'éveilla, tout était sombre autour d'elle. Des vents violents balayaient une plaine maculée de sang. Il en pleuvait.
— Voilà autre-chose, dit Aitsuki en levant les paumes côté ciel.
Le lieu inconnu, la pluie de sang... La terreur aurait dû l'habiter mais elle était trop fatiguée pour cela. Ces dernières semaines à tenter de maintenir un bar repaire de loques à flots l'avaient épuisée. Elle était à court d'énergie et n'avait plus la force d'exprimer la moindre émotion. Aitsuki songea un moment à partir en exploration, un objectif quelconque se trouverait bien quelque part, mais elle n'en eut pas le courage et s'assit par terre. Elle enserra ses genoux de ses bras et attendit, le regard perdu dans la vaste plaine ensanglantée.
— Il va bien se passer un truc, se parla-t-elle à voix haute.
Mais rien ne se produisit, Aitsuki demeura là, couverte de sang, puis s'endormit.
Lorsqu'elle sortit une fois de plus du sommeil, elle puait plus que Grogne après deux semaines sans bain mais était cette fois-ci dans son lit. Elle avait déjà fait des cauchemars par le passé mais celui-là était le plus étrange de tous.
Le soleil brûlait encore dans le ciel de Théa, la jeune femme décida donc de vivre comme la majorité des citadins. Elle sortit affronter les rayons de l'astre solaire. La journée était agréable, les personnes qu'elle croisa aimables, aucune d'entre elles ne lui demanda d'alcool ni d'émit de bruits suspects. Ses pas la menèrent jusqu'à la caserne. Elle tenta sa chance et demanda si l'un de ses amis était disponible. Par chance Haru sortait d'un entraînement à la magie intuitive, ou l'art de réussir à lancer des boules de feu sous un tir croisé de flèches.
Le mage-guerrier, heureux de revoir son amie, l'invita à dîner dans un établissement familial voisin.
— Je me suis débarrassé d'Hatsu, lui annonça-t-il alors qu'on leur apportait des verres. Ou plutôt c'est lui qui s'est débarrassé de moi. Son mentor est bien plus impliqué que le mien.
— Lux a accepté votre demande ?
— Oh non. Il a poliment décliné. Mon mentor est un vieux mage-guerrier qui n'a pas vu de combat depuis ma naissance et celui d'Hatsu est une mage-guerrière plus stricte que ma chef de clan. Il est tout le temps en train de frôler la mort à l'entraînement. Et toi ? Quelles sont les nouvelles ?
Aitsuki sourit, bu son verre d'un trait, lui conta son quotidien de barmaid et termina avec son dernier rêve.
— Un paysage de sang... Comme les plaines de Calliope ? C'est là que le seigneur s'est rendu. Les plaines sont à l'est de Théa, dans les terres interdites.
— Donc je rêve de l'endroit où le seigneur de Théa est probablement mort, tout va bien.
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
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