11. Réputation
Aitsuki hésita, gagner une autre table ou rejoindre Nox, telle était la question. Le mage-guerrier l'effrayait depuis toujours, plus encore depuis son passage à l'hôpital, et elle n'était pas dans l'enceinte protectrice de la Chimère. Hormis la phrase qu'il lui avait lancée quelques secondes auparavant, Nox ne lui prêtait aucune attention. Elle n'avait donc pas reçu d'invitation officielle. D'un autre côté, ignorer le mage-guerrier pouvait être vu comme une impolitesse et elle n'avait aucune envie d'être mal perçue par Nox, déjà qu'il la pensait à l'origine de l'attaque.
Un gargouillis la ramena à des considérations plus terrestres. Aitsuki haussa les épaules, leva la tête et s'en fut s'asseoir face à Nox. Il ne leva même pas les yeux de son plat, concentré sur ses baguettes. La jeune femme sourit de satisfaction, elle était encore en vie. Seulement, la présence du mage lui nouait l'estomac, elle ne se sentait plus capable d'avaler quoi que ce soit. Aitsuki se servit un peu d'eau et, par réflexe, en proposa à son compagnon de repas.
Nox daigna la regarder et son visage fut déformé par un sourire moqueur, ils n'étaient pas à la Chimère, nul besoin de faire le service.
— C'était simplement par politesse, répondit Aitsuki en reposant la carafe, les gens font cela parfois.
Nox n'ajouta rien, la politesse était un concept qui lui passait au-dessus de la tête.
De loin la situation paraissait cocasse : Nox mangeait, aussi imperturbable qu'à l'accoutumée, et en face Aitsuki grignotait avec tellement de délicatesse et de silence qu'on eut pu croire qu'elle essayait une technique Ninja de nutrition en mode dissimulation.
Un groupe de mages-guerriers entra dans la grande cafétéria et s'en fut se sustenter. Les coups de coudes débutèrent lorsque l'un nota la présence de Nox et, plus étrange, celle de quelqu'un avec lui. Aitsuki remarqua ce manège peu discret au moment où Nox se retournait et leur jetait un regard si noir qu'ils pensèrent un bref instant leur dernière heure venue.
— Ils ne se joignent pas à nous je suppose, commenta la jeune femme en observant les mages-guerriers s'installer à bonne distance d'eux.
— Ils tiennent à la vie.
— C'est ma présence qui les gêne ?
— Plutôt la mienne.
La compassion était un don qu'Aitsuki n'avait pas encore perdu dans l'alcool de La Chimère. Elle se souvint n'avoir jamais vu Nox accompagné lors de ses descentes dans la taverne, hormis les rares fois où des types lui avaient demandé une faveur. Cela n'avait rien d'étonnant, Nox avait la lame facile, ennemi ou ami. Il suffisait de peu pour subir son courroux, en témoignaient les nombreux cas de morts suspectes de personnes ayant eu peu avant un différent avec le mage. Néanmoins c'était... triste. Si la solitude prenait forme humaine, elle serait Nox. Le mage-guerrier avait passé toute sa vie seul, à être la bête noire des autres. Même Aitsuki qui ne l'avait vu, de loin, qu'une fois ou deux durant son enfance, le savait. Il était toujours seul, et il portait le nom du monstre. Il était une rumeur répandue dans la cité par les parents pour assagir les enfants : l'histoire d'un monstre qui découpait les entrailles des gamins turbulents. Ce monstre qui vivait à Théa et, la nuit, entrait dans les maisons sans se faire repérer. Aucune serrure, aucun sortilège n'avait jamais réussi à l'empêcher d'entrer. Le directeur de l'orphelinat menaçait régulièrement ses pensionnaires d'appeler Nox pour les punir. Il n'avait d'ailleurs pas hésité à leur raconter des histoires de cadavres d'enfants trouvés dans les rues de Théa pour étayer ses propos, radical.
Plus jeune, Aitsuki avait cru dur comme fer à cette histoire, elle était persuadée que Nox se transformait la nuit en monstre et viendrait un jour lui ouvrir le ventre pour manger ses intestins. Maintenant qu'elle avait entraperçu sa personnalité elle le craignait toujours. L'homme était encore plus terrifiant que le monstre. Si la moitié des rumeurs qu'elle avait entendues à La Chimère étaient vraies, et elles ne pouvaient que l'être puisqu'elles sortaient de la bouche de types louches qui agissaient dans l'illégalité, il était le meilleur et le pire mage-guerrier de Théa.
Aitsuki mâcha lentement le morceau qu'elle avait en bouche, cela devait être de la viande mais elle n'arrivait pas à savoir laquelle.
— C'est incroyable. C'est pire que le triple sandwich spécial de Rufus.
Nox sourit, le triple sandwich était bien connu par les habitués de La Chimère. Rufus le refourgait à tous les nouveaux venus, les anciens refusant catégoriquement d'en reprendre. Une seule et unique fois était suffisante pour apprendre la leçon : jamais ô grand jamais ne commander ce sandwich ni se renseigner à propos de sa recette. Il était des choses qu'il valait mieux ignorer.
— Que vas-tu faire maintenant ? Reconstruire la Chimère ?
Aitsuki leva les yeux et l'observa avec étonnement, Nox était-il en train de se soucier de son sort ?
— Tu comptes m'aider ? Ou bien le bar te manque-t-il ?
— Je veux seulement savoir si je vais devoir te sauver la vie une quatrième fois ou non.
Quatre ? Il l'avait sortie des décombres, la mort des deux mages-guerriers était vraisemblablement à prendre en compte, plus sa prochaine mise en danger.
— Trois, corrigea Aitsuki, et, elle continua à voix basse, je ne suis pas certaine de pouvoir considérer l'assassinat des deux mages-guerriers comme un sauvetage.
— Alors j'en conclue que tu as occulté l'épisode du désert.
Aitsuki fronça les sourcils et voulut plus de détails mais Nox se leva et partit sans un regard ni pour elle, ni pour les autres personnes présentes. La jeune femme se retrouva plongée dans un profond questionnement. Elle n'avait sincèrement aucune idée de ce à quoi le mage-guerrier faisait référence. Elle n'était jamais allée dans le désert. La perspective d'une vie loin de Théa l'avait effleurée plus d'une fois, elle avait déjà rêvé d'une vie près d'une rivière, ou bien dans une campagne, loin de tout ce jaune. Mais elle ne s'était jamais aventurée plus loin que ses rêves. Sauf peut-être lors de son séjour elle ne savait où avec Rufus. Où vivait donc Chaos et les chimères ?
Les spéculations ne durèrent guère plus longtemps car trois mages-guerriers vinrent s'asseoir avec elle. Ils étaient jeunes, vifs, tels des chiens fous. Et ils hésitaient visiblement entre la crainte et l'admiration. Contrairement à Nox, ils paraissaient vouloir discuter, tous parés de leurs belles armures scintillantes et couvertes de poussière.
— Bonjour messieurs, soupira Aitsuki reconnaissant cette attitude qu'ont certains clients du bar : une forte envie d'informations. Que puis-je pour vous ?
— Nox... dit l'un d'eux avec une petite voix, comme s'il avait peur de la déranger.
— Quoi Nox ?
— D'où vous connaissez-vous ?
— Pourquoi es-tu encore en vie ? ajouta un autre avant de recevoir un coup de coude, ils avaient mis au point un plan et il ne l'avait pas suivi.
Aitsuki rit et se leva à son tour en leur assurant qu'elle le connaissait peu.
— Je me contente de lui servir ses commandes. A l'occasion passez donc nous voir, nous sommes actuellement en rénovation mais si l'envie vous prend de venir faire un peu de peinture je recrute.
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