Le Choc des Dimensions (2)
Link prit son courage à deux mains et fit coulisser la lourde porte de fer, qui gémit sur ses gonds. Puis il franchit le seuil, fermement campé sur ses deux pieds, prêt à essuyer n'importe quelle attaque furtive.
La salle était vide.
Il observa attentivement les murs, le plafond.
Rien.
Au début, il crut à une blague malsaine. Il n'y avait jamais eu de monstre, Darunia s'était moqué de lui, afin de voir jusqu'où irait sa crédibilité. Puis il songea à un test blanc, qu'on aurait effectué avant de l'envoyer dans la gueule du loup. Ou alors le monstre en question n'était-il qu'une vulgaire araignée ou un serpent venimeux ? Petit mais mortel.
Horrifié, il virevolta en tous sens, jaugeant du regard tous les creux ou les fissures. Mais l'antre était silencieux. Et délicieusement frais. Il essuya la sueur sur son front. Il ressentait cette baisse de température comme un répit qu'il attendait depuis des siècles.
« Tu fais quoi, la danse de la peur ? pouffa Navi.
– Non, je m'attends à voir surgir la créature dont on m'a parlé. Elle est peut-être minuscule. Un scorpion, par ex...
– Tu dis n'importe quoi ! Cette salle t'offre l'énigme ultime. Résous-la et tu pourras combattre le monstre. »
Link voulut se frapper très fort le front du plat de la main. Mais bien sûr ! Encore une fichue énigme... c'est ce qu'il aurait dû penser tout de suite, voire avant de pénétrer dans la cavité.
« Éclaire-moi », demanda-t-il d'un ton très professionnel à la fée.
Celle-ci, surprise par ce nouvel accès guerrier, resta interdite quelques instants avant d'obtempérer. Sa lumière vacillante raya les parois obscures, mais le jeune garçon ne décela aucune porte cachée. C'est alors qu'en s'avançant vers le mur du fond, il lui sembla que le sol s'était incliné. Il fit signe à Navi, qui vint dissiper les ombres à ses pieds. Link comprit aussitôt et alluma une bombe qu'il avait trouvée plus tôt dans une excavation de la paroi. Il recula jusqu'à la porte et se couvrit le visage quand l'objet explosa. Un trou béait dans le sol. Le kokiri s'en approcha, estimant la profondeur de celui-ci. Son visage blêmit aussitôt.
« C'est peut-être un puits très profond, jugea-t-il. On saute, on se casse les os, on se fait dévorer par le monstre. »
Les ailes de Navi frétillèrent. Elle n'agréait pas ses paroles.
« Non. Ni le Vénérable Mojo, ni Zelda ne t'auraient envoyé te tuer. Pas après le péril que tu as couru dans cette caverne. Le monde est réellement en danger, cela n'aurait pas de sens. Je pense que c'est profond, oui, mais c'est une façade pour effrayer ceux qui s'aventureraient ici par mégarde. Saute bien, réceptionne-toi bien, et tu ne te blesseras pas. C'est l'ultime preuve de ta détermination à mener ta quête à bien. »
Link avait l'impression qu'une pierre était tombée dans son estomac. Il se sentait nauséeux et nerveux. Il s'apprêtait à jeter un caillou de bonne taille dans le trou, afin d'en déduire la distance au sol, mais Navi le réprimanda aussitôt :
« Surtout pas ! Tu vas énerver ton ennemi, et trahir ta position. Prends-le par surprise. »
Décidément, tout était fait pour mettre sa vie en danger. Il fallait soit être fou, soit courageux pour s'y aventurer. Des deux options, Link ne savait de laquelle il se rapprochait le plus. Il avait suivi les paroles d'autres fous ; l'était-il lui-même, de ce fait ?
Il joignit ses mains, priant les déesses créatrices de lui donner les qualités nécessaires pour survivre à ce terrible affront. Il ne croyait pas tellement en ces légendes, d'ordinaire, mais cette fois, il ressentait un besoin viscéral de se savoir entendu, voire soutenu par des forces supérieures. Puis il serra et desserra les poings, frustré, agacé et effrayé.
Il ferma les yeux et se laissa tomber dans le vide.
L'onde de fraîcheur se dissipa aussitôt. La chaleur moite l'accueillit dans ses bras suffocants, ravivant la sueur de son front et de son corps en général. Une étroite bande de terre rocheuse encerclait un petit lac en fusion qui crépitait, comme exalté par le danger.
Mais ce qu'il trouva en face de lui dépassait de loin les frayeurs qu'il s'était imaginées.
La bête était immense, pas étonnant que la pièce fût si profonde. Il se sentait comme un vers devant un oiseau de proie. De la bile acide remonta le long de sa trachée. Il raffermit sa prise sur son épée, qu'il avait ressortie aussitôt après s'être réceptionné.
La gueule du monstre avait le diamètre du rocher qui bloquait la caverne. Le corps, lui, pouvait bien valoir la largeur d'un feuillage entier d'un arbre garni. Ses griffes recourbées luisaient, crissant sur le sol rocailleux. Ses narines dilatées laissaient entendre son souffle, et Link préférait ne pas connaître la taille de ses poumons. En tous cas, lui monter sur le dos ne servirait à rien ; comme les dragons, il était pourvu d'une crête dorsale percée de piquants acérés. Deux énormes canines pendaient de sa bouche démesurée, et de petits yeux bleu glacier scrutaient attentivement l'importuné qui avait osé pénétrer dans sa demeure.
Soudain, il se dressa sur deux pattes, poussa un rugissement terrifiant et retomba lourdement sur le sol, faisant trembler toute la caverne. Les écailles d'acier qui parcouraient son corps à la manière d'une armure invincible frémirent à l'unisson.
Link savait qu'il devait faire face à son destin et vaincre ce monstre qui empêchait les Gorons de se nourrir correctement. Sans cela, il n'aurait jamais le rubis de Darunia. Et sans ce rubis, aucune chance de sauver le monde.
Seulement, il était terrorisé.
Chaque cellule de son corps lui hurlait de fuir. Son épée et son bouclier semblaient dérisoires face à une menace d'une telle ampleur. L'espèce de dinosaure qui démontrait sa puissance à quelques mètres de lui les écraserait comme des branches mortes sous ses énormes pattes griffues. Navi s'agita, comme si elle commençait enfin à comprendre sa peur.
« Tu peux le vaincre. Trouve son point faible, dit-elle.
– J'aimerais t'y voir », répliqua Link d'une voix blanche.
Ce monstre n'a aucun point faible ! songea-t-il avec effroi tandis que la bête s'approchait de lui à pas sourds et lents, comme pour se délecter de la terreur de sa proie avant de fondre sur elle et de l'achever d'un seul coup.
Alors il fit la chose la plus simple. La première chose qui lui vint à l'esprit.
Il courut.
Pas vers le dinosaure, bien sûr. Il n'était pas fou à ce point. Il prit ses jambes à son cou, dans la direction inverse de l'animal. Avant d'arriver derrière lui, il se retourna, se demandant si, de là où il était, il apercevrait une faille dans l'armure de la créature.
Il n'en vit aucune.
La panique menaça de l'envahir tout entier et de lui faire faire n'importe quoi. Il s'obligea à observer les environs. C'était encore une énigme, il le savait.
Le lac de lave empêchait, selon toute vraisemblance, aux deux adversaires de couper pour s'affronter. Soit ils faisaient le tour, soit ils combattaient face à face. La deuxième option était suicidaire. Link tenta désespérément d'apercevoir quelque chose dans cette salle, un indice, n'importe quoi, qui puisse l'aider à vaincre le monstre. Puis il tiqua en voyant des bombes plantées dans les recoins. Il devrait s'en servir à bon escient. Trouver la faille et lancer un explosif dedans.
Il n'eut pas le temps de se demander où. Le dinosaure parvenait déjà à une distance critique de lui. Il ouvrit une gueule béante où pendaient des rangées de canines infernales, et Link aperçut avec horreur une boule de feu rougeoyer au milieu des armes destructrices. Dans un réflexe, il se jeta sur le rebord du lac, tandis que les flammes distendaient l'air à quelques centimètres de ses pieds pour s'écraser contre la paroi en face.
Il n'avait pas le temps de se relever.
Il ferma les yeux, attendant que le monstre l'écrase. Navi elle-même avait perdu la voix et se tenait à bonne distance du mastodonte, qui continuait à avancer avec lenteur et lourdeur. Son cœur se serra. Ainsi, tout se terminait ici ? Perdu dans un recoin caché de la caverne, parmi des dizaines d'énigmes ? Qui le retrouverait ? L'entrée serait condamnée à jamais, la prophétie ne se réaliserait pas. Ses yeux s'humidifièrent, il perdit la foi. Tout cela était vain depuis le début.
Rien ne se produisit.
Le bruit de pas s'atténua.
La terre, qui tremblait follement, redevint presque immobile.
Intrigué, Link osa relever son bras et découvrit le monstre qui avait dépassé le coin, continuant tout droit. Hébété, il se releva, et se demanda par quel miracle cette créature était aussi stupide. A moins que sa taille ne lui fût handicapante pour le saisir si près du lac ? Elle risquerait d'y tomber et de s'y noyer, pour finalement mourir. Ou bien l'avait-elle perdu de vue. Près de lui, Navi sautillait, soulagée.
« Eh bien, tu vois, tu as trouvé son point faible au moment où tu t'y attendais le moins. »
Link n'avait pas de temps à perdre. La chaleur était plus infernale qu'aux niveaux supérieurs, il ne tiendrait pas longtemps. Il s'approcha avec sang-froid de l'ennemi, déracina une bombe et attendit qu'il ouvre la gueule pour la lancer à l'intérieur avec force. Lorsqu'il s'écroula, un œil ressortit de sa bouche. Le kokiri l'asséna de plusieurs coups d'épée, sur les conseils de Navi. Le monstre rugit et se redressa. Il lui fallut réitérer l'opération deux fois avant qu'il ne succombe. Une ellipse de lumière bleutée se dessina sur le sol. Ragaillardi, il y sauta à pieds joints, et se trouva téléporté hors de la caverne.
Un vent tiède l'accueillit, nettement plus supportable qu'à l'intérieur. Il reçut les louanges de Darunia, qui lui remit le précieux rubis. Link avait peine à y croire, mais il avait réussi l'épreuve. Il avait en sa possession deux pierres sur les trois qu'il fallait réunir.
Le meneur des Gorons lui conseilla de rendre visite à la grande fée de la force, nichée sur le Mont du Péril. A peine eût-il débuté son ascension qu'une pluie de rochers s'abattit sur lui. Ne voyant aucune cachette, il se recroquevilla sous son bouclier et essuya le choc de plusieurs projectiles en serrant les dents. Puis il se hissa sur une saillie et escalada la paroi escarpée. Quand il atteignit le sommet, ses muscles lui hurlèrent leur souffrance et il s'assit, hors d'haleine. Un hibou l'observait depuis un amas de granit noir.
« Tu as triomphé du Roi Dodongo, roucoula-t-il. La grande fée de la force t'attend. Observe les lieux afin de la trouver, mais prends garde si tu entres dans le cratère, car il y fait bien trop chaud, et elle ne s'y trouve pas. Quand tu auras terminé, n'hésite pas à m'appeler pour te ramener à Hyrule. »
Trop gentil ! songea le kokiri avec ironie. S'il s'était envolé, il aurait criblé l'animal de pierres ou lui aurait lancé son épée pour le faire redescendre. Il renonça à lui demander des indices. Qu'un hibou lui parlât était suffisamment risible.
Le jeune guerrier se releva lentement, prenant garde à ne pas porter son poids sur sa jambe la plus douloureuse, et entra dans une observation méticuleuse du Mont. Lorsqu'il s'approcha de l'entrée découverte, des jets d'air surchauffé agressèrent son visage. Non, il n'entrerait pas ici. Il croulait déjà sous la sueur de la caverne et du combat. Il s'empêcha de mesurer les dégâts qu'il avait subis. S'il se le permettait, il tournerait très probablement de l'œil. Puis il passa une main sur la cavité, tentant de déceler un changement de texture, une irrégularité dans la roche, qui trahirait une entrée dissimulée. Il ferma les yeux pour s'aider à se concentrer sur les capteurs nerveux de ses doigts. Le vent rugissait tout autour de lui comme pour le dissuader de continuer. Malgré tout, il se souvint des bruits terrifiants du Roi Dodongo et ne put réprimer un frisson, qui le força à se concentrer davantage.
Il trouva l'entrée à cet instant précis.
Il effectua alors la même méthode que précédemment ; il laissa exploser un chou-péteur et s'engagea dans le boyau cette fois éclairé par des torches, plus loin. En poursuivant son chemin, il fut illuminé par des lueurs rosées qui semblaient émaner des parois. Face à lui se dressait un bassin octogonal, où jaillissaient des éclats d'azur. La triforce était représentée sur une pierre carrelée à ses pieds. Il comprit aussitôt et joua la Berceuse de Zelda. Une immense femme seulement recouverte d'un habit mince surgit des eaux limpides, flottant dans les airs. Ses cheveux étrangement fuchsia formaient comme des tentacules autour de sa tête blanche de porcelaine.
« Bonjour, Link. Je suis la fée de la force. Pour ta bravoure contre le Roi Dodongo, je t'offre la possibilité d'user de la magie. Mais prends garde : plus tu puiseras de puissance, plus il t'en coûtera. Utilise-la à bon escient. »
Une auréole lumineuse brilla entre ses doigts fins et délicats, et Link n'eut même pas eu le temps de faire un battement de cil que l'aura se projeta contre lui. Il ne nota aucun changement direct, ce qui le déçut. La fée lui assura qu'il pourrait revenir s'il se sentait à nouveau fatigué. Elle le soulagea de ses aiguilles de douleur comme s'il n'était qu'un tissu décousu, et disparut dans le bassin aussi furtivement qu'elle y avait jailli. Quand il émergea dehors, la nuit avait tissé son voile piqué d'étoiles. Link considéra longuement le ciel, se demandant si quelqu'un se préoccupait de son sort.
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