[AMÉTHYSTE]
exile-Taylor Swift
HARFIEL
-dans le JoliBois-
Certaines personnes laissent une empreinte dans l'existence bien plus que le commun des mortels. Plus le temps passait, plus mes souvenirs disparaissaient. Bientôt, les plus anciennes vies que j'avais croisées quittaient mon esprit et revenaient au moment où elles faisaient le plus mal.
Il y eût une femme que j'eus aimé malgré moi durant mes longues années de vie, lorsque je m'étais promis de ne plus le faire. Et c'était d'elle dont j'avais envie de parler, de penser, malgré toute la douleur que cela impliquait Après tout, la vie demeurait une série d'épreuves et d'expériences aussi positives que cruelles.
Je vis l'héritage des anciennes civilisations, remplacées peu à peu par les nouvelles, et constater une effroyable vérité. Rien ne changeait, les Hommes se contentaient de répéter continuellement les mêmes erreurs. Et moi aussi. Mon unique avantage était qu'à mesure que le temps poursuivait sa course, les regrets se noyaient dans ses aiguilles et qui, pour moi, n'étaient plus que le synonyme d'une existence que je ne souhaitais à personne.
Mais s'il y avait une chose que je ne regrettai et que je n'oublierai jamais, c'était elle.
Mîr.
Je l'avais vue pour la première fois un après-midi, à moins que cela n'était qu'un matin. Mes plus de mille cinq cent années de vie perturbaient les perceptions du temps dans mon esprit si bien que j'avais parfois l'impression de n'avoir jamais vécu. Pour autant, chaque moment passé avec elle m'emplissait de vie, alors que mon esprit semblait en être privé.
Une jeune femme que je ne connaissais pas était arrivée dans le JoliBois d'un pas déterminé. C'était l'une des premières fois qu'un être humain venait ici, depuis que je vivais ici. Elle marchait sans faire attention où elle allait. On aurait dit qu'elle avait un objectif en tête pourtant, chacun de ses mouvements me paraissait irréguliers. Que faisait-elle là, seule, loin de toute civilisation ?
Elle finit par m'apercevoir, après tout je me démarquais plutôt facilement avec mon apparence singulière, et s'arrêta subitement. Elle me regarda de haut en bas, de gauche à droite.
⸻Qui êtes-vous ?? lâcha la jeune femme en me dévisageant
Son regard n'était pas du mépris ou du dégoût, plutôt de la curiosité qui me déconcerta. Elle ne paraissait pas avoir peur, simplement surprise de trouver quelqu'un, si j'étais considéré comme tel, ici, dans le JoliBois.
Elle ne s'approcha pas. Elle continuait de me fixer. Elle désirait une réponse.
⸻Je ne sais pas comment répondre à votre question, je le crains. Il est difficile de définir qui on est , lorsque l'on est comme moi.
Elle parut se contenter de la réponse, je ne compris pas réellement pourquoi. Pourtant, sa réaction me fit sourire intérieurement. Elle paraissait sage et dotée d'une grande forme d'intelligence.
⸻ Si vous ne savez pas qui vous êtes, vous devez avoir un nom, remarqua-t-elle, tout le monde en a un.
Je lui adressai un regard surpris. Elle s'obstinait à me parler, là où tout le monde m'aurait fui. Elle était différente.
⸻Je suis Harfiel.
Ce nom m'avait été donné par mon peuple. J'ignorais ce qu'il signifiait et je pensais qu'il s'agissait simplement d'un mot inventé par l'un d'entre eux. Mais j'y étais attaché. Ayant oublié mon premier nom, celui-là constituait une part intégrante de mon identité et de ma vie.
Elle sourit légèrement. Ses livres étaient fines et abîmées. Elle inspirait la bienveillance et la sérénité, et aussi une pointe de mystère. Une jeune fille de son âge n'était pas censée se promener seule dans la forêt défendue, alors sa présence ici continuait de m'interroger.
⸻Enchantée Harfiel.
Elle se mit devant moi, je perçus que ses yeux brillaient. Elle avait pleuré. Je pris alors conscience que cela faisait des années que je ne l'avais pas fait. Peut-être même n'avais-je pas lâché depuis que j'avais mis les pieds sur cette île, sur cette terre des joyaux.
Je me retournai vers elle. Si elle était curieuse d'en connaître plus à mon sujet, je l'étais moi-même à propos d'elle.
⸻ Et vous, qui êtes-vous ? Je vous ai dévoilé mon nom, c'est à votre tour de me donner le vôtre.
Elle ne réagit pas tout de suite. Elle m'observa un instant, de plus près, comme si elle avait seulement remarqué que je n'étais plus vraiment humain. Je ne sus pas comment interpréter son regard.
⸻ Vous ne me connaissez pas ? s'étonna-t-elle
Je la regardai un instant. Elle ne devait avoir pas plus de seize ans, mais elle paraissait déjà avoir vécue. Ses cheveux blonds bouclés étaient libres mais parfaitement coiffés, si bien que je ne comprenais pas comment elle avait pu accéder à cet endroit dans la forêt sans les abîmer. Sa peau était noire et parsemée de tâches blanches que je me rappelais être de la vitiligo. Ses yeux étaient la partie la plus fascinante de son corps ; ils se confondaient en une multitude de couleurs qui semblaient raconter une histoire, une vie qui m'était complètement inconnue.
⸻Non, je ne vous connais pas. Je ne sors pas beaucoup de cette forêt.
Elle contempla les alentours mais ne fit aucun commentaire. Je vis ses muscles se détendre et un sourire plus sincère arborer son visage.
⸻Vous vivez ici ? demanda-t-elle
⸻Je n'ai pas le choix. Les êtres humains comme vous n'acceptent pas les créatures comme moi. Je ne suis que nuisible pour vous. Alors, je vis ici.
⸻Vous avez de la chance, déclara-t-elle, chez les êtres humains, les nuisibles, comme vous dîtes, sont persécutés dans l'ombre et cachés aux yeux de tous, même lorsque les regards sont rivés sur vous. Vous êtes loin de tout mais au moins, vous n'êtes pas près de cette horrible vérité.
Je vis son regard changer en une profonde tristesse. Je compris alors qu'elle était le portrait de ses explications. Je perçus qu'elle avait vécu déjà beaucoup trop de choses pour une fille de son âge. Le monde avait toujours volé la jeunesse avec une violence inouïe. Je constatai que c'était encore le cas.
⸻C'est vrai. Je ne sais pas ce que vous avez vécu mais j'espère que tout s'arrangera pour vous, quoi que cela soit. Vous semblez être une bonne personne, bien plus que le reste de celles qui peuplent cette île. Vous êtes encore jeune, la vie, croyez-moi, ne s'arrête pas même lorsque tout semble perdu.
Elle ne me quitta pas des yeux durant tout mon monologue. Elle attendit un instant, regarda vers le ciel -je suivais son regard- puis elle reporta le sien sur moi. Elle voulait parler, je le sentais, et je ne la retenais pas. Libérer la parole était souvent nécessaire pour effacer, en partie, des très grandes blessures.
⸻ Mon père veut me forcer à me marier avec un homme beaucoup plus âgé que moi pour que je puisse vite avoir des enfants et assurer une descendance. Je fais partie de la famille royale de cette île, malheureusement pour moi, ce qui explique mon étonnement lorsque vous affirmiez ne pas me connaître. Je suis venue ici pour échapper à mon sort d'une certaine manière, et espérer inconsciemment m'y perdre sans jamais pouvoir retrouver mon chemin. Je ne veux pas me marier, j'ai juste demandé à vivre est-ce trop demander ?
La détresse de ses mots me serra le cœur. Je ne connaissais que trop bien les difficultés d'une vie que l'on ne choisissait pas. Pour autant, je savais également que l'on pouvait se sortir de tout, même dans une impasse aux murs si hauts que l'on ne percevait plus le ciel. L'espoir était la raison même de notre existence, et d'un futur qui s'annonçait meilleur. Même si je n'y croyais plus, je voulais qu'elle en soit persuadée et qu'elle arrive à surmonter cela. Seize ans était un âge trop jeune pour reculer.
⸻ Il faut beaucoup de courage pour vivre, et beaucoup de force pour faire face à toutes les épreuves que cela nous impose. Votre vie vaut bien plus que tout cela, j'en suis convaincu. Même si tout autour de vous semble être plongé dans les ténèbres, n'oubliez pas que vos yeux et votre esprit brillent suffisamment pour vous guider dans cette profonde l'obscurité.
Elle ne répondit pas tout de suite alors, je continuai.
⸻ Et je vous conseille d'éviter de vous perdre dans cette forêt, la découvrir pour la première fois peut sembler être la plus belle expérience au monde mais, vous verrez, à force de la connaître on finit par s'en lasser.
Elle regarda autour d'elle. Je perçus la rupture entre nos deux mondes. Elle n'avait rien à faire ici et elle-même le savait.
⸻ Que devrais-je faire ? demanda-t-elle, pensez-vous que je devrais retourner chez moi ?
Je voulais lui répondre sincèrement mais j'ignorais la réponse exacte à cette question. Je ne pouvais lui formuler qu'une hypothèse, qui pouvait être aussi réelle que fausse.
⸻ Je pense que vous devriez essayer d accorder une seconde chance à votre destin. Vous n'êtes pas condamnée. Je sais que vous vous en sortirez davantage là-bas qu'ici.
Elle parut prendre ma réponse en considération et son regard me signifiait qu'elle avait décidé de retourner chez elle. Elle me sourit une dernière fois avant de partir et de rejoindre son monde, celui auquel je n'appartenais plus depuis bien longtemps.
⸻Mîr, mon nom est Mîr.
Mîr... Jamais je n'aurais cru que ce simple mot me marquerait à jamais.
Une semaine après environ, alors que je m'étais habitué à ce que notre rencontre ne soit plus qu'un simple souvenir parmi tant d'autres, elle revint. Elle était comme la dernière fois, sa coiffure était simplement différente.
⸻J'ai repensé à ce que vous m'aviez dit. Je vais essayer de vivre, comme vous me l'avez présenté.
⸻ C'est très bien. Avez-vous parlé à votre père pour le mariage ?
Le sourire de Mîr disparut.
⸻ J'ai essayé, et il a refusé d'annuler le mariage. J'ai seize ans, je ne veux pas être fiancée à un homme que j'aime pas. Je veux découvrir le monde, étudier la philosophie, les sciences, l'Histoire ! Je ne veux pas être emprisonnée dans une existence que je n'ai pas choisie.
Je ressentais sa peine. Elle ne méritait pas cela. Personne ne devait avoir à le vivre.
⸻ Je vous comprends. Mon apparence de monstre, de créature, où toute part d'humanité semble m'avoir quitté, m'enferme dans une vie que je n'ai pas désirée. Tout ce que je suis maintenant me rappelle tout ce que j'ai traversé. Je porte avec moi des malheurs ineffaçables, qui me colle à la peau sans que je puisse les détacher.
Ses yeux s'agrandirent tandis qu'elle se mit à réfléchir.
⸻Pourquoi votre apparence a changé ? Vous étiez un être humain avant non ?
Sa curiosité me fit sourire.
⸻ Oui, j'étais un humain avant. L'histoire de ma transformation est assez longue. Je vous la raconterai peut-être un autre jour.
Elle ne parut ni déçue, ni surprise. Elle se contenta d'hocher la tête. Je crus voir de l'espoir sur son visage et un sourire sincère.
Elle continua de venir, de plus en plus fréquemment. Nous avions pris l'habitude de nous retrouver près d'un lac et de raconter ce qu'il se passait, ou s'était passé dans nos vies. Ses récits faisaient partie des pires que je n'eus jamais entendu mais elle ne s'en plaignait pas. Elle me comptait comment son père, dès son plus jeune âge, lui avait voué une haine immense sans véritable raison et l'avait forcée à consommer des cristaux provenant du JoliBois dans le but de l'empoisonner, sans succès. Elle m'évoqua la cruauté de la royauté dans laquelle elle vivait, où les femmes étaient traitées comme des êtres sans valeur. Au fil des mois, elle parla aussi de son mariage forcé, en m'apprenant que j'étais la raison qui l'avait aidée à surmonter cette étape difficile, mais également de sa grossesse et de son accouchement difficile, où elle avait failli mourir, de six enfants.
De mon côté, j'évoquais le récit de ma vie, du début à la fin. C'était la première fois que je confiais à quelqu'un précisément ce qu'il avait pu se passer. Je lui contai le moment où j'avais quitté l'ancienne civilisation, rejoint cette île, assisté au début d'une nouvelle société idéale et du retour d'une réalité plus cruelle. Je n'oubliais pas de citer non plus comment des pays de notre ancien monde nous avait bombardés de produits chimiques, responsables de mutations, donc la mienne, provoquant le changement de mon apparence physique et de ma durée de vie.
Au fur et à mesure du temps, et des années, je perçus qu'elle était de plus en plus triste, perdue dans ses souvenirs et sa mélancolie. J'essayais de la soutenir, de lui montrer que tout irait bien, même si mon expérience de la vie me disait plutôt le contraire.
⸻Harfiel...commença-t-elle les larmes aux yeux, je viens d'avoir vingt ans, je suis épuisée. Je n'ai jamais connu l'amour de qui que ce soit. Mon père me déteste et me persécute depuis que je suis enfant, mon mari ne me regarde même pas dans les yeux comme-ci je ne valais pas mieux qu'un chiffon et mes enfants me méprisent déjà, avides de pouvoir et de contrôle. Je suis fatiguée de chercher constamment l'attention de quelqu'un si bien que je me demande si mon cœur ne s'est véritablement pas ouvert pour une autre personne.
Elle m'adressa un regard et sans qu'elle n'ajoute quoi que ce soit, je compris ce qu'elle voulait dire.
⸻ Vous ne m'aimez pas, déclarai-je, croyez-moi, vous valez mieux que cela, Mîr.
Elle me jeta un regard de défi, qui perdait de sa lueur par la tristesse dans ses yeux.
⸻ Vous êtes la meilleure personne que j'ai rencontrée, Harfiel. Vous êtes le seul qui me comprenne réellement et qui me témoigne d'un peu de compassion et d'amour.
⸻ Et vous êtes assurément une femme merveilleuse, mais croyez-moi, si vous vous attachez à moi, je pense que vous finirez par en souffrir.
Je ne pourrais jamais l'aimer comme elle le mérite.
Et je ne veux pas être une cause de douleur de plus dans sa vie.
Elle mérite le plus grand bonheur du monde.
Les années passèrent rapidement. Après tout, qu'est-ce qu'était une année dans une vie aussi longue que la mienne ? Les enfants de Mîr grandirent, son règne se déroulait. Tout allait pour le mieux. Du moins, je le croyais. Son mari ne lui accordait plus d'attention, trop occupé à s'occuper des affaires de l'Etat, et elle réussit à prendre en partie le pouvoir. Cependant, si cette légère période de lumière ouvrit un nouveau champ de possibilités pour Mîr, les problèmes revinrent rapidement. A mesure que ses enfants prenaient le goût du pouvoir et de la vie royale, six régions de l'île commencèrent à se créer avec de nouvelles traditions, coutumes, et le début d'un mépris envers les autres du territoire. Les enfants de Mîr, comprenant très rapidement qu'un seul d'entre eux pourrait régner, gagnèrent en popularité chacun dans une de ces nouvelles régions. Ils commencèrent à se détester, au grand désespoir de leur mère, et leur animosité assumée précipita celle des habitants de l'île. Cela se déroula très rapidement, en une dizaine d'années à peine.
Mîr avait trente-cinq ans lorsque tout bascula. Elle était revenue une fois, après plusieurs mois sans nouvelle. J'avais passé tout ce temps à m'inquiéter pour elle, à essayer de me renseigner sur ce qu'il se déroulait derrière la forêt. Jamais je ne l'avais vu aussi misérable. Son sourire, d'habitude présent sur son visage, avait complètement disparu. Elle ne me dit que quelques mots qui hantèrent aussitôt mon esprit, sans que je ne puisse cesser d'y penser.
⸻ Je dois y mettre fin.
Je compris aussitôt ce qu'elle insinuait, et même un coup de poignard dans mon ventre ne m'aurait pas fait aussi mal.
⸻ Mîr tu n'y penses pas....murmurai-je les larmes au coin des yeux, pense à tes enfants, pense à l'île, ils ont tous besoin de toi...
J'ai besoin de toi.
⸻Ils m'ont tous abandonnée, tous, jusqu'au dernier ! s'exclama-t-elle le regard brillant, mes enfants se font la guerre et m'achèvent un peu chaque jour, mon père et mon mari me haïssent, le peuple se moque de moi et de mon incompétence, et ils exigent de moi que je règle le moindre de leurs problèmes !
Les larmes me montèrent aux yeux. J'aurais tellement voulu l'aider mais j'en étais incapable. Je l'avais toujours été, dans toutes mes vies. Je ne pouvais agir lorsque les autres nécessitaient mon aide.
⸻Mais moi, j'ai besoin de toi, Mîr, fis-je en la regardant dans les yeux
⸻Tu m'oublieras bien vite, tout le monde m'oubliera. Et c'est peut-être mieux ainsi. Le monde n'aura plus à subir mes erreurs.
⸻Le monde mérite d'être gouverné par quelqu'un comme toi, la corrigeai-je, pas par tous ces gens qui ne jurent que par la guerre et les conflits. J'ai connu toutes les horreurs dont l'humanité a été capables. Tu es l'une des plus belles choses que j'ai vues dans toute mon existence, Mîr.
Mes mots parurent la toucher profondément et ses larmes redoublèrent. Je la serrai dans mes bras pendant un court instant que je ressentis comme une éternité. Lorsqu'elle partit, je ne sus pas immédiatement que c'était la dernière fois que je la voyais.
Tout était aller si vite. Le lendemain, je cherchai à me renseigner sur ce qu'il se passait sur l'île et aussi, à parler à Mîr. Je devais lui dire, clairement et simplement, à quel point elle comptait à mes yeux, et à quel point je l'avais aimée. Je me rendis sur les lieux du château royal. Une foule y était déjà, et en très grand nombre. Pour la première fois depuis que je m'étais exilé dans le JoliBois, j'étais sorti, en présence d'êtres humains. Personne ne se préoccupait de moi, ou du moins je le supposais. Je compris alors pourquoi tous parurent ne pas s'intéresser à moi lorsque je vis ce qu'ils regardaient.
Elle. Mîr. Et elle était pendue.
Tout son être, toute sa grandeur ressortait de son corps inerte, si fragile, si malheureux. Elle s'était suicidée, et je n'avais rien fait. Je ne lui avais pas dit ce que je souhaitais lui transmettre, peut-être cela aurait pu changer les choses, peut-être Mîr aurait continuer de vivre. Comme le peuple autour de moi, je fondis en larmes. Je me sentais tellement impuissant. Nous formions tous une entité, personne ne paraissait se préoccuper de ce que j'étais. Nous étions tous marqués par la même chose, brûlés intérieurement par la même douleur, meurtris par un deuil d'une personne que nous avions tous si peu connue. Des gens de toute l'île, de toutes les horizons, qui le jour d'avant se détestaient, se serraient dans leurs bras.
Je compris que c'était ce jour-là que le peuple l'avait toujours aimée, bien plus qu'elle ne le croyait. Ce jour-là également, notre territoire prit le nom de Mîr Amar, la terre de Mîr. C'était le plus bel hommage que l'on pouvait lui donner.
Vivre après sa mort fut l'une des pires expériences dont je pus me souvenir, le vide que celle-ci créa dans mon cœur ne fut jamais comblé.
Les épisodes de violence qui s'en suivirent furent sans précédent dans l'Histoire de Mîr Amar, si bien que je me crus perdu de nouveau dans les recoins sombres de mon ancienne civilisation. Toute l'île s'embrasa et la guerre civile éclata suite à sa disparition. Elle avait été un équilibre, maintenant tout était détruit, tout ce dont pourquoi les Hommes avaient été amenés ici.
Nous ne serions jamais des joyaux.
J'avais fui la réalité de Mîr Amar, je la trouvais trop dure à supporter. La terre des joyaux n'avait été qu'un autre échec pour l'humanité. Moi et les autres de mon peuple, n'arrivions pas à le surmonter.
Rencontrer Alvar, Clarhaa, Eléonore et les autres avaient changé beaucoup de choses. L'espoir n'était pas revenu, mais les horreurs du passé semblèrent s'éloigner de moi. Je songeai que les soldats de l'Ombre avaient constitué un point important de leurs vies, à chacun, pour moi, ce n'était qu'un détail dans ma longue existence, comme celle de Mîr n'en était qu'un de leur Histoire.
J'ignorais le temps qu'il me restait à vivre, dix ans, deux siècles, un millénaire, plus peut-être. Mais ce qui était sûr pour moi, c'était que le passage de Mîr de ma vie serait marqué pour l'éternité dans mon esprit, et que jamais je ne l'oublierai.
Jamais.
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