📰 Le monde oublié - Partie 1
Le désert était immense, composé de sables variant du rouge au blanc en passant par le jaune et l'orange. Des teintes chaudes, étouffantes dans ce décor aride et dénué de vie. Çà et là, de gros blocs de pierres tremblaient dans le lointain sous l'épaisse chappe de chaleur qui émanait du sol.
Une rivière avait jadis dû traverser les lieux mais elle était tarie depuis bien longtemps. Quelques herbes jaunies parvenaient encore à pointer le bout de leur feuilles racornies entre deux galets. Même les charognards ne venaient plus jusqu'ici, tout animal ayant disparu de la région à l'exception de quelques reptiles et autres insectes.
C'est dans ce décor de mort que roulaient Thomas et son ami Bob, le visage rouge et ruisselant de sueur sous leurs vêtements clairs. Ils suivaient le lit de la rivière depuis plusieurs heures, bravant les températures extrêmes pour se rendre dans un campement de chercheurs et d'archéologues installés dans la région, dans un renfoncement doté de quelques ombres.
Il y avait été découvert les ruines d'une civilisation éteinte assez avancée et différente de tout ce que l'on connaissait. Des scientifiques, archéologues, journalistes et chercheurs du monde entier s'étaient réunis afin de procéder à des fouilles et analyses. L'attrait de la nouveauté et de l'inconnu avait pour beaucoup été plus fort que les craintes d'un environnement hostile.
Mais Thomas et Bob n'étaient rien de tout cela. Non, Thomas était simplement parti à la recherche de sa femme, Marion. Elle avait été l'une des premières à partir lorsque la nouvelle de la découverte s'était répandue, emmenant avec elle leur chien, un jeune golden retriever nommé Fido. Pendant des mois, elle avait envoyé lettres sur lettres à son mari pour lui donner des nouvelles et lui présenter l'avancement de ses travaux. Et puis, un jour, plus rien.
Thomas avait attendu une semaine, pensant que sa femme avait dû faire une percée dans ses recherches et être trop occupée pour prendre le temps de lui écrire aussi souvent... Mais avait fini par s'inquiéter et partir à son tour pour les ruines, accompagné de son ami Bob qui n'avait pas voulu le laisser seul.
Et qui, si l'on en jugeait par son expression, s'en mordait à présent les doigts.
Les deux hommes, épuisés par des heures de voiture hors-piste dans un habitacle étouffant, parvenaient à présent enfin en vue des premières tentes blanches ou crème. Ils se garèrent comme ils le purent sous un surplomb rocheux et burent à grandes gorgées le peu d'eau qui leur restait. Puis Thomas se dirigea immédiatement vers une grande tente qui semblait abriter les dirigeants de l'expédition, ignorant les protestations de son ami qui aurait préféré s'asseoir tranquillement dans un coin pour récupérer du trajet.
Une longue table couverte de plans des lieux annotés ainsi que de rapports d'expédition occupait le centre de la tente, encerclée de plusieurs chaises. Deux hommes et une femme étaient penchés sur une grande carte un peu froissée. En apercevant les deux arrivants, l'homme en face d'eux releva la tête et épongea son front rouge et luisant à l'aide d'un grand mouchoir en tissu. Il avait des cheveux et une fine barbe poivre et sel. Des yeux clairs brillaient derrière ses petites lunettes rondes, qui s'étrécirent pour mieux distinguer Thomas dans la lumière aveuglante de l'extérieur.
« Hello ! lança-t-il en contournant la table pour venir les accueillir. I've never seen you here before. Are you the newcomers from France ? Would you like some refreshments ? »
Devant le regard un peu perdu que s'échangèrent les deux arrivants, l'homme reprit :
« Do you speak English ? No ? French ? Êtes-vous français ?
- Oui ! répondit Thomas avec soulagement. Nous sommes français. »
En effet, il connaissait quelques mots de base en anglais mais se voyait mal tenir une conversation, et encore moins expliquer la raison de sa présence ici dans une autre langue que sa langue natale.
Leur interlocuteur se tourna alors vers la femme.
« Laurence ? I'm afraid I won't be able to talk with them. I can't speak French very well. Would you like to be my translator ?
- Sure ! sourit la dénommée Laurence en hochant la tête, ce qui balança sa courte queue de cheval décolorée de droite et de gauche.
Elle s'approcha d'un sac de congélation posé dans un coin et en sortit une épaisse bouteille d'eau ainsi que quelques gobelets en plastique.
« J'imagine que vous devez être assoiffés après cette longue route dans le désert... reprit-elle en tendant un verre aux nouveaux venus, qui s'empressèrent de les vider avec gratitude. Qu'est-ce qui vous amène ? Vous êtes les scientifiques attendus par les archéologues français ?
- Pas... Pas exactement, s'excusa Thomas. En réalité, je suis à la recherche de ma femme, Marion. Elle faisait partie des premiers groupes à arriver ici et ça fait longtemps que je n'ai pas reçu de ses nouvelles... J'aimerais savoir si elle va bien. »
Laurence se tourna vers le chercheur anglais et lui rapporta les paroles de Thomas. Ce dernier sembla lutter avec sa mémoire quelques instants, puis le gratifia d'un regard désolé.
« I don't think I've heard that name... But I don't know every person in this camp. You can tell him that the French group must know her...
- Vous devriez aller demander aux chercheurs français, traduisit Laurence. Ils sont un peu plus loin derrière ce pic rocheux. »
Thomas remercia les archéologues et partit dans la direction qu'ils leur avaient indiqué. La pointe d'inquiétude qui le taraudait depuis plusieurs jours s'enfonçait de plus en plus profondément dans sa poitrine malgré les paroles rassurantes qu'il se répétait en boucle.
C'est normal, s'ils ne la connaissent pas. Ils sont peut-être plusieurs centaines dans ce camp. Je la reverrai bientôt et je pourrai la serrer dans mes bras. Fido me fera la fête et elle pourra me montrer ce sur quoi elle travaille...
Il parvint bientôt au camp français, talonné de son ami Bob qui râlait que ce n'était pas étonnant que le peuple de ces lieux se soient éteints avec la fournaise qui régnait. L'entrée était marquée par un panneau de bois sur lequel étaient épinglés quelques papiers en plusieurs langues différentes et un petit drapeau tricolore.
Thomas se fit accueillir par un homme plutôt jeune, brun, et dont les yeux noisette pétillaient. Sa chemise trempée de sueur était complètement froissée et il semblait trépigner d'impatience.
Il se présenta comme l'adjoint du meneur des fouilles français, sur le point d'obtenir les résultats de ses derniers carottages qui comprenaient, expliqua-t-il, des alliages très intéressants.
Thomas lui présenta sa requête.
Le jeune adulte se passa la main dans les cheveux en murmurant :
« Marion... Marion... Je sais qu'on a une Manon mais Marion... Ça ne me dit rien. Restez là, je vais aller chercher le registre. »
Il sortit de la tente à grands pas.
« C'est bizarre quand-même, fit remarquer Bob en se grattant la tête. Pourtant elle n'est pas du genre à passer inaperçue d'habitude ! T'en penses quoi, toi ? »
Thomas soupira.
« Je ne sais pas vraiment. J'espère simplement qu'il ne lui est rien arrivé... »
Le jeune homme brun revint bientôt, portant un épais classeur vert qu'il posa sur la table. Thomas se pencha et vit des pages de rapports, des listes de personnes, des cartes et autres documents.
« Ah ! Marion ! Trouvée. »
Avide, son mari se pencha un peu plus au-dessus du classeur. Le jeune adjoint fronça soudainement les sourcils.
« C'est bizarre... Il n'y a plus d'entrée à son nom depuis presque deux semaines. Ce n'est pas normal, c'est comme si elle était partie sans prévenir, comme si elle avait... Purement et simplement disparue. »
Thomas prit la nouvelle de plein fouet. Réprimant une nausée soudaine, il articula :
« C'est à peu près la période à laquelle j'ai arrêté de recevoir des lettres... Il... Il doit bien avoir une explication, non ? Ou au moins des personnes qui ont travaillé avec elle, qui pourraient nous renseigner !
- Philippe, Stéphanie et Jean-Charles fit le jeune homme, consultant le registre. Je les connais tous les trois. Ils sont en expédition pour l'instant, mais ils devraient rentrer d'ici quelques jours. En attendant, nous allons vous trouver un emplacement où vous installer. »
Il referma l'épais volume et releva la tête.
« C'est tout ce que je peux faire pour vous, je suis désolé. »
Thomas frappa un grand coup dans une petite pierre qui se trouvait sur son chemin, l'envoyant rouler dans les rochers alentours.
« Ce n'est pas normal ! s'écria-t-il pour la énième fois. Il a dû lui arriver quelque chose ! Pourquoi est-ce que personne ne semble la connaître ? Ils le font exprès ?
- Peut-être que les personnes présentes aujourd'hui ne sont plus les mêmes que celles d'il y a deux mois ? supposa Bob. On ne peut pas savoir tant que Philippe, Stéphanie et Jean-Luc ne seront pas rentrés.
- C'était Jean-Charles, grinça Thomas entre ses dents.
- C'est ce que je voulais dire. »
Le soleil venait de se coucher et les deux hommes, ayant pu se reposer le reste de l'après-midi, profitaient à présent des premières brises fraîches annonçant la nuit pour marcher en périphérie du camp. Thomas, qui n'avait cessé de tourner en rond, avait espéré qu'une petite marche le détendrait mais en vain. L'anxiété qui l'avait pris et qui s'était accrue tout au long de la journée ne voulait pas le laisser.
Il laissa son regard dériver sur la plaine désolée, dont les épais blocs de pierre se détachaient dans la pénombre comme autant d'ombres tordues, figées. Une faible lueur rougeâtre mourait encore à l'horizon, et les étoiles s'étaient déjà mises à scintiller à l'opposé. Loin de la grande ville française dans laquelle il vivait habituellement, elles paraissaient plus nombreuses et brillantes que jamais.
Les lumières des lampes du campement étaient comme un phare dans cet océan d'ombres et de silence. Thomas les contempla un instant puis, sur les incitations de son ami, se résolut à rentrer.
Soudain, il se retourna d'un bond, scrutant les ténèbres.
« Qu'est-ce qu'il y a ? s'étonna Bob.
- Tu... Tu as entendu ?
- Entendu quoi ?
- Comme... »
Thomas tendit l'oreille, laissant sa phrase en suspens. Le faible bruit qu'il avait perçu recommença.
« On dirait des aboiements ! Viens avec moi ! lança-t-il en s'élançant dans le noir.
- Attends ! C'est un coup à se casser la figure ! protesta Bob. Tu n'as même pas pris de lampe de poche ! »
Voyant que ses paroles n'avaient aucun effet, il soupira et partit à la poursuite de son ami.
Thomas dévala le monticule en haut duquel il se trouvait, les rochers roulant sous ses chaussures. Les aboiements se firent plus forts, plus proches, lui confirmant qu'il allait dans la bonne direction. Enfin, il crut apercevoir une tache dorée entre deux ombres. Il accéléra encore, et son pied heurta une roche qui saillait. Avec un cri de surprise, il perdit l'équilibre et roula au bas de la pente.
Alors qu'il se remettait péniblement rebout et massait ses bras meurtris, un éclair blond lui sauta dessus en jappant. Thomas tomba une nouvelle fois à la renverse, mais cette fois-ci, en riant.
« Fido ! Comme je suis heureux de te voir ! Toi aussi tu m'as manqué ! s'exclama-t-il en serrant son chien dans ses bras et essuyant ses vigoureux coups de langue. Alors dis-moi : tu sais où est Marion, toi, n'est-ce pas ? »
Fido se détacha de son maître et émit un petit couinement plaintif. Thomas sentit son cœur se serrer en remarquant que l'animal avait bien maigri depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Il sortit la petite bouteille en plastique qu'on lui avait donné de sa sacoche en en versa dans sa main pour lui permettre de se désaltérer.
Bob approcha en soufflant, son pas lourd faisant crisser les rochers.
« Mais qu'est-ce qui t'a pris de partir comme ça ? ahana-t-il, avant d'apercevoir le jeune chien aux côtés de son ami. Mais... Qu'est-ce que Fido fait ici ?
- C'est ce que je me demande aussi. Peut-être qu'il sait où est Marion... » lui répondit pensivement Thomas en continuant de caresser l'animal.
Celui-ci se détacha doucement de son maître et partit trottiner un peu plus loin. Puis il aboya encore une fois, avant de faire mine de continuer son chemin.
« Il veut qu'on le suive, » comprit Thomas.
Il sortit son smartphone et en alluma la lampe-torche afin de s'éclairer.
« Thomas... Je pense qu'il vaudrait mieux que l'on attende demain ! Ou au moins que l'on retourne au camp chercher de l'aide !
- Vas-y, Bob. Moi il faut que je retrouve Marion, elle est peut-être en danger ! »
Bob soupira. Lorsqu'il avait une idée en tête, Thomas pouvait être tellement têtu... Il savait qu'il ne pourrait pas faire changer son ami d'avis.
« Fais très attention, d'accord ? Je reviens le plus vite que je peux ! »
Ce dernier hocha la tête, avant de se détourner pour rejoindre Fido qui l'appelait au loin. Dès qu'il le vit arriver, le chien jappa avant de repartir. Thomas le suivit tant bien que mal dans une obscurité à présent quasi-totale jusqu'à un large pan de roche sombre.
En illuminant la paroi avec le faisceau de sa lampe-torche, Thomas se rendit compte qu'il se tenait en réalité devant une vaste ouverture enténébrée que la lumière de son smartphone ne parvenait pas à percer. La roche aux alentours avait été taillée en forme d'arche et finement sculptée. Motifs abstraits et floraux s'entrelaçaient tout autour, se fondant si bien dans la pierre qu'à moins de se diriger spécifiquement à cet endroit, n'importe qui serait passé devant l'ouverture sans la voir.
Cette voute avait sans doute été sculptée par ce mystérieux peuple qu'étudiaient tous les archéologues. Rien d'étonnant à ce que Marion, l'ayant sans doute trouvée par hasard, n'ait pu s'empêcher d'aller y jeter un œil avant de partager sa découverte et n'y soit restée bloquée...
Si tel était réellement le cas, depuis combien de temps ? Elle pouvait très bien s'être blessée, voire pire...
Thomas secoua la tête pour éviter de penser au pire. Alors qu'il se demandait s'il ne vaudrait pas mieux attendre les renforts que son ami Bob était parti chercher, Fido sembla perdre patience et bondit en avant, disparaissant rapidement dans les ténèbres.
« Attends ! Fido, reviens ! »
Sans plus réfléchir, Thomas s'élança à son tour. Il faillit se tordre les pieds plusieurs fois sur des roches invisibles, et tomber lorsqu'il s'engagea sur une pente assez abrupte qu'il n'avait pas anticipé. Il se redressa tant bien que mal et s'arrêta un instant pour reprendre son souffle, avant de balayer les environs à l'aide de son smartphone. Mais il se rendit vite compte qu'il n'en avait plus vraiment besoin pour voir où il mettait les pieds : les parois étaient incrustées de milliers de petits éclats luminescents. Qu'il s'agisse d'une roche spéciale, d'un champignon ou encore d'une mousse, Thomas n'en avait aucune idée. C'était sa femme, la scientifique, lui n'était qu'employé de bureau.
Un aboiement de Fido résonna dans le lointain, réverbéré par l'écho de la caverne. Thomas éteignit sa lampe torche et se remit en chemin. Ainsi plongé dans le noir, il avait l'impression de marcher dans l'infini de l'espace. Les milliers de petits éclats formaient une véritable voute céleste aussi bien au-dessus de sa tête que sous ses pieds. Chacun était paré de son éclat propre, tantôt bleu ou violet, tantôt jaune ou orange. Lorsqu'il osa frapper dans ses mains, le bruit résonna longuement aux alentours, comme s'il se trouvait dans une arène gigantesque.
Il parcourut ainsi une longue distance avant qu'un éclat particulièrement gros n'attire son attention un peu plus loin. En s'approchant, il se rendit compte qu'il ne s'agissait pas d'un fragment comme un autre mais d'une grosse pierre blanche à facettes, posée sur un piédestal.
Fido l'y attendait, assis sagement à côté. En voyant son maître approcher, il se leva et le regarda de ses grands yeux noirs, qui reflétaient les étoiles alentours.
« Pourquoi tu m'as amené ici, Fido ? Hein ? Est-ce que Marion y est allée, elle aussi ? » chuchota-t-il en le grattant doucement.
Pas de réponse. Évidemment, mais l'atmosphère de ce lieu était si étrange, si... Onirique, qu'il ne se serait même pas étonné d'entendre son chien lui répondre.
Il soupira et se retourna vers la pierre. Une telle gemme devait être un véritable trésor pour les mystérieux habitants qui avaient peuplé ces terres. Combien possédait-elle de facettes ? Vingt ? Trente ? Sa surface semblait parfaitement lisse et régulière. Thomas se rendit soudain compte qu'il avait peut-être sous les yeux l'un des plus précieux trésors de l'humanité.
Hypnotisé, il approcha ses doigts de la surface lumineuse de la pierre et avant qu'il ait pu s'en rendre compte, il la tenait entre ses doigts. Un violent vertige le saisit et faillit le précipiter à terre. Il s'appuya durement contre le rebord du piédestal en attendant de reprendre ses esprits.
Lorsqu'il releva les yeux, une porte immense, taillée dans cette même roche parsemée d'éclats lumineux, se dressait en face de lui. Était-elle déjà là tout à l'heure ? Il n'aurait su le dire.
En s'approchant, il remarqua une demi-sphère à facettes creusée dans la roche. Sans trop savoir ce qu'il faisait, il approcha la pierre brillante de la petite alcôve et l'y enfonça. Thomas entendit alors le petit « clic » d'un mécanisme qui se déclenche, et la porte tourna lentement sur ses gonds, révélant à ses yeux ébahis un jardin luxuriant de l'autre côté.
Il pouvait sentir les délicates fragrances de fleurs qu'il ne connaissait pas et les stridulations de toutes sortes d'insectes. Une douce lumière s'épanchait à flots à travers les feuilles d'arbres gigantesques, et l'air était envahi de petites boules pelucheuses évoquant le pollen de quelques plante gigantesque, commençant à se déverser dans la grotte.
Fido aboya doucement et s'engagea à l'intérieur sans hésitation. Thomas, les yeux plissés après être resté dans le noir quasi-complet, le suivit. La porte se referma doucement derrière lui.
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