🏅 Le dernier souhait
Cette histoire a été écrite pour le concours annuel d'écriture de mon lycée, dans lequel il fallait rédiger une nouvelle fantastique ayant pour thème "le miroir" et qui se passerait dans un lycée.
Elle a obtenue la première place.
Ce n'était décidément pas mon jour. Après que le bus soit passé en retard, voilà que l'on m'annonçait à présent l'existence d'une interro en histoire prévue depuis une semaine.
Et je n'avais pas ouvert mon cahier une seule fois.
Comble de malchance, il avait fallu que l'heure d'histoire soit pile après la récréation, et que le professeur d'anglais nous lâche en retard. Résultat : les toilettes du lycée étaient déjà bondées et j'allais devoir perdre tout mon précieux temps de révision à attendre mon tour.
« Je crois qu'il reste des toilettes par là-bas, au bout de la rue intérieure, me fit remarquer mon amie Cléa en voyant ma mine consternée.
- Mais personne n'y va jamais ! J'ai toujours cru que c'étaient des toilettes exprès pour les professeurs, ou quelque chose dans le genre...
- Il n'y a pas de panneau sur la porte il me semble, me fit malicieusement remarquer mon amie. Qui ne tente rien n'a rien : fonce ! »
Je hochai la tête et m'éloignai rapidement en direction de l'emplacement indiqué par Cléa. Il n'y avait effectivement aucun panneau interdisant les élèves d'y pénétrer. En croisant les doigts, je tournai la poignée et me glissai à l'intérieur.
Une fois la lourde porte refermée, le bourdonnement incessant des élèves s'estompa et je me retrouvai seule avec le silence. Il me fallait faire vite à présent, si je voulais avoir une chance de réviser avant la sonnerie.
Quelques instants plus tard, en me lavant les mains, je tentai de me remémorer le contenu de mon cours. Mais bizarrement, je me rappelais mieux les parties de jeu vidéo de mon voisin sur son ordinateur que les commentaires de ma professeure.
« Ça m'énerve, ça m'énerve ! grommelai-je pour moi-même. J'aimerais tellement que ce fichu contrôle ne puisse pas avoir lieu ! »
Je levai les yeux vers le miroir qui me faisait face. Mon regard croisa celui de mon reflet, sombre et frustré.
Sans trop réfléchir, je levai mes mains encore trempées et éclaboussai la lycéenne qui me faisait face. Les gouttelettes d'eau s'écrasèrent sur la surface lisse de la glace, troublant l'image trompeuse qui se tenait en face de moi.
« Tu te dépêches ? me cria Cléa de l'extérieur. On ne va pas avoir le temps de réviser si ça continue !
- Oui, j'arrive ! »
Je m'essuyai rapidement les mains et sortis de la pièce.
« Sortez une feuille et rangez votre cahier ! Dès que vous avez la feuille c'est silence compris ? Je ne veux plus vous entendre ! »
J'exécutai de mauvaise grâce les injonctions du professeur et retournai le sujet qui m'était destiné. Cette heure allait être vraiment longue, sans compter que mon bras gauche n'arrêtait pas de me démanger depuis que j'étais sortie des toilettes. Je commençais à me demander si l'eau avec laquelle je m'étais rincée était vraiment propre.
Soudain, le déclenchement d'une sirène lancinante me fit sursauter. Je plaquai mes mains sur mes oreilles et lançai à Cléa :
« On avait un PPMS aujourd'hui ?
- Apparemment oui ! En tout cas je n'étais pas au courant non plus ! »
Je me levai pour suivre le mouvement de la classe. La professeure se plaça immédiatement à la sortie de la salle pour nous compter, comme si elle craignait que quelqu'un décide de rester caché sous une table.
« C'est vraiment n'importe quoi de faire un contrôle le jour d'un PPMS, me cria Cléa dans une vaine tentative pour se faire entendre malgré l'alarme qui nous vrillait les oreilles et le chahut des autres élèves.
- Quoi ? »
Mon amie ne répéta pas sa phrase. Sans doute n'avait-elle pas entendu ma question. Dans tous les cas, intérieurement, j'exultais. Cette intervention miraculeuse tombait pile sur l'heure de notre contrôle ! Cette journée n'était peut-être pas si nulle que ça finalement.
Deux heures plus tard, je retournai dans mes nouvelles toilettes préférées. Elles étaient toujours aussi vides que la première fois.
Tandis que je me lavais les mains, mon regard s'attarda sur le coin inférieur gauche du miroir. Une petite fissure, que je n'avais pas remarqué, y serpentait discrètement. Le lycée le ferait sans doute remplacer, un jour ou l'autre. Mais en attendant, mon reflet me renvoyait toujours le sourire satisfait que je ne pouvais m'empêcher d'afficher depuis l'interruption de mon contrôle.
« Miroir, mon beau miroir, plaisantai-je en me pavanant devant sa surface lisse. Je te remercie pour ton infinie bonté à mon égard, sans toi mon trimestre était fichu ! »
Bon, d'accord, j'exagérais. Mais quand-même ! Jamais un PPMS n'était aussi bien tombé.
« N'y aurait-il pas une autre faveur que tu pourrais me rendre, par hasard ? continuai-je. Par exemple, j'aimerais tellement que Raphaël me remarque enfin... »
Raphaël était mon « crush ». Un mec incroyable, qui arrivait toujours à être stylé quoi qu'il fasse. Cléa et moi n'avions d'yeux que pour lui depuis son apparition dans nos vies, au début de l'année. On pouvait passer des récréations entières à fantasmer sur lui et on s'était promis que s'il venait à aimer l'une d'entre nous, l'autre ne s'y opposerait pas et que l'on resterait amies.
Malheureusement, il ne paraissait pas s'intéresser aux filles.
Je posai mon plateau sur la table du self et me massai les tempes. Depuis que j'étais dans la cantine, ma tête semblait pulser de l'intérieur, comme si mes yeux cherchaient à sortir de mon crâne. Pourtant, Cléa et moi étions passées parmi les premières, et je n'avais pas eu à passer trop de temps dans la queue, parmi des cris des autres élèves...
« Est-ce que je peux m'asseoir avec vous ? »
Mon cœur accéléra. Je connaissais cette voix.
Raphaël se tenait debout devant moi, avec son regard clair qu'il était presque impossible de soutenir.
« Euh, mais... Si tu veux, » bredouillai-je.
Je baissai les yeux sur mon assiette, mal à l'aise. Pourquoi n'allait-il pas déjeuner avec ses potes ?
« Merci. Je suis désolé de vous importuner, mais, je ne sais pas pourquoi, je me suis dit que ce serait vraiment cool de passer du temps avec vous deux. Avec toi, ajouta-t-il en me fixant droit dans les yeux. On devrait apprendre à mieux se connaître, tu ne crois pas ? »
J'ouvris ma bouche pour répondre, puis la refermai. Qu'est-ce que je pouvais bien répondre à ça ? Je me contentai d'un léger « oui » à peine perceptible, et commençai à manger pour éviter d'avoir à parler à nouveau.
Mon cerveau semblait mouliner dans le vide. Comment était-ce possible ? Pourquoi Raphaël venait-il me voir comme ça, juste pour le plaisir de m'adresser la parole ? Le souhait que j'avais formulé devant le miroir n'était qu'une idée en l'air, une blague ! Jamais je n'aurais pensé qu'il puisse se réaliser.
À moins que ce miroir y soit vraiment pour quelque chose, qu'il ait vraiment le pouvoir d'exaucer les souhaits...
Ma main se crispa sur ma fourchette.
« Eh, tu es avec nous ? »
Je relevai la tête. Cléa me dévisageait avec un drôle d'air.
« Il t'a posé une question, tu sais ?
- Pardon, je réfléchissais... Tu disais ? m'excusai-je en me tournant vers Raphaël.
- Je te demandais si tu pratiquais une activité physique en dehors du lycée, répéta Raphaël.
- Hem, non, je ne fais rien. Désolée. »
Cléa se leva.
« Excusez-moi, mais je n'ai pas très faim, murmura-t-elle. Je vais débarrasser, on se retrouve dans le hall ?
- Mais tu n'as presque rien mangé, protestai-je.
- Ce n'est pas grave. »
Mon amie enfila son manteau, récupéra son plateau et s'éloigna.
Je la retrouvai quelques temps plus tard, recroquevillée contre un radiateur à l'extrémité de la rue intérieure. Embarrassée, je demandai à Raphaël s'il voulait bien m'attendre un peu plus loin afin que je puisse parler à mon amie. Il fallait que je lui demande ce qui n'allait pas.
« Ce n'est rien, bredouilla-t-elle d'abord. Je suis heureuse de voir que Raphaël t'ait enfin remarquée. C'est juste que... C'est bizarre, je ne pensais pas vraiment que ça puisse arriver un jour. Et moi, je ressens comme un vide dans la poitrine... Je n'avais jamais ressenti quelque chose comme ça auparavant. »
Je sentis mon cœur se serrer pour elle.
« Je sais qu'on s'était promis de rester ensemble et tout, continua-t-elle d'une voix hachée. Mais là j'aimerais juste que tu me laisses un peu s'il te plaît... J'ai besoin de rester seule.
- Mais Cléa...
- S'il te plaît. »
Elle empoigna son sac et, sans un mot de plus, s'éloigna rapidement. Sa silhouette se perdit parmi celles des autres lycéens.
Je restai quelques instants interdite. Jamais je n'aurais pensé que ça puisse lui faire autant de peine. Je commençais vraiment à regretter que Raphaël s'intéresse à moi, surtout que je n'avais pas eu son attention loyalement.
J'avais juste eu à prononcer quelques mots devant le bon miroir dans les toilettes.
« Eh bah alors, on fait pleurer son amie ? Si j'étais toi, j'aurais honte de mon comportement ! »
Je me retournai vivement.
Lucie se tenait devant moi, accompagnée de ses admiratrices. Vous savez, le genre de pétasse blonde habillée de façon provocante, avec un visage de poupée en plastique sous ses innombrables couches de maquillage ? Le genre de fille dont le pire cauchemar est que l'un de ses faux cils se détache pendant un cours ? Qui a perdu toute possibilité d'exprimer ses émotions avec le masque de fond de teint qu'elle porte en permanence ?
Sauf lorsqu'il s'agissait de toiser les gens avec le genre de regard dont elle me gratifiait en ce moment, à savoir, un mélange de dégout et de mépris.
« Je ne t'ai pas sonnée, alors casse-toi !
- Nan mais vous avez vu comment elle me parle ? s'offusqua Lucie en prenant ses « amies » à témoin.
- Elle t'a dit de partir, tu es sourde ? »
Voilà que Raphaël se mettait à jouer les héros. De toutes les choses que j'avais pu imaginer, jamais je n'aurais pensé que celle-ci se réaliserait. Je devais juste être en train de rêver.
Incrédule, je regardai la situation s'envenimer sans bouger. Heureusement, Lucie finit par lâcher l'affaire. Elle se tourna vers moi pour lancer :
« Venez les filles, on va aller manger. Mais dis-moi, t'as payé Raphaël pour qu'il devienne ton toutou ou c'est lui qui devra te payer demain matin pour tes services ? »
Je manquai de m'étouffer.
Contenant à grand peine mon envie de me jeter sur elle, je tournai les talons et courus jusque dans les toilettes. Une fureur sans bornes m'enflammait de l'intérieur.
Je me plantai devant le miroir. Une longue fissure le barrait à présent dans sa quasi-totalité, coupant mon visage en deux. Si la première moitié grimaçait de fureur, la deuxième pleurait des larmes de rage. Dans les deux cas, il criait vengeance si fort que mes oreilles en bourdonnaient.
« Miroir, lui lançai-je. Débrouille-toi comme tu le souhaites, mais je ne veux plus avoir à recroiser Lucie ! Je la déteste, elle et toutes ses groupies en carton ! »
Un craquement sec retentit dans la pièce. Une deuxième fissure venait de naître au sommet du miroir, rejoignant la première. Elle s'étendit le long de sa surface comme un serpent, se séparant en deux pour mieux déformer mon reflet grimaçant.
La colère me quitta instantanément pour faire place à la stupéfaction, puis à la peur. Un vertige me saisit. Je me rattrapai de justesse sur le mur derrière moi et cherchai à tâtons la poignée de la porte. Je voulais sortir d'ici à tout prix. Il fallait que je sorte !
Mon nez coulait. Je l'essuyai comme je le pus du revers d'une main tremblante. Je saignais.
Je titubai jusqu'au distributeur d'essuie-tout, en arrachai quelques feuilles et me précipitai hors de cette pièce maudite.
Quelques minutes après, la cloche finit par sonner et je dus me diriger vers ma prochaine salle de cours. J'avais l'impression que ma tête était sur le point d'exploser.
Pourquoi tout cela devait-il m'arriver à moi ?
Comme dans un brouillard, je vis le professeur disposer ses fiches, allumer le vidéoprojecteur de la salle et commencer son cours.
On toqua à la porte. La conseillère d'orientation entra, suivie des admiratrices de Lucie. Je n'avais même pas remarqué qu'elles étaient absentes.
Mais il n'y avait pas Lucie.
Evidemment, puisque mon vœu avait été exaucé.
La conseillère était en pleine conversation avec le professeur, lui expliquant je ne sais quoi. L'une des groupies, qui était allée s'asseoir devant moi, se mit à chuchoter frénétiquement à son voisin.
« C'est horrible, tu ne sais pas ce qui s'est passé ? On était allés en ville pour acheter des pizzas ce midi et là, Lucie s'est fait renverser par une voiture !
- Non, tu déconnes ?
- Si si, je te jure, c'était horrible ! Les pompiers l'ont emmené à l'hôpital, elle est dans le coma ! »
Je ne pus en entendre plus. J'avais envie de vomir.
Je me levai brusquement, et annonçai devoir passer chez l'infirmière. Sans attendre de réponse, je traversai la salle au pas de course et claquai la porte derrière moi.
Je pénétrai dans les toilettes en coup de vent et m'appuyai sur le rebord du lavabo.
Qu'est-ce que j'avais fait ? Je n'avais pourtant jamais voulu qu'une telle chose n'arrive !
Ma vision se brouilla petit à petit. Une goutte salée tomba dans le lavabo, se confondant avec celles qui le parsemaient déjà. Puis une autre.
J'avais perdu Cléa et maintenant, Lucie risquait de mourir à cause de moi. Tout était ma faute.
Je relevai la tête vers mon reflet, déformé par les innombrables fissures qui s'étendaient sur toute la surface du miroir. J'avais déjà formulé trois vœux maintenant, comme dans les contes que je lisais lorsque j'étais enfant. Je doutais de pouvoir un faire un autre, tant il semblait sur le point de tomber en miettes à tout moment. Mes options s'étaient amenuisées comme peau de chagrin.
Je souhaitais seulement que tout s'arrête...
Je contemplai quelques instants mon reflet. Il me semblait qu'un sourire mauvais s'étendait sur son visage satisfait.
Était-ce la personne que j'étais devenue à cause de mes actes ?
Non, ce reflet n'était pas moi. Il ne pouvait pas l'être. Ce n'était qu'un piège, une illusion destinée à donner un semblant de chance aux personnes dans le besoin pour mieux les briser par la suite.
« C'est à cause de toi que tout ça est arrivé, sanglotai-je. C'est de ta faute ! »
Mon reproche s'évanouit dans le silence de la pièce. Derrière sa lourde porte, personne ne pouvait m'entendre.
« C'est de ta faute ! C'est toi qui as fait ça ! » répétai-je, sentant ma voix prendre en assurance. Une colère sourde grondait à présent dans ma poitrine.
« C'est à ton tour de payer ! »
Sans réfléchir davantage, je sortis ma trousse et empoignai ma paire de ciseaux. La brandissant comme une arme, je me précipitai à l'assaut du miroir et l'enfonçai en son centre, à l'intersection de trois grandes fissures. Un sinistre craquement résonna, tandis que de larges crevasses s'agrandirent à sa surface.
Un liquide rouge sombre se mit à couler lentement le long des cavités et s'épancha sur le verre brisé.
Satisfaite, je m'éloignai de quelques pas afin de mieux contempler mon œuvre. Cependant, je ne pus en profiter longtemps : une douleur intense me déchira soudain la poitrine. Le souffle coupé, je tombai à genoux sur le sol, les mains crispées sur le cœur. A travers le rideau de points noirs qui naissait devant mes yeux, je m'aperçus que mes mains étaient poisseuses du même liquide sombre, qui coulait de ma propre poitrine.
Au lieu de me libérer du miroir, j'avais signé ma propre condamnation.
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