📰 La course contre la nuit - Partie 1
Annie repoussa une jeune branche ayant poussé en travers du chemin et enjamba un tronc couché par les tempêtes récentes. Elle profita d'une trouée dans la végétation environnante pour faire une pause et se désaltérer. Elle laissa les lanières de son sac glisser le long de ses épaules et fit jouer ses muscles endoloris.
La jeune femme laissa son regard se perdre au loin, dans l'immensité bleue qui lui faisait face en contrebas. La mer paraissait si paisible que l'on avait du mal à croire que ce soit elle qui ait jadis, par un tsunami, englouti toutes les villes de l'ancien monde qui se trouvaient sur la côte.
On racontait que dans ces villes aujourd'hui disparues, la technologie abondait et qu'elle était à la portée de tous. On disait même qu'en ce temps-là, les IA étaient au service des humains, et que c'étaient eux-mêmes qui les avaient créées.
C'était assez difficile à croire quand, aujourd'hui, certains pouvaient se battre pour n'avoir ne serait-ce qu'un peu d'électricité pour améliorer le chauffage ou la lumière de sa maison durant une nuit d'hiver particulièrement froide.
Aujourd'hui, le peu d'énergie que l'homme arrivait à produire provenait de quelques panneaux solaires ayant résisté au passage du temps et des tempêtes, de rares éoliennes encore en état de fonctionnement, mais principalement de roues à aubes dans les rivières, de l'énergie musculaire des animaux ou bien de celle des hommes eux-mêmes.
Annie reboucha sa gourde et ramassa son sac. Il fallait qu'elle arrive au vieux bunker avant la tombée de la nuit. Avant qu'ils ne se réveillent. Elle jeta un dernier coup d'œil au panorama et se remit en chemin, ses semelles crissant sur les cailloux dépassant des herbes folles, vestiges de la présence d'un ancien chemin douanier. De temps à autre, il lui arrivait de croiser un vieux panneau de bois rongé par l'humidité dont les indications, écrites dans l'ancien alphabet, étaient devenues quasiment illisibles.
Le vent soufflait de plus en plus fort au fur et à mesure que l'après-midi avançait, apportant avec lui des odeurs salines et les embruns provenant du large. Annie ne pouvait s'empêcher de ressasser dans sa tête les raisons qui l'avaient poussée à quitter la protection de son refuge pour s'aventurer seule en territoire quasi-inconnu.
« Ça fait une semaine maintenant. Je ne pense pas que les relayeurs viendront. Soit ils sont morts en chemin, soit ils se sont dit que notre refuge était trop petit pour risquer le voyage une nouvelle fois.
- Mais nous allons bientôt être à court de médicaments, et la fièvre du petit ne tombe toujours pas... Il faut absolument que nous réussissions à contacter la ville !
- Tu sais bien que notre communicateur ne fonctionne plus ! Nous sommes coupés du monde.
Il y avait eu un instant de silence. Annie, adossée à la cabane de son frère, écoutait silencieusement la conversation qu'il tenait avec sa femme.
- De toute façon nous ne pouvons plus compter sur eux. Ils ne nous aident que lorsque ça les arrange, et que nous leur donnons une partie de nos réserves ! Il faut qu'on apprenne à se débrouiller seuls.
- Mais Joël, notre fils est gravement malade ! Vincent a dit que sans médicaments, son état pourrait encore s'aggraver et...
- Vincent ? Mais il n'a jamais eu son diplôme de médecine et tu le sais aussi bien que moi. Tu n'es pas obligée de boire tout ce qu'il te raconte comme s'il s'agissait de la science infuse ! »
Annie connaissait un endroit qui aurait pu leur fournir ce dont ils avaient besoin. Un vieux bunker datant de l'ancien monde, rénové après la Chute pour servir de refuge aux rescapés avant qu'ils ne se regroupent dans des campements barricadés comme celui où elle se trouvait actuellement.
Là-bas, il y avait sans doute une radio. Un moyen de communiquer avec le reste du monde, d'échanger des nouvelles, et de demander à ce que des relayeurs viennent leur apporter des soins.
Annie se raccrochait à cette idée. Il devait rester quelque chose, tentait-elle de se persuader en avançant, un pas après l'autre, sur le sentier côtier. Ce bunker était isolé de tout, seules elle et deux-trois autres personnes de leur village connaissaient son emplacement. Il y avait peu de chance que des pillards l'aient devancée.
Le soleil commençait à décliner à l'horizon. Le ciel s'assombrissait, et les bourrasques devenaient de plus en plus violentes. La nuit n'allait pas tarder à tomber. Annie pressa le pas, malgré ses jambes lourdes et ses épaules qui la tiraillaient. Le bunker ne devait plus être très loin à présent.
Les nuages se teintèrent de rose et de mauve, flottant au-dessus d'une mer de sang. Annie parvint enfin en vue du bunker. Il s'agissait d'un vieux cube gris en béton armé dont un coin était légèrement enfoncé dans le sable. Rien de bien impressionnant, mais possédant une valeur inestimable aux yeux de la jeune femme.
Elle dévala la dernière pente jusqu'à la plage, et pataugea tant bien que mal jusqu'au vieux bâtiment. Le soleil jetait ses dernières lueurs sur le sable léché par des vagues furieuses. Ils n'allaient pas tarder à s'éveiller. Comme pour confirmer ses craintes, un cri lugubre, déformé, résonna dans le lointain. Ils s'éveillaient, et n'allaient pas tarder à se mettre en chasse. Annie se hâta jusqu'à la porte blindée et sortit son brouilleur, qui commença son travail de piratage de la serrure.
Soudainement, comme l'on souffle la flamme d'une bougie, tout s'éteignit. Le sable auparavant doré ne fut plus qu'un tapis sombre et froid dans l'obscurité de la nuit. Le vent sifflait furieusement aux oreilles de la jeune femme, lui apportant leurs cliquetis, signe qu'ils se mettaient en marche.
Avec un faible « Bip », la LED rouge à l'entrée du bunker passa au vert, et la lourde porte s'entrouvrit. Annie la poussa doucement, se faufila à l'intérieur et la referma derrière elle. Elle posa son sac au sol et en sortit sa lampe-torche à tâtons. Le faisceau de lumière, se détachant nettement dans les fines particules en suspension, balaya les environs et s'arrêta sur une vieille machine couverte d'un drap.
Un groupe électrogène.
Annie retira le drap et mit l'antiquité en marche, priant pour qu'elle ait encore du carburant. Heureusement, la vieille machine crachota un peu et se mit à vrombir doucement. Les ampoules du bunker s'allumèrent, révélant les trésors qu'il cachait depuis nombre d'années. Armes, munitions, écrans de contrôle, radio, ... Et trousse de secours.
Fébrile, Annie se précipita sur la pochette verte et en sortit son contenu. Gaze, mercurochrome, doliprane et autres médicaments plus pointus y avaient été entreposés. Même si ce n'était peut-être pas la solution parfaite pour son neveu, ce devait être suffisant pour le faire tenir jusqu'à l'arrivée des relayeurs.
Soulagée, Annie referma la trousse et la fourra dans son sac. Elle étendit son sac de couchage en travers de la pièce et, sortant une partie des provisions que sa belle-sœur lui avait préparées, s'assit devant les écrans de contrôle. Après quelques réglages, elle fut en mesure d'observer son environnement, via les petites caméras cachées aux alentours du bunker.
Le vent semblait avoir redoublé de violence, car les arbres étaient secoués de soubresauts incontrôlés. Elle pouvait presque les entendre gémir ; mais aucun son ne parvenait à traverser les épais murs de béton entre lesquels elle se trouvait. Le silence était presque palpable.
Ayant fini de souper, elle fit rouler son siège vers la petite radio qui attendait, et l'alluma. Il s'agissait d'un vieux modèle, même pour l'ancien monde. Elle grésilla un peu. Annie coiffa le casque et commença à coder son message.
Appel relayeur, refuge 49G, secteur 12. Besoin médicaments urgent. Appel relayeur...
Elle répéta ainsi son appel deux fois, cinq fois, vingt fois. Aucune réponse ne lui parvint, au point qu'elle commença à vérifier si elle était sur la bonne fréquence, et à se demander si la radio transmettait réellement son message.
Un « Bip ! » aigu la fit sursauter. L'une des commandes du panneau de contrôle s'était allumée d'une lumière rouge. Annie retourna devant les écrans et en scruta le contenu. Une pluie torrentielle s'était abattue sur la plage et ses environs, frappant en permanence les écrans des caméras et brouillant le contenu de leurs images.
Le feuillage des arbres semblait être une mer déchaînée. Certains arbres s'étaient couchés sous la violence des éléments. Mais ce qui attira le plus l'attention d'Annie n'était pas la violence de la tempête, non. C'étaient les petites LED rouges qu'elle discernait tant bien que mal dans le lointain.
Ils étaient tout proches.
Les Traqueurs.
Des robots hauts de deux mètres environ, dotés d'une forme qui pourrait au premier abord paraître humanoïde. Mais il ne suffisait que d'un deuxième coup d'œil pour se rendre compte d'à quel point cette comparaison était erronée. Ils avaient un torse longiligne, comme un gros tuyau dans lequel étaient plantés de longs bras squelettiques, dont les articulations formaient des excroissances métalliques.
Ils avançaient d'une démarche pouvant paraître peu sûre, mais Annie savait que chacun de leurs mouvements était calculé de manière à être totalement optimisé pour parcourir une plus grande distance tout en économisant un maximum d'énergie. Ils ratissaient la forêt sans relâche à la recherche des derniers humains ayant survécu à la Chute.
Heureusement pour eux, ces robots ne pouvaient pas retourner chaque soir s'alimenter auprès de leur machine-mère, l'IA qui avait échappé au contrôle des ingénieurs de l'ancien monde en provoquant leur perte. Ils se rechargeaient donc grâce à l'énergie solaire durant le jour, et traquaient leurs proies la nuit, ce qui laissait le temps à certains humains, les relayeurs, de parcourir la planète à bord des rares véhicules encore en état de marche pour relier les différents villages restants.
Malheureusement, celui d'Annie ne semblait plus faire partie du lot.
On racontait que les robots capturaient les humains pour les amener auprès de leur IA mère, et qu'elle utilisait ensuite leur énergie et leur chaleur pour s'alimenter en permanence, jusqu'à ce qu'ils en meurent. D'autres disaient que l'IA utilisait leurs cerveaux pour agrandir son réseau et gagner en puissance et en intelligence.
En réalité, personne ne le savait vraiment, car aucun de ceux ayant été capturés n'était jamais revenu.
Pour l'heure, les robots sondaient les alentours avec leurs capteurs à infrarouge, à l'affût de trace ou de chaleur humaine. Leurs longs bras squelettiques sondant le sol se confondaient avec les branches des arbres. Heureusement, le bunker camouflait Annie à leurs yeux. Aucun de leurs systèmes ne permettait de traverser l'épaisse couche de béton qui les séparait.
Elle se laissa aller sur son siège, le cœur battant, et jeta un œil à la radio. Était-il possible que les Traqueurs soient équipés de brouilleurs, empêchant son message de parvenir à destination ? Elle décida de retenter sa chance et replaça le casque sur ses oreilles. Peut-être le code n'était-il plus le bon ? Elle sortit son exemplaire du livre-code de son sac. La clef changeait tous les jours, pour éviter que l'IA ne le craque trop vite, et il était fortement déconseillé d'émettre la nuit. Mais elle n'avait pas vraiment le choix, il fallait qu'elle retourne au plus vite auprès de son neveu.
Le code était créé à partir du jour auquel il était émis. L'année correspondait à la page utilisée, le jour à la ligne et le mois, au mot précis. Et le livre, il s'agissait de l'un des plus vendus au monde. Tout le monde avait été d'accord pour dire que l'on utiliserait la Bible.
Son mot, « conserve », était bien le bon. Elle relança ses appels. Au bout d'une demi-heure, lasse d'attendre une réponse qui ne venait pas, elle décida de se coucher et de retenter le lendemain matin. Elle jeta un dernier regard aux écrans de contrôle, révélant une nature toujours en furie, et s'allongea dans son sac de couchage.
Annie fut réveillée le lendemain par un grand bruit sourd. Ne comprenant pas bien ce qui avait pu se passer, elle tituba jusqu'aux écrans de contrôle. Rien à signaler, rien d'étrange sur les caméras, hormis le fait que le jour s'était levé et qu'il était temps pour elle de réitérer son appel.
La nouvelle clef du code, « sauvé », lui paraissait bien ironique au vu de sa situation. Elle répéta à nouveau son message, encore et encore. Rien ne lui parvint en retour. La matinée avança, et Annie décida qu'il lui fallait à présent prendre le chemin du retour si elle voulait atteindre son village avant la nuit. Elle ramassa ses affaires, mangea un morceau et déverrouilla la lourde porte du bunker. Celle-ci s'entrouvrit en crissant sous le sable qui s'était accumulé dessus durant la nuit.
Un léger vent frais soufflait, apportant à Annie quelques embruns du large. Le ciel était dégagé, et les rares nuages qui le parsemaient étaient blancs comme du coton. Cette douceur contrastait tellement avec la violence de la veille que l'on peinait à croire à la tempête qui s'était déchaînée. Annie fut stupéfiée de voir tous les dégâts qu'elle avait causé : des arbres pliés en deux ou arrachés jonchaient le sol, des feuilles parsemaient le large et le choc sourd qui avait réveillé Annie n'était autre qu'un tronc ayant finalement cédé et qui s'était affaissé sur le toit du bunker. Elle avait eu de la chance qu'une branche un peu épaisse ne tombe pas devant la porte, ce qui en aurait scellé l'entrée.
Elle se détourna et se mit en route.
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