📰 L'étrange Halloween de Jack
Il faisait sombre. Je ne pouvais voir qu'une faible lueur rougeâtre émaner de mes persiennes, baignant ma chambre d'ombres mouvantes. L'une d'entre elle se détacha du recoin ou elle était tapie et avança vers moi sans aucun bruit. Je voulus ouvrir la bouche pour lui dire de partir, mais mes lèvres étaient scellées. Alors qu'elle s'approchait toujours plus près, une bouffée de panique m'envahit. Je voulus bouger, allumer la lumière, mais ma main était lourde comme du plomb. Impossible d'actionner le petit interrupteur.
L'ombre était juste à côté de mon lit à présent. Elle se pencha sur moi, et son poids me comprima la poitrine, m'étouffant sans que je ne puisse faire un geste pour l'en empêcher...
« Va-t'en ! »
Je me relevai en sursaut dans mon lit, trempé de sueur.
Passant une main tremblante dans mes cheveux, peu rassuré, je jetai un coup d'œil à mon réveil. Mardi 31 octobre, 19h47. Je quittai mon lit, dans lequel je m'étais assoupi sans le vouloir, et retirai mon tee-shirt humide.
Une minute... 19h47 ? Mais j'avais rendez-vous avec mes amis il y a un quart d'heure !
J'étouffai un juron et me précipitai sans la salle de bain.
Environ 10 minutes plus tard, j'étais douché, maquillé, habillé de noir. J'attrapai mon couteau ensanglanté en plastique, mon masque et mon sac de bonbons avant de me ruer dehors, les cheveux encore dégoulinants.
Halloween pouvait commencer !
Dehors, il faisait déjà presque nuit. Le ciel se teintait de rose et de violet, annonçant la nuit à venir, et la lune se levait, pleine et ronde entre les nuages vaporeux. Un vent frais soufflait, et les feuilles mortes jonchant les trottoirs tourbillonnaient paresseusement le long de la rue.
Je resserrai les pans de mon long manteau sombre et entamai la route vers le cimetière.
Je me sais plus lequel d'entre nous avait eu une idée aussi stupide, mais on était tombés d'accord sur le fait qu'il fallait qu'on le fasse.
« Des bonbons ou un sort ? »
Je sursautai, puis baissai les yeux. La petite voix fluette qui m'avait tiré de mes pensées appartenait à une petite fille. Vêtue entièrement de noir avec de petits souliers pointus, un vieux balai en bois et un chapeau trop grand pour elle, elle devait sans doute attendrir ses interlocuteurs plus que les effrayer.
Ses grands yeux noirs me dévisageaient avec intensité, attendant une réponse.
« Désolé, j'ai pas de bonbons, grommelai-je.
- Vraiment ? »
Une petite moue apparut sur son visage.
« Tu devrais aller retrouver tes amis ou ta famille. Tu ne t'es pas perdue au moins ?
- Non non ! me répondit-elle simplement. SI tu n'as pas de bonbons, je suppose que ce sera un sort, alors ! »
Elle éclata d'un petit rire cristallin et s'éloigna dans la rue en sautillant, retenant son chapeau d'une main pour éviter qu'il ne lui tombe sur les yeux.
Je la regardai s'éloigner, et chassai le pincement de culpabilité qui s'infiltrait insidieusement dans ma poitrine. J'avais des bonbons. Mais je les gardais pour mes amis, après tout. Et puis, cette fillette n'avait pas trop l'air malheureuse sans...
J'enfonçai mes mains dans mes poches et repris ma route.
Je finis par parvenir à l'entrée du sentier qui menait au cimetière. Une grosse pierre était posée à côté, sur laquelle était tranquillement perchée une petite ombre noire, qui éveilla en moi de désagréables souvenirs de ma sieste.
Elle se redressa paresseusement et bailla longuement, découvrant une gueule couverte de crocs pointus. Puis elle darda ses yeux jaunes, presque lumineux sur moi.
Je n'avais jamais vu ce matou dans les environs auparavant. Mais, si les chats ne souhaitaient pas être vus, on ne les voyait généralement pas. Le pelage noir de celui-ci le rendait presque invisible dans la pénombre ambiante.
Je détournai le regard et repris ma route, avançant sur le chemin dévoré par les broussailles et autres herbes folles. Il ne devait pas y avoir beaucoup de visiteurs, si l'on en jugeait par le nombre de branches que je devais repousser, et les ronces qui s'agrippaient à mon costume.
J'enjambai un dernier arbre à moitié couché sur le chemin et aperçus les premières tombes dans la pénombre.
« Les gars, vous êtes là ? » lançai-je à tout hasard.
Ma question s'évanouit dans la nuit. Je pris alors conscience du silence presque irréel des lieux : pas un souffle de vent dans les arbres, pas un quelconque animal s'enfuyant dans les broussailles, rien. Je m'entendais que le craquement des feuilles mortes et des bogues de châtaignes sous mes baskets.
Je sortis mon smartphone et allumai la lampe-torche pour éviter de me prendre les pieds dans les racines environnantes, puis m'avançai dans le cimetière, balayant les environs. Les ombres épaisses reculaient sous le faisceau de lumière sans pour disparaître pour autant.
Je pénétrai dans la première allée. Les vieilles tombes étaient couvertes de mousse et de terre, au point que les noms gravés dessus en devenaient presque illisibles.
Un long hululement résonna au loin, me faisant sursauter. Je lâchai un petit rire nerveux. Il n'y avait pourtant pas de quoi s'inquiéter...
En revanche, aucune trace des mes amis. Ils n'étaient pas partis sans moi tout de même... J'allumai mon smartphone et lu leurs messages sur notre groupe. Ils se préparaient, partaient... Le dernier datait de 19h21. Et depuis, plus rien.
Une grosse branche craqua dans mon dos. Je me retournai, sursautant une nouvelle fois.
Une immense silhouette me faisait face et avançai dans ma pénombre. Elle était vêtue de guenilles et possédait de longs ongles réfléchissant la lumière de la lune. Il faisait trop noir pour que je puisse voir son visage, mais le claquement affamé de sa mâchoire, lui n'avait rien d'humain.
Pire encore, deux yeux jaunes immenses s'allumèrent dans la pénombre comme deux phares au milieu desquelles ressortaient deux losanges noirs comme de l'encre.
Oubliant toute rationalité, je me mis à courir comme un dément à travers la forêt en hurlant. Autour de moi, les arbres semblèrent prendre vie, tantôt grinçants, grimaçants, me souriant derrière leur écorce crevassée, tantôt hurlant de longues litanies lugubres...
Et j'entendais derrière moi les pas de la bête qui me coursait !
Je ne savais plus où était passé mon téléphone. Il faisait à présent totalement noir, et je ne savais plus du tout où j'allais. Je sautai par-dessus ce que je pensai être une grosse racine me barrant le chemin. Mon pied se tordit dans une crevasse invisible et je tombai à la renverse sur le sol humide.
Je voulus me relever, mais je n'en eus pas le temps : la bête me sauta dessus, m'agrippant les épaules... Avant d'éclater de rire.
« Eh bah ! C'est que tu cours vite, Jack, quand tu t'y mets ! Je ne pensais pas que Fabrice réussirait à te faire si peur !
- A... Arthur ?
- En chair et en os ! Plus ou moins, » fit-il en se relevant et en écartant les pans de son manteau, me révélant un costume de squelette fluorescent.
Il me tendit la main et sortit son propre smartphone de l'une de ses poches.
« C'est pas tout ça, mais il va falloir retrouver les autres maintenant... »
Nous commençâmes à rebrousser chemin. Je me sentais mieux à présent que j'avais la présence réconfortante de mon ami à mes côtés. Je ne craignais plus les ombres de la forêt. Pour passer le temps, je sortis mon sachet de bonbons de ma poche et le lui tendis, après m'être généreusement servi.
J'en fourrai quelques-uns dans ma bouche, avant de les recracher brutalement.
« Ah ! Mais ils sont dégueu !
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Moi je les trouve normaux, tes bonbecs ! »
Je crachai dans les fourrés, essayant de me défaire de l'horrible goût de sel qui m'avait envahi la bouche.
« Quelqu'un a dû confondre le pot de sucre et le pot de sel, c'est pas possible ! pestai-je.
- Moi je ne sens rien... C'est peut-être une erreur, essayes-en un autre ! »
Je hochai la tête, dubitatif, et portai un autre bonbon à mes lèvres. La même chose se produisit : la friandise semblait avoir été trempée dans un tonneau de sel.
Dégoûté, je le crachai à son tour.
« Rien à faire, je ne sais pas comment tu peux avaler ça. »
Arthur haussa les épaules, et se resservit.
« Franchement, je ne vois pas de quoi tu parles. Mais enfin tant mieux, ça en fait plus pour moi ! »
Nous parvînmes finalement jusqu'aux premières tombes. Cathy et François nous attendaient. En nous apercevant, ils se mirent à nous faire de grands signes. Cathy me tendit mon smartphone.
« Tiens, tu as laissé tomber ça tout à l'heure, me dit-elle avec un sourire narquois.
- Si tu avais vu ta tête ! renchérit François. Franchement j'aurais dû te filmer.
- Ça n'aurait rien donné dans le noir, de toute façon, grommelai-je, les joues brûlantes. Mais en tout cas, le costume de Fabrice est vachement bien foutu ! Surtout le coup des jeux jaunes...
- Des yeux jaunes ? je ne vois pas de quoi tu parles, s'étonna Cathy. Il n'avait pas de lentilles pourtant...
- Il ne les avait peut-être juste pas mises, éluda Arthur. Qui veut des bonbecs, en l'attendant ? »
Chacun se servit. Je les regardai avec incrédulité dévorer les gommes colorées.
« Vous... Vous ne trouvez pas qu'ils ont un goût horrible ?
- Bah non... »
Je me détournai, écœuré, et m'adossai contre un arbre voisin. C'était quand-même louche cette histoire... Pourquoi étais-je le seul à ne pas les supporter ?
L'attente commençait à se faire longue.
« Bon, il fout quoi Fabrice ! finis-je par m'écrier.
- Tu sais combien de temps on t'a attendu, toi ? se moqua Cathy.
- Bon ça suffit, je vais le chercher, » grommelai-je.
Je m'éloignai à grands pas vers l'entrée du cimetière, resserrant les pans de mon manteau contre mes flancs. Il commençait à faire frais, et un léger vent s'était levé. Cette soirée ne se passait pas vraiment comme je l'avais imaginée...
La grosse pierre de l'entrée était vide. Le chat était parti. En revanche, de fins rubans de brouillard commençaient à apparaître, glissant le long de la rue.
« Tu cherches quelque chose ? »
Je fis volte-face. La gamine de tout à l'heure s'était approchée sans que je ne la visse et me souriait sous son grand chapeau. Un frisson descendit le long de mon échine, sans que je ne puisse savoir pourquoi.
« T'occupe, c'est pas tes oignons.
- Peut-être cherches-tu quelqu'un alors ? »
Je soupirai, puis décidai de lâcher l'affaire.
« Mon ami, Fabrice. Un ado de mon âge. Tu ne l'aurais pas vu par hasard ? »
La fillette pencha la tête de côté, semblant réfléchir.
Soudain, un long cri de terreur résonna dans la nuit. Je sursautai et fixai l'entrée du cimetière, qui n'était plus qu'une bouche béante dont on ne voyait pas le fond.
Le cri venait de l'intérieur.
Je déglutis. Mes amis y étaient encore, il fallait que j'aille voir !
Je pris une grande inspiration pour me calmer. Il n'y avait rien de grave, ce n'était probablement qu'une farce de Fabrice. J'allumai la lampe-torche de mon smartphone, et me préparai à pénétrer à nouveau sur le petit chemin.
« Fais attention à toi ! lança la gamine tandis que je m'éloignais. Les apparences sont parfois trompeuses... »
Je lui fis un vague signe de la main sans me retourner. Au fond de moi, j'étais déjà suffisamment effrayé, bien qu'essayant de garder la tête froide. Je n'avais pas besoin qu'elle en rajoute encore.
Je parcourus lentement le petit sentier, une main tendue au-dessus de moi pour intercepter et éviter les diverses lianes et troncs. J'enjambai finalement le tronc couché et balayai les environs de ma lampe torche.
Une main m'agrippa la jambe.
« J-Jack ! C'est toi ? Il... Il faut qu'on parte d'ici tout de suite ! »
C'était Cathy. Je m'agenouillai. Elle était terrifiée et reculait tant bien que mal dans les feuilles mortes, sans se relever.
« Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Les... Les yeux jaunes... Il avait des yeux jaunes, » me souffla-t-elle.
Elle me pointa d'un doigt tremblant une masse sombre un peu plus loin. Je me redressai et fis un pas dans sa direction. Cathy s'accrocha de plus belle à ma jambe.
« Non, pas par là... Partons ! Partons ! » insista-t-elle, sans me laisser pour autant.
Je détachai doucement ses mains tremblantes, le cœur battant. Je ne savais pas ce qui pouvait effrayer mon amie à ce point, mais ce n'était pas une énième blague. Elle n'aurait pas pu créer ce visage blafard et cette voix chevrotante de toutes pièces.
À quelques pas de là, la chose bougeait doucement, faisant de petits mouvements de va et vient.
Minute... Je connaissais ce sweat ! Je l'avais déjà vu ! Il appartenait à Fabrice !
« Fabrice ? chuchotai-je. Est-ce que c'est toi ? »
Il ne se retourna pas. J'avançai encore de quelques pas, jusqu'à me retrouver tout près. Un froissement de plastique me parvint de sous ma basket : il s'agissait de mon petit sachet de bonbon, dont le contenu était répandu au sol.
Je relevai la tête, juste à temps pour voir Fabrice tourner lentement la tête vers moi.
Un long museau suintant de bave rougeâtre, des crocs bien trop longs et une langue râpeuse apparurent dans mon champ de vision.
Alors que je faisais un pas en arrière, pétrifié, il se tourna encore jusqu'à ce que je puisse distinguer, brillant dans le gouffre de sa capuche, deux yeux jaunes brillant comme des lampes.
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