Les Vagues Sanglantes du Passé
Le ciel est un grand dégradé de couleur. Il passe du bleu foncé au blanc au orange puis au rouge. C'est tellement qu'on a du mal à y croire, on dirait un tableau impressionniste. Mais c'est le vrai ciel, et tu es réellement assis là, au bord de la falaise, à le contempler. Plusieurs dizaines de mètres plus bas, les vagues viennent frapper la roche dans des éclaboussures. Le bruit des vagues te caresse les oreilles, t'apaise, calme ton chagrin. L'odeur salée de a mer chatouille tes narines, comme pour jouer avec ton odorat. Tu aimes ça. Tu es définitivement un enfant de l'océan.
Moi, je suis debout sur un rocher, en équilibre au bord de la falaise. Je te regarde. Je regarde en bas. Je redresse vite la tête et m'éloigne un peu du bord, effrayé par la hauteur. Depuis tout petit j'ai le vertige... Je plante de nouveau mes yeux sur tes épaules affaissées, ton dos courbé, tes poings serrés et tes yeux cernés et rougis par les pleurs. Je me sens tellement impuissant... Je m'approche doucement de toi, en faisant attention à l'endroit où je pose mes pieds pour éviter de dégringoler et de me briser l'échine sur les rochers, plusieurs dizaines de mètres plus bas. Arrivé près de toi, je m'assois, les jambes dans le vide, et je passe mon bras autour de tes épaules. Tu recommences à pleurer. Je te comprends tellement... Moi aussi j'aimerais pleurer. Mais je me sens juste... vide. Je ne ressens plus rien, comme si j'avais un trou à la place du cœur. Ou une pierre, qui pèserait des tonnes dans ma poitrine. Revenir ici... C'est dur. Il m'a fallu du temps pour accepter l'idée, mais je savais que sinon tu irais sans moi, et ça c'était hors de question. J'avais trop peur de te perdre comme on l'avait perdu. Je ne te faisais pas assez confiance pour aller te promener seul au bord de la falaise où elle avait sauté, surtout en sachant à quel point ça t'avait brisé.
Elle me manque, tu sais. Son rire, son parfum, sa manière de s'énerver et de se révolter face aux injustices, sa façon de nous traîner dehors quand on voulait rester avachis dans ton canapé, sa manière de pouffer en cachette à tes blagues nulles parce qu'elle n'assumait pas de les trouver drôles. On était si bien, tous les trois, dans notre petite bulle de bien-être et de joie...
Le pire, c'est qu'on a rien vu venir. On était prêts à tout sauf à ça. Elle avait l'air tellement bien, quand elle était avec nous. Je m'en veux si fort de ne pas avoir capté ses signaux de détresse. Je me sens coupable. Coupable parce qu'elle avait besoin de nous et qu'on a pas su être assez présents, coupable parce que notre soutien n'a pas été suffisants, coupable d'avoir été si AVEUGLE.
Je sens tes épaules tressauter et je vois les larmes couler de nouveau sur tes joues. J'aimerais pouvoir pleurer,moi aussi, mais je n'y arrive pas. Les larmes qui ne coulent plus s'accumulent dans ma gorge et mon estomac, formant des nœuds complètement improbables mais extrêmement douloureux. J'aimerais pleurer, pour soulager un peu ces douleurs, mais je n'y arrive pas, je n'y arrive plus. C'est comme si quelqu'un avait vidé mes glandes lacrymales. Depuis ce soir-là, je ne pleure plus. Alors au lieu de pleurer, je regarde le reflet rougeoyant du soleil couchant sur les vagues. Comme une mauvaise blague du destin, comme si quelqu'un voulait se moquer de nous, on dirait qu'elles sont tachées de sang...
Je me lève lentement en te prenant par le bras, et on se retourne. Les vagues sanglantes du passé sont dans notre dos. Et nous allons de l'avant.
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