Le poème
Loïc, appuyé contre le mur décrépis, attendait en somnolant sa deuxième heure de torture. Aussitôt la porte s'ouvrit et les élèves de quatrième B sortirent avec précipitation des murs qui les avaient emprisonnés pendant une heure, ne leur laissant comme unique échappatoire que leurs rêveries. Ils se pressèrent néanmoins beaucoup moins pour rejoindre leur prochaine prison, ce qui embêtait bien Loïc. Lui aussi aurait voulu gagner du temps et échapper au calvaire de l'heure qui l'attendait. La classe fit quelques blagues à Doriane, une grande perche dont on aimait se moquer pour sa répartie qui les amusait bien plus et avec qui on plaisantait toujours bien. Elle mima la satisfaction de sortir de cet enfer avec un visage des plus expressifs. Loïc l'oublia quand son ami Tiago vint les aborder rapidement :
— Elle a été d'un ennui mortel ce matin ! se plaignit-t-il.
Nul besoin de préciser de qui il parlait. Leur professeur était sans doute la femme la plus monotone au monde.
— Je te rassure notre cours d'histoire a aussi été une horreur, déclara avec de nombreux soupirs Loïc.
— C'est clair ! On devrait avoir que des bonnes matières le lundi matin, pour se réveiller en douceur ! opina son camarade Tanguy.
— Attend d'avoir eu Madame Pierson ! Les cours d'histoire vont te paraître bien doux l'heure qui viendra. Bon, il faut que j'aille en anglais. On se voit à la récrée ! salua leur ami.
Il courut rejoindre Élise, son amie ou petite-amie, personne ne savait très bien. Ils passaient tout leur temps ensemble mais juraient continuellement de n'être qu'amis. Après tout ce temps, ce genre de remarque avait même tendance à les irriter.
Indiana, une fille un peu boulotte, toujours seule et immergée dans ses livres, sortit la dernière, la tête plongée dans les pages d'un épais volume. « Pour la minute que lui prendrait de rejoindre son prochain cours était-ce vraiment utile ? » songea Loïc en rejoignant sa place habituelle au fond de la classe, à côté du mur sur lequel il aurait pu s'appuyer si Madame Pierson n'était pas du genre à coller quelqu'un même pour ce genre de choses. La posture de ses élèves lui semblait tout aussi importante que leur comportement.
Le cours de mathématique commença, plus maussade encore qu'une après-midi de pluie à la campagne. Le regard de Loïc examina sa table, à la recherche d'autres mots laissés pouvant le divertir un peu, mais le lundi matin à neuf heures tout était encore propre. On n'y trouvait que les messages laissés des mois, des années plus tôt et qui resteront à jamais gravés sur cette table. Il gribouilla sur son cahier jusqu'au moment venu de copier la leçon. Son crayon de papier glissa alors entre le mur et sa table. En se penchant pour le ramasser, il trouva également une feuille qui s'y était glissée. Voilà peut-être un peu d'animation pour ce cours si assommant. Il y jeta un regard et fût surpris de trouver un poème écrit au stylo plume :
« Dormir d'un sommeil éternel
Et m'envoler vers le ciel
C'est ce que je désir.
Oui je veux mourir !
Pour les autres je souris
Intérieurement je suis détruite.
Mon sourire n'est que masque,
Quand la peine me submerge par bourrasque
On me regarde, on me parle
Mais l'amitié est un vide abyssal.
Personne ne veut me connaître.
Jamais je n'aurais dû naître.
Je veux en finir
Je veux mourir
Les hypocrites me pleureront
Mais nuls cœurs ne se briseront.
Je veux avec la mort danser.
Je veux à tout jamais m'envoler.
Ici je suis à l'agonie
Je ne fais que souffrir.
L'heure du trépas a sonné
Pour moi qui en ais plus qu'assez.
Vient me chercher fossoyeuse
Que mon âme puisse enfin être rieuse
Mon supplice prendra fin.
Mort prend ma main !
Ou je détruirais moi-même mon être.
Oui je vais me faire disparaître. »
Loïc tenta tant bien que mal de se sortir ce poème de la tête. Mais il avait peur. Peur que celle qui l'avait rédigée passe à l'acte. Que cette inconnue mette fin à ses jours et qu'il n'ait rien fait alors qu'il aurait pu l'aider. Pendant son cours de physique, une autre heure des plus déplaisantes quand il n'y avait pas d'expériences à faire, il fit la liste de toutes les filles de quatrième B. C'était facile il était déjà allé en classe avec la plupart d'entre elles les années précédentes, cherchant celle qui pouvait bien avoir écrit cela. Mais la réponse lui semblait plus qu'évidente. Indiana était toujours seule et passait son temps dans les livres. S'il devait soupçonner une personne de cette classe d'écrire un poème, ce serait elle, comme ce serait elle qu'il soupçonnerait s'il chercherait la plus malheureuse.
Il ne savait que faire. Il n'appréciait pas spécialement cette fille, il n'avait rien contre elle non plus, son existence ou non n'aurait rien changé à sa vie. Néanmoins il ne voulait pas être responsable de son suicide. Alors ce midi-là, à la cantine, il demanda à Tanguy de rejoindre Tiago seul et sans explication. Loïc s'assit face à Indiana, qui mangeait, en lisant comme à son habitude.
Il eut d'abord un peu honte. Et si on se mettait à croire qu'il voulait sortir avec elle ? Puis il regarda sa chevelure brune qui dépassait du livre, sa silhouette un peu ronde, qui peut-être ne s'assoirait plus jamais ici, qu'il pourrait ne plus jamais croiser et reprit contenance.
— Qu'est-ce que tu lis ? demanda-t-il pour faire la conversation.
Elle écarta son livre pour que ses yeux verts tirant vers le noisettes posent sur lui d'un air accusateur :
— Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Je mange. Tu n'aimes pas la purée ? répondit Loïc d'un ton innocent.
Ses sourcils se plissèrent et elle insista :
— Pourquoi tu ne vas pas manger avec tes amis ?
— J'ai envie de manger avec toi.
— Pourquoi ? On se connait à peine.
— Justement c'est triste. Je suis sûre que tu es quelqu'un de bien.
Il lui adressa un sourire auquel elle ne répondit pas, le dévisageant avec circonspection. Ignorant son attitude crispée, il continua à manger en l'interrogeant sur sa matinée : si elle s'était autant ennuyée que lui en mathématiques, si elle ne trouvait pas que le professeur de latin avait une tête de hibou quand elle vous regardait les yeux écarquillés derrière ses lunettes, ou encore si elle aussi aimait bien la professeure d'anglais des quatrième D. Elle ne répondait à aucune de ses questions et mangea même avec hésitation, ne le quittant pas des yeux. Elle avait posé son livre à côté d'elle et ce fût sans doute le plus long moment où il la vit sans ce dernier dans ses mains.
— Si toi et tes potes vous essayer de vous moquer de moi...
— Non pas du tout ! s'offusqua Loïc. Je veux juste être gentil. Je te le jure !
— Pourquoi ? Je suis certaine que je ne te plais pas.
— Tu es toute seule. Et personne ne devrait être seul.
— Je préfère être seule que mal accompagnée ! affirma-t-elle en se levant, embarquant son plateau et son livre.
Il s'y était mal pris visiblement, mais il espérait se rattraper. Finissant en vitesse de manger, il y avait quand même un beignet au chocolat en dessert, il n'allait pas le laisser. Il rejoignit ensuite Indiana, assise dans la cour en lisant. S'installant à ses côtés, faisant ainsi naître un soupir d'agacement chez la jeune fille, il ne sut que faire.
— Je ne veux pas te vexer. Vraiment. Je m'inquiète pour toi.
— Je vais très bien ! s'exaspéra son interlocutrice.
— Je sais que ce n'est pas le cas !
— Ah oui et comment tu peux savoir ça Einstein ? s'écria-t-elle en se tournant vers lui avec colère, son livre sur les genoux.
— On ne peut pas aller bien quand on est seul, déclara Loïc.
— Il y a des gens qui aime la solitude figure-toi !
Il l'observa le cœur serré, ignorant ce qu'il convenait de faire. Il sortit le poème de sa poche, le déplia et la main tremblante le lui tendit :
— Je l'ai trouvé ce matin en maths. Ne me dis pas que ça va bien ! Peut-être que tu penses que ce ne sont pas mes affaires, mais je ne veux pas que tu meures.
Elle le regarda sans voix, ses yeux faisant des allers-retours entre le poème et lui.
— Ce n'est pas moi qui l'aie écrit, annonça-t-elle d'une voix tremblante.
— Tu es vraiment butée ! s'impatienta-t-il. J'ai la preuve que...
— Je te jure que ce n'est pas moi. C'est gentil de t'inquiéter. Vraiment. Et tu as raison. On devrait aider cette personne. Mais ce n'est pas moi. Néanmoins je reconnais l'écriture. C'est celle de Doriane. On est assise à côté en anglais et en SVT et elle écrit exactement comme ça.
Ils se dévisagèrent un moment, muet d'effroi. Doriane pouvait-elle vraiment aller mal ? Elle avait toujours le sourire, toujours un mot pour rire. Mais à part cela que savaient-ils de Doriane ? Rien. Les deux jeunes gens tentèrent bien de lui trouver des personnes qui pourraient la connaître, l'aimer, des amis tout simplement, mais le plus souvent elle se greffait à un groupe qui n'en avait rien à faire d'elle.
— Allons la voir ! proposa Indiana. On peut l'aider. Mais laisse-moi faire, tu veux. Tu t'y prends mal.
— Et comment tu vas faire toi ? se vexa-t-il.
— On va être là pour elle.
Ils se levèrent et marchèrent ensemble vers le groupe où s'était incrustée l'auteure du poème. Elle observait ses « amies » un grand sourire aux lèvres, l'air intéressée. Loïc lui, désormais voyait son regard hurler sa détresse.
— Doriane ? appela-t-il, la voix tremblante.
Elle se retourna vers eux, surprise mais aussi pleine d'espoir, du moins c'est ce qu'il lui semblait.
— On aimerait te parler.
Ce fût toujours étonnée qu'elle les suivit. Il jeta un regard à Indiana qui d'un coup semblait ne plus savoir que dire. C'était bien beau de vouloir être là pour elle, mais si elle était aussi rétive qu'Indiana, ils risquaient de ne pas arriver à quoi que ce soit. Alors Loïc sortit le poème, moins fébrile que la fois où il l'avait tendu à Indiana, plus déterminé maintenant qu'il avait un allié.
— On ne veut pas que tu meures Doriane. Nous tu nous manquerais vraiment, déclara-t-il.
— On ne va pas prétendre te connaître bien alors que ce n'est pas le cas, mais tu es toujours gentille avec moi et tu illumines un peu nos journées. On ne veut pas te perdre. Alors on pourrait se voir ce week-end, sortir tous les trois, ajouta Indiana pour compléter les dires du garçon.
Cette dernière jeta un regard d'hésitation vers Loïc qui accepta d'un mouvement de la tête. Il pouvait faire ça. Et il était certain de passer un bon moment. Peut-être même que Tiago, Elise et Tanguy pourraient venir.
— Oui. J'inviterais même mes amis si tu veux, ils adoreront passer des moments avec toi. On aimerait tous.
— Et on aimerait que tu nous parles de toi. De ce qui ne va pas. Mais aussi de ce qui va bien, poursuivit Indiana avec douceur.
Doriane se mordit les lèvres, les yeux inondés de larmes et affirma en détournant la tête :
— Je vais très bien.
Mais sa voix dénotait du contraire.
— Doriane on sait que ce n'est pas vrai désormais. Tu as écrit ce poème ! insista la dévoreuse de livre.
— C'est qu'une bêtise ça ne veut rien dire.
— Non on voit bien que ça ne va pas maintenant. Et on voit bien qu'en effet tu es si seule ici. Et je ne veux plus que ce soit le cas. S'il te plait Doriane, laisse-nous une chance ! Laisse-toi une chance !
C'était presque comique de les voir, l'une petite, replète, déterminée et l'autre grande, maigre, des larmes coulant le long de ses joues. Mais aucune d'elles n'avaient de motifs à rire.
— On fait ça parce qu'on s'inquiète pour toi Doriane. Parce qu'on t'apprécie. Et on est sûre qu'on ne peut que t'apprécier encore plus. On est sincère, on veut vraiment t'aider, insista Loïc.
Avec Indiana ils attendirent fébrilement une décision de la poétesse dont la lèvre tremblait. Finalement elle déchira le papier où elle avait vidé son cœur, le jeta dans la poubelle la plus proche et glissa sa main dans les leurs en hochant la tête, acceptant la main pleine d'espoir qu'on lui tendait.
Mon texte pour le concours des 24 plumes de PtiteRenarde sur le thème "adolescence" qui est aussi une idée que j'ai eu très jeune sans jamais l'écrire. Ce qui est fait maintenant.
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