Le pendu
La foule réunie autour du gibet créait un tumulte sans pareil. Elle attendait l'exécution qui ne devrait désormais plus tarder. Certains s'étaient vêtus le plus coquettement possible pour attirer le regard des autres spectateurs ou du condamné ; d'autres s'étaient contentés d'un peu de parfum ou de recoiffer leur cheveux pour ne pas être juger par les regards des autres. Certains étaient venus seuls, d'autres encore en famille, leurs enfants pépiant avec excitation à l'idée de le voir lui dont les parents avaient sans doute fait un croque-mitaine, un monstre de cauchemar qui les puniraient s'ils n'obéissaient pas.
Au fond, il en était désolé. Pas que l'on assiste à ses derniers instants, non. L'idée de partir en public, dans une mise en scène si bien rodé lui plaisait. C'était comme s'il était un acteur, que tout cela n'était qu'une pièce un peu macabre mais qui à la fin se révèlerait n'être rien de plus qu'une illusion, un jeu. Et l'angoisse qui l'étreignait en approchant de la potence, en observant ce nœud coulant qui pendait, était une angoisse naturelle. Tous les acteurs étaient nerveux avant d'entrer en scène. Ce qui le désolait c'était ces gens qui s'étaient déplacés pour un tel spectacle. Lui qui avait regardé la mort dans les yeux plus d'une fois ne voyait en elle rien d'attirant, rien d'admirable, rien de plaisant.
Quelqu'un dans la foule l'aperçut enfin et des murmures enthousiastes parcoururent l'assemblée. On se dévissait le cou, on se contorsionnait en tous sens, on s'élevait sur la pointe des pieds pour l'apercevoir. Lui entrait dans son rôle. Il fixait l'échafaud avec un air qui se voulait impérial. En vérité, il ressentait une fascination morbide pour cette corde qui bientôt serait autour de son cou et signerait son trépas. Cette corde qui semblait l'appeler et qui en même temps le terrifiait. Cette corde qu'il avait craint de si longues années. Cette corde si frêle qui l'emporterait vers la mort quand des ennemis bien plus coriaces n'avaient pu venir à bout de lui. Derrière elle il apercevait le ciel qui se teintait d'ocre et qui à l'horizon plongeait vers la mer. Un sourire naquit sur ses lèvres, frappé par l'ironie de la scène. Le soleil était sur le point de se coucher, en même temps que lui. Ensemble, ils basculeraient dans l'obscurité. Ce serait vraiment une belle pièce de théâtre.
Il entendit la foule qui commentait son sourire, attribuant à sa mort prochaine une telle réaction. Ils le prenaient pour un fou, pour un être démoniaque, quelqu'un qui méritait un tel sort. Les chevaux s'arrêtèrent. On y était donc, son dernier voyage prenait fin et celui-ci avait été bien trop court. Il aurait pâlit, peut-être aurait-il dégobillé surs les chaussures du bourreau tellement l'angoisse serrait son estomac s'il ne s'était juré de ne pas montrer sa peur à ce public d'assoiffés de sang. Ses lèvres furent juste prises d'un léger soubresaut. Et il avança vers la corde, vers son plus grand spectacle, vers la mort, d'un air qui se voulait digne.
Il fit face à la foule de curieux tandis qu'on passait la corde autour de son cou. Il adressa un sourire charmeur à certaines filles à l'avant, un clin d'œil à une dame bien plus âgée et tira la langue à un garçonnet qui le fixait les yeux ronds et la bouche écarquillé de stupeur. Il maniait son rôle à la perfection. Personne ne pouvait deviner cette sensation étouffante, cette envie de pleurer et de hurler qui gonflait dans sa gorge. On énonça ses crimes pour lequel il était condamné. Un sourire qui se voulait appréciateur aux lèvres il écouta la liste qui frappait d'effroi toutes ces bonnes gens bien propres sur eux venu le voir périr, frapper par la justice royale, attraper par la justice divine. Comme s'il avait choisi. Choisi de tuer, choisi de se faire pirate. Il avait fait ce qu'il fallait pour survivre.
Son regard engloba tous ces faquins qui l'observaient avec avidité. Ses hommes étaient bien plus honorables que ceux-là. Aucun ne se réjouissait de la souffrance d'autrui, aucun n'aimait voir la mort et pourtant ils la croisaient tous les jours, la donnait souvent quand ces gens-là s'étaient faits beau et s'étaient déplacés juste pour voir mourir quelqu'un.
« - Regardez-moi ! Oui regardez-moi mourir, bande de vautours avides ! Voyez comme c'est horrible ! Prenez-y plaisir et dites-moi qui de vous ou de moi est le monstre ! » ses yeux leur criait alors.
Ses pupilles s'arrêtèrent alors sur un garçon, un jeune homme, presque un enfant, qui portait un chapeau qu'il connaissait bien. Il ne se réjouissait pas lui. Ses yeux bleu comme l'océan hurlaient son désespoir, sa colère, sa peur. Le condamné à mort se sentit glacé d'effroi. Pourquoi était-il venu ? Pourquoi n'était-il pas parti avec les autres ? Si jamais on l'attrapait, il serait le prochain à pendre à cette corde. Qu'avait-il donc en tête pour être venu ? Que cela lui ferait plaisir ? Cela l'inquiétait oui ! Et qu'est-ce que cela lui apporterait si c'est pour que le gamin le rejoigne d'ici quelques jours ? Mais le petit le dévisagea le visage grave, se décoiffa et pressa nerveusement entre ses doigts le chapeau qu'il lui avait offert quand il avait décidé de le sauver et de le prendre sous son aile.
Il repensa au petit garçon qu'il avait été, à la première fois que ses yeux bleus avaient posé son regard sur l'homme qu'il était, attendant la mort qu'il ne pouvait que lui offrir comme à ses autres compagnons. Et pourtant, demain ce serait lui qui vivrait quand le pirate qui avait décidé de l'épargner serait mort. La trappe s'ouvrit sous ses pieds, son corps se balança au bout de la corde alors qu'il songeait que le petit ne saurait jamais que malgré sa dureté il l'aimait plus que tout. Que son cœur l'appelait son fils.
Ce dernier contemplait avec horreur le corps qui se balançait au bout d'une corde. Cet homme qui avait été son bourreau mais aussi son modèle. Cet homme qu'il considérait comme son père. Cet homme qu'il aimait de tout son cœur et qui venait de disparaître à jamais, brisant le petit organe battant dans sa poitrine en un milliard de morceaux. Des larmes coulèrent sur ses joues tandis qu'il chantonna à voix tellement basse que personne ne put l'entendre :
— Oh, regardez mes amis à l'horizon ! Contemplez mon sombre pavillon ! Oh, pour lui nous combattons ! Sous lui nous nous réunissons ! Gloire au Rouge Tourbillon !
Le corps au bout de la corde lui dansait sous les coups du vent. Il se tournait vers l'horizon, vers le soleil couchant, vers ce bateau au loin qui filait. Un navire au pavillon pirate qu'on appelait le Rouge tourbillon.
Son équipage, les visages sombres tournés vers l'astre qui se retiraient chantaient eux aussi d'une seule et même voix, d'une voix forte qui, ils l'espéraient, parviendrait à se glisser jusqu'au porte de l'Enfer que leur capitaine devait tout juste traverser :
— A sa vue nos adversaire sont pris de frissons ! Car de leur sang notre navire nous éclabousserons ! Et nous ne perdrons que les gouttes des boissons ! Qui coulent quand nos victoires nous célébrons ! Gloire au rouge Tourbillon !
Et ils continuèrent leur voyage vers l'horizon et le soleil rouge comme le sang qui bientôt aurait à son tour disparu.
Avec ce texte, j'ai participé aux 24 plumes de PtiteRenarde, le thème de cette manche était coucher de soleil et ce texte a fini 1er de la manche.
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