Simiane dans sa robe du dimanche qu'elle n'avait pourtant pas le droit de mettre les jours banals, contourna la plaque d'égout en chantonnant. Devant le numéro 6 de la rue elle changea de trottoir pour ne pas passer devant le 7 qui portait malheur. Le soleil était encore haut dans le ciel, elle aurait un moment pour profiter de ce rendez-vous. Elle savait que ce soir elle serait punie mais cela lui était égal. D'ailleurs les autres filles à sa place l'aurait fait aussi, même Berthe toujours si obéissante, elle le voyait bien dans leurs regards de jalousie quand elle partait le retrouver, ou leurs regards et questions curieuses dont elles écoutaient les réponses dans un silence religieux à son retour. Toutes rêvaient d'avoir comme elle un bon ami dehors.

Elle s'installa sur le banc où Robin avait prévu de la rejoindre. Il n'était pas encore arrivé. Rien de surprenant à cela l'un ou l'autre était souvent en retard, ils pouvaient avoir du mal à se libérer. En patientant elle réfléchit à ce qu'elle lui dirait. Il lui avait proposé de rester avec lui, de rejoindre sa bande de voleurs des rues qui vivaient au jour le jour. L'idée lui plaisait bien, plus d'adulte à qui obéir, plus de cours ennuyeux, elle pourrait sortir courir dehors quand elle le voulait. Mais d'un autre côté cela voudrait dire se lier plus encore à Robin. C'était peut-être le premier garçon qu'elle avait embrassé mais leur relation fait de rencontre de temps à autres sans autre engagement que de se revoir au prochain rendez-vous lui convenait très bien. Elle ne voulait pas s'investir plus dans aucune relation, celles-ci finissaient toujours par mourir et faire souffrir. Néanmoins elle détestait l'orphelinat, celui-ci plus encore que Sainte-Thérébentine-de-la-piété, certes le bâtiment était moins vétuste, les repas meilleurs et on n'avait pas autant de moments de prière et cours de religion, mais aucune des dames qui s'occupaient d'elle ne lui était aussi chère que certaines sœurs l'avaient été et jamais elle n'avait même voulut lier un lien aussi fort que ce qu'elle avait connu avec Adeliza. La douleur de sa mort était gravée dans son cœur au fer rouge et lui faisait mal encore aujourd'hui.

Elle balança ses jambes, se concentrant sur Robin pour se changer les idées. Où était-il ? Elle se posa la question jusqu'à que le soleil commence à faiblir. L'après-midi touchait à sa fin et il n'était toujours pas venu. Furieuse d'être ainsi abandonné elle bondit sur ses pieds. Il ne voulait plus la revoir, avait trouvé une fille plus intéressante, qu'il vienne le lui dire en face ! Et dire qu'il avait joué les amoureux transit la dernière fois en lui demandant de le rejoindre.

Elle était tellement en colère qu'elle refusait de rentrer. Elle allait lui dire le fond de sa pensée, quel garçon misérable il était. Montant sur le toit elle le chercha dans la foule sur le marché et ne le trouva pas. Il était peut-être allé travailler à l'usine comme cela lui arrivait parfois pour se faire un peu de monnaie. Sautant de toit en toit elle se rendit aux entrepôts. Elle trouva l'usine de sidérurgie où il exercait parfois. A la porte un homme l'arrêta :

— Qu'est-ce que tu fais ici petite ?

— Je veux voir Robin ! Tout de suite ! gronda-t-elle.

Il s'esclaffa devant sa colère. Cela la mit plus en rogne encore.

— T'es qui exactement ?

— Sa mère ça se voit pas ?

— Bon ba quand tu verras ton fils tu lui dira qu'on ne serait pas contre eux mains en plus, mais les siennes ça doit faire un mois que je les ai pas vu.

Elle refit le chemin en sens inverse, trouva un gars de sa bande au marché et se glissa dans son dos avant de le retenir par le col. Il se retourna prêt à se battre et baissa les poings en la découvrant.

— Eh mais c'est la nana de Robin !

— Exactement ! Tu vas me mener à lui !

— Mais je sais pas où il est passé ! Ça fait trois jours qu'on la pas vu. On pensait qu'il était parti avec toi.

Elle serra le col plus fort le faisant glapir.

— T'as intérêt à dire vrai où je viendrais te trouver.

La laissant partir, elle se mit à la suivre discrètement, vérifiant ses dires. Il rejoignit sa bande et Robin n'était pas parmi eux. Elle fouilla les rues du quartier jusqu'à la nuit tombé avant de laisser tomber.

Elle rentra discrètement la tête basse sans comprendre. Où était-il ? Pourquoi était-il parti sans laisser de trace. Avait-il fuit quelqu'un ? Ou avec quelqu'un ? Lui était-il arrivé quelque chose ? Elle se glissa dans son lit rongé par l'inquiétude, l'incertitude et le désespoir à l'idée de ne pas savoir. Le reverrait-elle seulement pour savoir si elle devait le détester pour l'avoir abandonné ou le pleurer pour ce qui lui était arrivé ? Il n'était décidément pas bon de s'attacher.