Elle était belle la sirène. Karl n'avait jamais vu une femme aussi belle, aussi parfaite que cette sculpture, prolongement du navire qu'il chérissait tant. La mer et ce bateau c'était sa vie. Il avait embarqué dessus la première fois quand il était un chétif garçon et depuis cet endroit était sa maison. Il y avait grandi, vécu moult aventures, avait était blessé, malade au point de croire sa mort arrivée sur ce pont. Il avait formé de solides amitiés, avait eu un père de cœur, des frères de sang, un fils adoptif. Et la femme de sa vie, sa compagne de toujours était cette sublime figure de proue. Dans ses rêves il voyait son visage, l'expression que l'artiste lui a modelée, elle avait hantée ses rêves fiévreux de jeune homme, il se livrait à elle quand la solitude le prenait. Personne ne paraissait le comprendre comme elle. Comme lui elle appartenait à ce bateau, à la mer cette étendue bleue qui formait leur horizon.

Alors le jour où au cœur d'une tempête il aperçut dans les vagues sa jumelle, une femme aussi parfaite que cette figure de proue, aussi belle, avec les exacts mêmes traits qu'il connaissait par cœur son sort fut scellé. Elle le regarda intensément. Lui. Comme si elle le connaissait. Il sentait qu'elle touchait son âme. Son cœur s'emporta. Et quand elle s'enfonça à nouveau dans les flots, sa queue de poisson paraissant lui adresser un adieu il n'hésita pas. Il sauta à l'eau.

Il percuta l'eau glacé d'un fouet. Les bras de sa belle l'entourèrent, l'enlacèrent. Il s'abandonna à elle, à la mer. Il leur offrit sa vie. Au fond elle avait toujours était dans le creux de leur main.