Le Morse et le Charpentier, et ce qu'il advint des Huîtres (partie 2)
Le jour de la Première était finalement arrivé, et, devinez quoi, il n'y avait plus personne d'autre que moi sur scène, à devoir assurer un spectacle prévu pour cinquante danseuses !
« Charpentier, lui demandais-je enfin peu de temps avant que les premiers spectateurs ne fassent leur entrée dans la salle, allons, pouvez-vous me dire où diable sont passées mes sœurs ? Vois comme les spectateurs se massent déjà à la porte du théâtre que tu as bâti, et me voilà pourtant toute seule sur scène ! Enfin, m'expliquera-tu ce que signifie tout ceci ? » Le Charpentier, qui était alors assis sur l'un des multiples sièges qu'occuperaient bientôt les spectateurs, ne répondit pas immédiatement. Plutôt, il passa d'abord une main dans ses beaux cheveux roux, caressa d'un geste sa jolie barbe flamboyante, et sa main passa même sur quelques poils saillants de son grand torse musclé, tout à fait visibles sous les zones que ne couvrait pas son rugueux tablier de travail, et sous lequel il demeurait parfaitement torse nu... Heum ! Et, il dit d'une voix aussi suave qu'emprunte d'une sorte de...déception :
« Ma petite Huître, ma chère petite Huître, commença-t-il en se levant et accompagnant ses paroles de gestes et mouvements théâtraux, ne comprends-tu pas ? Non, non, tu semble ne pas comprendre, et c'est fort, fort dommage...
-Mais, Charpentier... Qu'y a-t-il à comprendre ?
-Qu'y a-t-il à comprendre ? Ma foi, c'est pourtant aussi simple que c'est évident ! Aussi simple et évident que si nous causions, imaginons, de bateaux, de cire à cacheter, de souliers...
-De choux et de rois...
-Aussi clairement que tu est une Huître, et que le meilleur accompagnement au pain (et non au massepain) n'est autre que le beurre d'ail... Maintenant, voudrais-tu danser pour moi ?
-Danser ? Mais, Charpentier, sans mes sœurs...
-Danse, te dis-je ! » Ainsi je dansa, mais mes amis, vraiment sans que l'envie ne m'en prenne ! Le Charpentier venait de quelque peu hausser la voix dans la diction de son ordre, et, fichtre, c'était bien la première fois que je l'entendais monter le ton... Hé, mais d'ailleurs, où était bien passé son sale ami le Morse ? J'étais, pensez, bien surprise de ne pas encore l'avoir vu dans les parages. Était-il encore dans sa loge ? ...Oh, et puis, hein ! Pour ce que j'en ai à faire de lui, moi... !
«Tu danse à la perfection, ma gentille Huître ! » me complimenta soudainement le Charpentier. «Vraiment, repris-t-il je suis bien aise que, de toutes tes consœurs, tu sois celle qui s'en soit sortie le mieux. Ah ! Décidément, tu est exquise... Oui, bien exquise ! Pas vrai, le Morse ? » s'écria-t-il en mettant une de ses mains en porte-voix devant sa bouche, et orientant tout à coup sa parole en direction des coulisses. A cet instant surgit brusquement le Morse, plus imposant et repoussant que jamais.
Bon sang, la frousse dantesque qu'il me fit, celui-là ! Hop ! Et voilà qu'il venait de surgir sur la scène, dans un élan d'agilité que je ne lui aurais tout bonnement jamais soupçonné ! Crac ! Fit le parquet sous la réception de son énorme poids, tandis qu'il s'avançait vers moi, horrible et souriant, en se frottant les mains...
«N'oublie pas, le Morse... » commença le Charpentier sur un ton de réprimande.
«-Je n'oublie pas ! » le coupa le Morse dans un grognement rauque avant de s'écrier bien fort ! « Haut ! » Oh non, pas encore... !
« Elle sera la dernière, et, je n'en doute pas, la meilleure ! » poursuivit-il en attrapant ma jambe en plein vol. De la lâcher je l'implora, mais, c'est que ce vil ne m'écouta pas !
«-Charpentier ! » finis-je par appeler presque comme au secours, d'une voix que je ne reconnus guère comme la mienne, ce rustre de Morse commençant à faire naître en moi des angoisses tout à fait inédites, et dont j'avais soudainement très peur...
« -Allons, allons, n'aie crainte ! » me répliqua celui-ci en faisant de grand gestes convenablement bizarres. Alors, contre tout bon sens (et vraiment, nous étions à peu de chose de l'avoir totalement laissé sur le pavé, celui là), le Morse et le Charpentier se mirent à fredonner pour l'un et siffloter pour l'autre, s'accordant sur une guillerette mélodie sonnant un peu comme : na nin nin nin na nin, nin nin, nin nin, nin na ! Et le Morse barytonna : «Le temps est venu, ma chère petite, de parler de choses importantes... De bateaux, de souliers, de cire à cacheter, de choux et de rois ! Allons, venez avec moi : une plaisante marche, une plaisante conversation ! Caloo ! Calay ! Nous allons balayer le sable et ce soir nous régaler, en commençant par une miche de pain... » Et le Charpentier, malheureusement, enchaîna :
« Une miche de pain pour commencer, fu fu fu fu... (là, il siffle), et nous serons nourris comme des rois ! Accommodée à du beurre d'ail, c'est ainsi que sont meilleures les Huîtres ! Caloo ! Calay ! Le spectacle va commencer ! » Et c'est alors que le Morse se jeta sur moi ! Horreur ! Horreur ! Horreur ! C'est qu'il me plia la jambe si violemment que j'en eus les nerfs, et mes émotions, tous froissés, froissés, froissés comme des boules de papier pleines de cire à cacheter ! Sur la scène nue, le grand miroir qui nous servait de témoin à mes sœurs et moi, me dévoile soudain un spectacle à en perdre la tête ! La mer, et la plage, et le sable, me perdent ! Et ce que je vois ! Et ce que ! Je ! VOIS... !
«Charpentier ! Charpentier, vas-tu m'expliquer ?! » je supplie à ce dernier tout en tentant désespérément de me défaire de l'emprise indéfectible du Morse.
«Expliquer ? Voilà qui est étonnant ! Expliquer quoi, ma bonne Huître ? » demande-t-il en se plaçant aux côtés du Morse, lequel tient désormais davantage de l'animal que de l'humain, si compté qu'une âme humaine puisse... Qu'une âme humaine puisse... !
«Je m'excuse, poursuivit-il d'une voix légèrement embarrassée, mais d'une résignation pleinement assumée, de l'attitude de mon ami. Il est plus esclaves de ses désirs que moi, et lui, surtout, ne sait jamais se contrôler... Va-tu cesser, le Morse ! » Mais le Morse ne cessa point.
«Vraiment, tu est incorrigible ! » lui lança le Charpentier en soupirant, tandis que, tremblante et sans retrouver l'usage de ma jambe droite, je glissais tout à coup sur le sol lustré de la scène, et m'effondra, pour ainsi dire, bien magistralement par terre. Mes peines je pensa derrière moi, tandis que, vite vite vite ! Je rampais à terre, tentant du mieux que possible de me relever, mais c'est que le Charpentier se posta devant moi et, oh... ! ...Me barra la route ! J'ai fait « Ha ! » et lui a ait « Ah ! » tandis que, surprise ! A cet instant précis s'ouvrirent les portes du théâtre, et c'est, je vous le dis, le public le plus bigarré que je n'ai jamais vu qui se mit à peupler les nombreux sièges en taffetas rouge de la salle ! Des fleurs dotées de paroles, un œuf, oui, un œuf à visage humain, deux drôles de petits bonshommes identiques, au moins tout un jeu d'échec vivant (et les rouges et les blancs tinrent à chacun s'asseoir à une extrémité de la salle qu'ils semblèrent dès lors délimiter comme leur espace personnel), un lion et une licorne en armure ayant fait, pour s'occuper les papilles durant le spectacle j'imagine, une profusion assez impressionnante de quatre-quart, un vrai de vrai de chevalier sur son cheval blanc (mais, étant très chargé de tout un tas de choses, il tombait de sa monture presque tous les mètres avant de continuellement se remettre en selle), quelques grenouilles et poissons en costume de laquais, un gigot sur pieds, et enfin je crois, la salle fût complète.
Je n'eus guère le temps d'exprimer ma surprise, aussitôt que tous les spectateurs furent installés, immédiatement la lumière d'un grand chandelier suspendu au plafond, qui jusque là éclairait l'entièreté de la salle, s'évanouit d'un seul coup, plongeant quelques instant le théâtre dans le noir le plus total. De m'enfuir je tenta bien, pensez, avec une telle obscurité à mon service. Je me releva donc malgré mes douleurs aux jambes et voulu courir, courir, courir le plus vite et le plus loin possible de toute cette sombre farce ! Mais je me cogna tout à coup contre quelque chose de si lourd et de si massif, que la collision fit un bruit de 'bang !' et de 'schlang !' avant que je ne m'écrase à nouveau au sol tant ma chute avait été violente. Et c'est alors, imaginez donc, que brutalement une forte lumière rouge aspergea la scène de trois douches sanglantes, et face à moi se révéla soudain ni plus ni moins que ce que je venais de heurter à l'instant : une grande, grande roue mécanique toute pleine d'engrenages et autres machineries complexes, et qui se révéla actionnée, vous ne me croirez pas...par une de mes sœurs ! Mais les soudains applaudissements du public couvrirent totalement la question que je lui posa, tandis que, dans un état si lamentable que s'en était une peine, ma chère sœur continuait de tourner la large manivelle, actionnant la roue...
De fausses vagues toutes de métal rouillé faîtes jaillirent alors du sol, et se mirent à onduler d'avant en arrière au fur et à mesure que ma sœur faisait tournoyer la manivelle. De l'autre côté, une jeune fille que je reconnus, là aussi, comme une autre de mes pauvres sœurs, se révélait occupée à la même besogne que l'autre, à cela de près que la roue qu'elle actionnait quant à elle, contrôlait les mouvements saccadés et balancés d'un faux navire écumant des vagues de rouille. Mais je n'eus même pas le temps d'aller à sa rencontre ! Aussitôt les grandes mains du Charpentier me saisirent sec par les épaules, et c'est pour peu qu'il me jeta presque au centre de la scène ! Oh, oh, oh... Bon sang de zut, mais que va-t-il seulement...
« Et maintenant ! » s'exclama-t-il subitement, assez fortement pour que l'intégralité de son auditoire atypique l'entende : «Et maintenant, il est l'heure de...danser ! » Il s'éclipsa de scène aussi vite qu'il y était entré, et voilà que je me retrouvais seule entre tous ces décors sombres, si sombres ! Baignée de cette lumière rouge, si rouge ! Et face à ces étranges spectateurs, et derrière le tout autant étrange mécanisme actionné par mes sœurs... Pensez si je fus capable d'effectuer le moindre mouvement ! A ce stade, la chorégraphie était bien devenue la dernière de mes préoccupations ! Mais, c'est alors que dans l'air écarlate, quelques notes... Un petit fu fu fu fu fluet à la flûte, je crois, et bien vite suivi d'un genre de bodobom bom bom, bodobom bom bom aux allures d'un ensemble de cuivres... Et là, là...
..........................................................................................................................................................................entrent le Morse et le Charpentier.
Mais qu'est-ce que...
«Si seulement ! » glapit, très fort, le Morse, avant de poursuivre : «Tout ce sable, si seulement, était une fois sur ce sol déblayé ! Certes alors, ce serait formidable ! » A cela le Charpentier lui donna un grand coup marteau sur la tête, répliquant, entre autre, qu'il en doutait, ce qui amena les deux à verser d'amères larmes, tandis que, derrière, la musique jouait toujours, cuivres et flûtes unis en de mélodieux, quoique parfois discordants accords.
« Il faudrait, répondit à cela le Charpentier, armer au moins quarante-neuf personnes de deux balais chacun, pour un total de quatre-vingt-dix-huit balais. Alors, peut-être serait-il enfin le temps de parler de choses importantes. » Et il se positionna bien au milieu de la scène, exposant à la pluie vermeille son corps saillant de muscles rebondis, sa chevelure tigrée devenue rouge sous la lumière...
« Le temps est venu, dit-il d'une voix tout à fait déterminée, autant à l'intention du public qu'à celle du Morse, de causer de choses importantes ! » Et tout le monde dans la salle, Morse, Charpentier, et spectateurs aussi, se mirent à réciter en chœur «De bateaux, de souliers, de cire à cacheter, de choux et de rois ! » Quelqu'un cria «Caloo ! » , quelqu'un d'autre «Calay ! » , le Morse et le Charpentier « Caloo ! Calay ! » et tout le monde applaudit dans un éclat fracassant. De bateau, au fond, il en y avait bien un sur scène, mais pour ce que je compris du reste... Souliers ! Cire à cacheter ! Choux ! Rois ! Débilités, oui ! S'il était vrai que nous avions tous des souliers aux pieds, ça, je peux l'admettre, que dire des trois mots restants de cette bizarre énigme !
« Mais le sable, répliqua tout à coup le Morse, me fatigue soudainement, et m'affame. Il n'y a ici à se mettre sous la dent rien de plus que de la cire à cacheter, et, je dois t'avouer, très cher Charpentier, que cela me désole profondément...
-Ne te désole pas, le Morse ! répliqua aussitôt le Charpentier avec une sorte d'enthousiasme dans la voix. J'ai ouï dire en cette saison, que les Huîtres sont délicieuses. » Et, dame, son regard vers moi à l'instant n'en révéla pas moins...
Oh, bon sang... Que le Charpentier me regarde ainsi, et devant un public qui plus est... Songez si j'en fus embarrassée ! Mais, oh, c'est à peine, oui, à peine si j'eus le temps de m'en remettre, qu'aussitôt le Morse sortit d'une des poches de sa redingote bleue, attendez un instant... Une petite flûte traversière ! Toute petite ! Et il la porta, là, à ses lèvres, et alors ! C'est insensé et impensable, mais, croyez-moi car je ne vous ment pas, aussitôt le Morse se mit-il à jouer -avec une certaine virtuosité que je ne lui soupçonnais absolument pas, par ailleurs- , et, moi, sous l'emprise de la musique...je me mis à danser ! Danser, danser, danser, tourbillonner, et sautiller, et m'élancer, comme une toupie folle, comme un automate fou, et je ne contrôlais, non, vraiment, vraiment plus rien de mes mouvements, je le jure ! Je fis «Ah ! Aaah ! Aaaaaah ! » et le public fit « Ha ! Haa ! Haaaaah ! » au fur et à mesure que je dansais, dansais dansais dansais à n'en plus finir, sans pouvoir, sans réussir un seul instant à m'arrêter !
« La mer est vaste. » admit le Charpentier en s'approchant vers moi (et je contrôla au mieux mes mouvements pour ne pas le frapper accidentellement). Toujours armé de son marteau, il me donna alors, oh, non, un coup si grand, si fort sur la tête, que j'en tomba raide au sol, m'arrêtant d'un seul coup de danser, et la caboche sans doute sanguinolente et ouverte comme une coquille. Où... Ma vision se brouille, mes sens se troublent... Des cris, des voix, bon sang, des voix, des voix, des voix sourdes à n'en plus finir... Je me sens aveugle, muette, épuisée, et je n'ai, non, plus la force de quoi que ce soit, de quoi que ce soit... Le Morse et le Charpentier... Le Morse et le Charpentier... Le Morse et le Charpentier... Qui, quoi, que ont-ils, que ce passe-t-il ? Je...
Je me réveillais sur la scène, agressée d'une lumière plus rouge et vive que jamais dans un théâtre aux allures de ténèbres, et où se révélèrent demeurer près de moi, mes quarante-neuf sœurs, toutes tremblantes recroquevillées sur elles-mêmes. De question je ne pu leur poser, quand soudain pénétrèrent dans notre coin le Morse seul, sans être accompagné du Charpentier, en se frottant les mains d'un air lubrique comme il l'avait si souvent fait du temps ou nous nous entraînions pour le ballet...
«Et maintenant, dit-il, un gros sourire étirant ses babines poilues, croyez-moi mes mignonnes, je verse un pleur, je sympathise grandement à votre cause, gentilles et curieuses petites Huîtres... Mais, pour sûr, vous devez être exquises ! »
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