Paul sans peur
Je marche les mains dans les poches le long des rochers. Malgré le grand soleil éclatant en ce jour d'été, j'ai gardé mon sweat velociraptor rouge. Et cela pour deux raisons : attraper un rhume juste avant les vacances, ça craint, et surtout, parce que c'est mon sweat préféré.
Même si j'habite en Bretagne, dans une maison en face de la mer, j'aime pas la plage. Il fait jamais très chaud, il pleut presque tout le temps. Il y a beaucoup d'eau et on peut se noyer. Le pire, c'est le sable. On s'enfonce dedans, ça colle et on peut s'en mettre dans les yeux. C'est juste très dangereux.
Mais aujourd'hui, j'ai fait une exception.
Mes deux meilleurs amis n'arrêtent pas de parler de films d'horreurs. Ma mère refuse que j'en regarde, ce qui est, on peux le dire, très injuste. Ils se moquent de moi, en me disant que je suis encore un bébé. Pour leur prouver que je n'ai peur de rien (ce qui est vrai), je leur est proposé de vivre une histoire d'horreur pour de vrai. Simplement pour voir qui aura le plus peur de nous trois. Ils ont accepté le défi.
J'ai d'abord proposé le cimetière de nuit, ils ont répondus qu'il fermait à dix-neuf heures. J'ai ensuite proposé le manoir abandonné, ils ont répondus qu'on pourrait vraiment y mourir, vu comme le toit est bancal. J'ai proposé l'école à minuit, mais ils ont répondus qu'on avait pas les clefs. J'ai même proposé de simplement faire un tour dans la cour de récré après dix-huit heures, mais ils ont répondus qu'on pourraient être virés pour ça.
Alors finalement, ils ont proposés d'aller se balader sur le morceau de plage à seulement deux kilomètres du parc d'attraction fermés, en plein jour. J'ai accepté, je suis pas une poule mouillé. Le rendez-vous est aujourd'hui, mais je suis tout seul. Ils ont dû oubliés.
J'observe une dernière fois les alentours. Les touristes ne sont pas encore arrivés, ce qui explique que l'endroit soit désertique. Parfois, le vent soulève une poignée de sables pendant quelques secondes et le fait tournoyer. Dès que cela se produit trop près de moi, je me protège les yeux avec ma manche, juste au cas où. Ça me stresse vraiment ces cochonneries. C'est pourquoi, je préfère marcher sur les rochers qui siègent entre la mer et la terre. A force de passages, l'eau les a rendus moins pointus. Il faut seulement éviter de coincer son pied dans un trou. Moi, je suis un expert donc je n'ai aucun soucis.
Je commence à m'ennuyer, en plus je n'aime toujours pas la plage. Ça pue les algues. J'ai l'impression d'avoir du gros sel dans le nez. En plus, le vent tente de me pousser en me griffant le visage. Je tiens bon sur mes pieds et je met ma capuche. J'avais dit à ma mère, que je reviendrais avant la tombée de la nuit. Elle serra surprise de me voir rentrer avant l'heure du goûter.
Je saute pour rejoindre de nouveau la berge, mais mon pied heurte un rocher et je tombe à plat ventre. Le pire, c'est que je crois que j'ai avaler du sable. Alors que je me relève en me demandant si on peut digérer ces trucs, j'aperçois un grand garçon à cinq mètres de moi.
Il a le teint très pâle. Ses habits et ses cheveux sont aussi laiteux. On dirai qu'il c'est roulé dans de la farine de la tête au pieds. Ses yeux bleus brillent tellement, que je ne remarque pas tout de suite qu'il flotte dans les airs.
J'ai alors une illumination. Mes deux amis m'ont fait une mauvaise blague, pour me faire peur. Ils doivent être cachés pas très loin pour m'observer. En effet, je crois reconnaître, sous tous ce maquillage, Jeremy, le grand frère d'un camarade de classe.
-Wow, cool le costume.Tu t'appelles Jeremy, c'est ça ?
-Non... moi, c'est Nathan. Tu... tu peux me voir ?
C'est vrai que dans les livres, les fantômes sont invisibles. Il est intelligent... et très bon acteur. Je décide de rentrer dans son jeu pour impressionner mes amis.
-Évidement que je peux te voir. Je suis Paul, en CM1 B. On a déjà dû se croiser à la récré.
-Enchanté Paul.
Il est nettement plus grand que dans mes souvenirs. Le maquillage le rend très adulte et il arrive même à modifier sa voix, pour lui donner des tons graves. J'y est presque cru, dommage. « Nathan » contourne une dune en la scannant sous tous ses angles.
-Qu'est ce que tu fais ?
-Je cherche quelque chose.
Nos regards se croisent et je perçois de la sincérité. Son visage me fait de la peine. Il semble vraiment triste.
-Je peux t'aider si tu veux. Ma mère dit toujours que j'ai de très bons yeux.
-Si tu veux. Je cherche... une petite boîte rouge.
Je pense qu'il dit la vérité. Peut être, qu'en préparant la blague, il a vraiment fait tomber sa boîte rouge.
-D'accord, je vais chercher par là et toi, vas par là.
Le faux fantôme m'obéit silencieusement. Il faudra que je lui demande comment il fait pour flotter. C'est très réaliste. Je vais à nouveau sur les rochers et je me met à chercher, tout en gardant un œil sur « Nathan ».
Au bout d'une demi-heure, nous n'avons toujours rien trouvé. Il y a seulement des algues, des coquillages, des crabes et toujours ce foutu sable. Jeremy alias le fantôme, s'approche de moi.
-Tu devrais peut être rentrer Paul, il se fait tard. Tu pourrais attraper froid.
-Il est à peine seize heures ! Et je n'ai pas froid. Tu as froid toi ?
-Je n'ai plus très froid, ni très chaud depuis un petit moment, malheureusement.
Il se gratte l'arrière du crâne en m'offrant un sourire. Je le lui renvoie.
-Ça doit faire longtemps que tu cherches, alors.
-Sûrement plus de cent trente ans maintenant.
Étrangement, ses mensonges sonnent plutôt bien. Je ne peux pas croire qu'il mente, mais je ne veux pas croire qu'il dit vrai. Si je pousse un peu plus loin, il finira par s'emmêler dans son texte.
-Ça en fait des années ...
-Oui, mais c'est très important pour moi.
Il fixe le sol et ses joues deviennent bleu clair.
-Il y a quoi dans ta boîte rouge ?
-Il y a un bague de fiançailles. Je voulais demander ma bien aimée en mariage, sur cette plage. Je n'en est pas eu le temps, qu'une tempête nous a emportés tout les deux. Elle est passé dans la lumière et m'y attend, mais je ne peux pas la rejoindre sans la bague ! Comment faire ma demande sans ?
Je réfléchis un peu puis la réponse me semble évidente.
-Je suis sûre que t'en a plus besoin, maintenant que t'es mort. Ma mère m'a dit que ce marier c'est pour rester avec sa chérie jusqu'à la mort. Donc logiquement, si tu es déjà mort, ça sert plus à rien. Ta chéri à toi, elle doit t'aimer encore plus que la mort, si elle t'attend depuis cent trente ans. Pas besoin de mariage pour rester avec elle... En plus, ça doit faire un moment qu'elle a rouillé, ta bague.
Nathan semble perplexe.
-Tu as raison... je ne dois pas la faire attendre plus longtemps !
L'homme se redresse comme libéré d'un poids. Soudain, un soleil, plus éblouissant que Nathan, apparaît près de ce dernier.
-Merci Paul pour tes précieux conseils !
-De rien.
C'est en voyant Nathan s'évaporer peu à peu, que je réalise.
-Attends. Tu es un vrai fantôme ?!
Nathan semble rigoler, puis il disparait dans la lumière blanche.
-Ça alors...
C'était pas une blague ? J'ai vraiment vu un fantôme ?
Bof, ça faisait pas si peur. Il faut que je trouve mieux pour impressionner mes amis.
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