Le voilier
Comme précédemment, ce texte a été écrit dans le but d'un mini concours. Cette fois, pas de pitch commun mais une image. Sur cette image, on voyait un bateau bravant la mer de glace. Suite à ça, nous devions imaginer une histoire autour de ce bateau.
La glace tremble contre le bateau qui fonce à travers la brume épaisse de la nuit et le léger clapot des vagues sur la coque.
40 matelots, mais aucun ne semble pris de nausées depuis des jours. Il n'y a plus de temps, il presse, file et court si vite que Mario en a le souffle coupé à chaque instant.
Instant qu'il prend le temps de savourer, une seconde tout au plus sur le pont en bois vieillis qui semble avoir navigué à travers les époques et les décennies. À la recherche de qui, de quoi ? Seuls les fantômes du passé sont aptes à lui répondre. Mais Mario n'a pas le temps. Le temps presse et file plus vite si bien que son coeur bat un peu plus fort dans sa poitrine quand il entend le capitaine se presser à la barre, contournant ces géants de glace à la même allure qu'à l'époque.
Antoine passe à côté de lui en coup de vent, lui sourit à la volée comme la brise qui attise le clapot des vagues, mais Mario ne répond pas à cette chaleur.
Ce soir, il a froid. Malgré la polaire et la veste de quart qu'il porte, le froid tétanise ses membres, scie ses os et fait tomber ses lèvres.
Les mots qu'il aimerait prononcer depuis des années se meurent un peu plus encore, la glace entrant dans ses poumons à chaque inspiration.
Pas de répit, même dans la nuit noire, dans la brume ou dans la neige, cette épave du passé ne va pas avancer seule. Les ordres du capitaine résonnent dans le silence jusqu'à ce que l'écho se fasse lointain, faible et que le calme du monde retombe sur eux avec violence.
Mario ne sait toujours pas pourquoi il a accepté ce voyage. Quand sa petite amie lui a offert cette virée d'époque en cadeau de 30 ans, il ne pensait pas vivre une épreuve si difficile. Dans le froid de la banquise, même en plein été, les passages étroits qui se dévoilent par la fonte restent hostiles et imprévisibles.
Depuis qu'ils sont arrivés dans ce territoire de glace où il n'est pas rare de croiser des animaux qu'on ne voit qu'en photos, les souvenirs du Titanic et de ceux qui l'ont précédé tournent en boucle dans sa tête.
Il se dit qu'il est extrême, qu'être parti sans dire je t'aime à Lola était une erreur qu'il regrettera toute sa vie, encore plus quand les profondeurs de l'océan engloutiront son corps gelé et sans vie. Le soir, quand il ne prend pas la relève du capitaine à la barre d'écoute et qu'il se repose dans la cale entre les cargaisons de nourriture qui les maintiennent en vie, il s'imagine danser avec les pingouins en silence, flottant à l'occasion jusqu'à se laisser dériver par le courant sur les rives de glace.
- Mario, tu peux retourner sur le pont, l'interpelle Antoine en attachant ses longs cheveux blonds. Va te reposer, la nuit risque d'être longue.
Mario hoche la tête, parce qu'il ne sait faire que ça sur ce bateau. Antoine est le seul compréhensif, le seul qui ne se moque pas de son handicap et des paroles qui meurent dans sa gorge, l'empêchant d'exprimer ses peines et ses angoisses loin de Lola.
Lola. Un sourire discret naît sur ses lèvres quand il rejoint le pont où deux autres personnes sont affalées contre du cordage, de gros bonnets sur la tête.
Lola. Deux petites syllabes qui rendent son nom si attractif et délicat dans ses pensées. Deux petites syllabes qu'il rêve de pouvoir prononcer une fois dans son existence sans paraître comme un homme ridicule qui fait peur aux enfants dès qu'il ouvre la bouche.
Mario se trouve un cordage qu'il enroule proprement pour reposer son dos dessus, puis s'affale en posant ses fesses sur le bois humide du pont, près à veiller.
La neige commence doucement à tomber en minuscules flocons, tous aussi uniques et merveilleux que les personnalités de Lola.
Lola. Lola qui lui a offert ce voyage d'une vie, partant d'une bonne intention mais qui se révèle être le fruit de toutes ses angoisses. Il se demande en boucle s'il aura le courage de lui avouer l'atrocité de cette épopée, ou s'il aura ne serait-ce que quelques doigts pour conter son périple.
Ses doigts, froids et engourdis. Mario les place dans ses poches, un peu tremblant. Il ne doit pas les perdre. Si les mots lui manquent pour raconter la vie, les doigts sont la seule chose qui lui permettent de se sentir comme un être humain normal et non un extra-terrestre bon a être enfermé.
Tremblant de froid, son souffle réchauffant la nuit en faisant de gros nuages blancs, il observe le paysage défiler avec lenteur sous ses yeux, à la faible lueur des étoiles. Il ignore ses cils qui se recouvrent de flocons glacés, ignore sa barbe trop longue et hirsute qu'il n'a pas pu entretenir depuis des jours, et il pense à Lola.
Il pense à ses cheveux bleutés comme la banquise face à lui. Il pense à ses yeux dorées comme le bec du grand manchot qu'il a aperçut ce matin. Il pense à sa démarche majestueuse comme un ours blanc. Il pense et pense encore jusqu'à ce que les mots manquent pour décrire sa beauté et qu'une larme silencieuse meurent sur sa joue. Figée.
Mario l'enlève rapidement, chassant au passage le blanc immaculé sur ses poils, et sourit.
Il sourit de fierté, en imaginant celui de Lola quand elle le verra rentrer.
Dans la nuit noire et les étoiles du Nord, Mario s'autorise à fermer les yeux, juste cinq minutes. Cinq minutes pour revoir le visage de sa douce. Cinq minutes pour oublier le bruit du bateau qui brise la glace.
Cinq minutes pour apprécier le silence qui dicte sa vie. Pour la première fois.
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