Le trophée
Ce texte a été écrit dans le but d'un mini concours. La première phrase était imposée, il fallait composer une nouvelle avec sur le thème d'une victoire.
Quand je passe devant ce trophée, je ressens toujours un pincement au coeur que je préfère cacher. La photo vieillissante de son sourire intemporel me tord les boyaux au point que j'ai envie de vomir ou de pleurer toutes les larmes de mon corps.
Même 20 ans après, la douleur ne disparaît pas.
Un adolescent me bouscule légèrement, rattrapant un ballon de football que lui a lancé un camarade, et je ne manque pas de lui faire une remarque sur ce comportement. Si le règlement que j'ai établi il y a quelques années maintenant peut avoir ses défauts, jouer au ballon dans les couloirs reste inscrit noir sur blanc.
- Proviseure Kavinski ! M'interpelle Madame Turin, la professeure d'art plastique du lycée. Excusez-moi de vous embêter pendant votre pause de midi, mais j'aurais voulu discuter de cet atelier du midi et sa mise en place. Je pense que c'est une bonne idée pour ceux qui ne veulent pas jouer au football, ou d'autres sports.
Je déglutis péniblement, mal à l'aise d'être contrainte à rester devant cette vitrine qui me rend si nerveuse, et le visage de l'homme que j'aime encore bien encré sous mes paupières.
- Vous allez bien, proviseure ? Me demande la brune joufflue qui lui donnent un air bienveillant. Je ne voulais pas... Oh.
Son regard trouve la vitrine remplit de trophées en tout genre et de photos d'équipes athlétiques, aussi bien en sport de ballon qu'en course ou raquette. Je vois ses yeux bleus trouver la photo de Josh, entourée de mots d'amours et deuils en crayons pailletés. Et dire qu'à cette époque, nos professeurs n'avaient pas trouvé plus approprié que ce genre de feutre.
- Je tiens vraiment à m'excuser, je n'avais pas vu que vous... Enfin... Ce n'est un secret pour personne, cette histoire avec... Josh.
Elle prononce son prénom avec précaution, comme si le seul fait de le prononcer pouvait me briser en milles morceaux. Dommage pour elle, c'est déjà le cas.
- Ce n'est rien, je finis par affirmer d'une petite voix. Il est mort depuis 20 bonnes années, je devrais réussir à tourner la page un jour. Seulement, il aurait dû avoir 47 ans aujourd'hui. Nous aurions un chien et trois chats, peut-être des grands enfants voire même des petits enfants. Nous aurions une maison de campagne, loin de la ville où notre seule préoccupation serait d'aller planter des courgettes dans notre super serre. Mais au lieu de ça, je me retrouve ici, dans ce lycée miteux où tout le monde me déteste, mais que je ne me vois pas quitter.
J'ai l'impression de sentir la main de Josh dans la mienne, réchauffant les plis de ma peau par le seul contact de la sienne. Je baisse la tête pour constater que ce n'est qu'un tour de mon esprit, coincé par ses souvenirs de tendresse qui me hantent chaque jour.
Et quand la nuit tombe, ce sont les cauchemars qui prennent le relais, m'arrachant aux bras de Morphée avec une telle violence, que je ressens presque la balle qui lui a transpercé la poitrine, cet après-midi de mai.
Une larme coule sur ma joue, froide et lente, mais je l'essuie avec rage du revers de la main.
- Proviseure, je ne voudrais pas m'immiscer dans votre vie, reprend Turin d'une voix sincèrement peinée. Vous avez l'air assez secouée, je pense qu'il serait préférable de rentrer chez vous, prendre un peu de temps pour soi, se couler un bain chaud. Je sais que le deuil est parfois rude, mais pensez-vous qu'il voudrait vous voir dans cet état ?
Je sursaute, un spasme soudain prenant tout mon corps. Madame Turin me dévisage, mais pas du genre à se moquer de vous en observant la moindre de vos réactions avec jugement. Non. Elle semble réellement triste et inquiète pour moi. Je porte une main tremblante à mon front, j'ai soudain si chaud. Plusieurs frissons remontent le long de mon échine, et ma bouche devient pâteuse. Turin le remarque, car elle porte un de ses bras à ma taille, m'aidant à rester debout.
Je regarde les différents trophées, et le plus gros près de Josh, le dernier qu'il n'aura jamais touché de sa vie.
Turin se permet de mettre une main près de ma nuque, puis la retire vivement.
- Proviseure Kavinski, vous êtes brûlante ! Je vais vous ramener dans votre bureau. Toi ! Dit-elle en interpellant une jeune fille qui mâche bruyamment son chewing-gum. Va chercher l'infirmière et dit lui de venir dans le bureau de la proviseure en urgence.
Je vois la jeune acquiescer avant de tourner à l'angle du couloir à toute vitesse. Mes jambes deviennent étrangement lourdes, mes paupières difficiles à ouvrir.
- Vous avez de la fièvre, continue Turin en avançant un peu tandis que je m'appuie sur elle. Vous devez être malade.
Je crois que j'hoche la tête, mais ne suis plus sûre de rien. Je vois des étoiles sous mes paupières, je sens mes jambes céder sous mon poids, le cri de madame Turin, les chuchotements des élèves, la sirène d'une ambulance, le chien de quelqu'un, le froid sur ma peau, la chaleur d'une main moite, la vitesse d'une voiture, puis le noir.
***
Quand j'ouvre mes paupières, c'est un blanc aveuglant qui m'accueille, me forçant à ouvrir mes yeux en étapes douloureuses. Mon corps semble flotter, beaucoup plus léger qu'il y a quelques secondes, et ma bouche beaucoup plus humide.
Autour de moi, des centaines de nuages se forment, et je ne tiens sur rien. Aucun avion, hélicoptère ou fusée pour me maintenir dans les airs, je flotte telle une étoile dans la galaxie, telle une plume portée par le vent.
Au dessus de moi, l'Univers aussi noir et dense que lumineux et éclatant se révèle, quand je devine qu'en dessous se trouve les continents abrupts de la Terre, et le bleu infini de la mer.
Quand je redresse la tête, un peu perdue, déboussolée, une silhouette se forme au loin. D'abord floue, elle semble se rapprocher à toute vitesse, à mesure que ma vision fait le point.
C'est clairement un homme, vu ses larges épaules et sa mâchoire carrée que je devine par le peu de lumière qu'il dégage. Je profite pour regarder mes bras, persuadée que je rêve quand je les vois en transparence.
Un rire m'échappe. On peut vraiment faire ce genre de rêve à presque 50 ans ?
Le temps que je relève ma tête, une main rugueuse et gigantesque toute aussi transparente passe sous mon nez, paume vers le ciel, comme si la personne voulait que je la saisisse.
Je place ma main dans la sienne, sans sentir la chaleur de notre peau l'une contre l'autre. Je ne sais pas pourquoi, mais comme tout à l'heure, une larme scintillante descend sur ma joue, mais avant que je n'aie pu l'essuyer, l'homme s'en charge de sa main libre. Il emprisonne mon menton, relevant doucement ma mâchoire vers lui, et je lâche un hoquet de surprise.
Sa barbe bien rasée entoure ce sourire qui m'a tant manqué. Ses yeux verts tels deux émeraudes brillent d'une étrange lueur tandis que ses cheveux bruns sont coiffés en arrière, retenu par une sorte de gel.
De mon unique main libre, je caresse celle qui tient mon menton, et m'autorise à verser ses larmes brûlantes qui piquent mes yeux.
- Josh, c'est toi ?
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