Histoire de se connaître - part. 2
Au moment de partir, il fit tomber sa feuille sur la table de la jeune fille et quitta la salle sans même s'assurer qu'elle la prendrait. Il s'en voulait d'avoir été si maladroit.
Pendant tout le trajet, il rumina ses sombres pensées espérant qu'elle ne lui en voudrait pas trop.
Inès ne remarqua pas de suite la feuille sur sa table, trop préoccupée par ses stylos dans sa trousse, tentant en vain de faire le vide dans sa tête.
Elle ramassa le reste de ses affaires et glissa le morceau de papier entre deux cahiers sans vraiment y prêter attention. C'est une fois rentrée chez elle, en vidant son sac qu'Inès remarqua la feuille pliée en quatre.
Curieuse, elle l'ouvrit et fut surprise de reconnaître l'écriture fine mais maladroite de Florian. Inès prit à peine le temps de lire le mot pour attraper son téléphone et lui envoyer un message.
Florian vérifiait son écran de téléphone pour la cinquième fois en autant de minutes quand un message fit battre son cœur un peu plus vite. Inès avait dû trouver son papier.
Salut Florian, non je ne t'en veux pas, ne t'en fait pas, je serai là demain et jeudi également à toute heure de la journée.
Veux-tu que l'on mange ensemble comme aujourd'hui ?
Inès
Le jeune homme relut plusieurs fois le message puis décida de se mettre au travail, sa concentration n'était pourtant pas la meilleure mais il parvint tout de même à mettre ses notes au propre et finir ses fiches. Il était fin prêt pour vendredi, peut-être ils ne travailleraient pas trop avec Inès, du moins, il l'espérait.
Malgré l'étiquette qu'on lui collait, Inès n'était pas du genre à fréquenter outre mesure les bibliothèques, elle préférait le calme de son appartement à l'agitation silencieuse qui régnait entre les rayonnages de livres.
Ce mercredi matin pourtant, elle passa les portes du bâtiment à son ouverture et s'installa à la même table que la veille.
Préparer sa soutenance sur Babylone lui avait pris trop de temps, il fallait qu'elle finisse ses fiches sur la civilisation maya mais le travail semblait colossal.
Elle venait de terminer la partie sur la chute de la civilisation quand Florian arriva.
Celui-ci réprima un sourire en constatant que la jeune femme était venue et surtout qu'elle travaillait sur son polycopié de cours.
Il s'installa sur la chaise en face d'elle et sortit son ordinateur. Les épreuves auraient lieu dans deux jours et il était fin prêt. Ses fiches étaient faites, son oral terminé. Distraitement, il relut quelques notes mais finit par se cacher derrière son écran pour observer sa camarade travailler.
Inès avait relevé ses cheveux à l'aide d'une pince et portait un débardeur bleu ciel. Il avait l'impression qu'elle avait appliqué un peu de rouge sur sa bouche mais il ne savait pas vraiment. Ce n'était pas le genre de chose qu'il remarquait en temps normal.
Tous les deux silencieux, pendant plus de deux heures , ils travaillèrent, sérieux. Enfin, Florian finit par briser le silence.
« Inès, elle leva la tête, je suis, je suis désolé pour hier, je n'aurai pas dû dire ça, vraiment, je ne le pensais pas et puis... Il hésita. Tu es plus que la première de la classe.
- Merci Florian. »
Elle hocha la tête, acceptant ses excuses autant que le compliment, puis, après un temps qu'il trouva trop long, elle finit par annoncer.
« Ce n'est pas grave, je ne t'en veux pas. »
Elle sourit et reprit son travail méthodique de surlignage.
Elle n'était pas insensible aux petites attentions de Florian, elle espérait seulement qu'il ne s'en rendait pas trop compte, elle essayait tant bien que mal de le cacher. Pour éviter de le regarder griffonner une nouvelle pyramide sûrement, elle reprit son travail.
Aux alentours de onze heures, d'un commun accord tacite, ils quittèrent la bibliothèque pour suivre leur dernier cours de civilisation. Ils s'installèrent une fois n'est pas coutume au fond de l'amphithéâtre, laissant une place entre leurs deux sièges où Inès posa son sac à main. Elle tira de celui-ci ses affaires et posa en évidence un paquet de chips que Florian ne remarqua pas de suite.
Elle nota quelques mots sur une feuille qu'elle fit glisser vers lui puis ouvrit le paquet de friandises salées. Florian lu le mot et sourit en se tournant vers elle.
Sers toi, 1h30 de civilisation ça risque d'être long surtout à cette heure-ci.
Elle avait reporté son attention sur le tableau, alors il griffonna une réponse et poussa de nouveau la feuille vers elle.
Merci, on remet ça demain ?
Elle piocha une tuile de pomme de terre puis se rendit compte de la feuille à côté de son cahier. Son attention quitta pour de bon son cours et Inès attrapa son stylo pour répondre.
Pourquoi pas, j'ai pas fini mes révisions encore et toi ?
Cet échange silencieux leurs convenait à tous les deux déjà parce que dans l'amphithéâtre ils n'avaient pas pour habitude, ni l'un ni l'autre de discuter, mais aussi, car leurs timidités respectives et l'attirance qu'ils avaient l'un pour l'autre rendait la tâche complexe.
Alors qu'elle réfléchissait à ses révisions, Inès pris la feuille de papier pour lire la réponse de son camarade puis poussa un soupir de résignation.
J'ai plutôt bien avancé, ça ira pour vendredi.
Plutôt bien avancé était un euphémisme, songea Florian il avait terminé et sa journée du lendemain serait tranquille. Le soupir de sa voisine le sortit de ses réflexions et il approcha sa main du paquet de chips pour en piocher quelques-unes.
Inès avait eu la même idée et leurs doigts s'effleurèrent et tous les deux eurent le même réflexe. Ils retirèrent leurs mains vivement faisant rougir leurs joues et teinter l'aluminium, heureusement sans conséquence.
Pendant le reste du cours ils firent attention à ne plus s'effleurer tout en partageant quelques mots en plus des biscuits. Quand 12h30 fut passé, ils s'adressèrent un signe de la main et quittèrent l'université chacun de leurs côté, laissant derrière eux la feuille recouverte de l'écriture fine de Florian et ronde d'Inès.
Sers toi, 1h30 de civilisation ça risque d'être long surtout à cette heure-ci.
Merci, on remet ça demain ?
Pourquoi pas, j'ai pas fini mes révisions encore et toi ?
J'ai plutôt bien avancé, ça ira pour vendredi.
Vendredi soir ?
Aussi et toi ?
Juste envie que les épreuves soient passées
Je te comprends
Tu rentres comment après la soirée ?
Tu penses que je vais rentrer ?
Je me ferai ramener t'inquiète et toi ?
Justement tu voudras que je le fasse ?
Tu bois pas ?
Qui a dit que je conduis ?
C'est vrai
A pieds alors ?
C'est ça
Flo' demain, même heure ?
Bien sûr
Tu pourrais me passer tes notes de civilisa°, j'ai pas trop suivi ce semestre
J'avais remarqué, bien sûr
T'as pas fini tes fiches ?
Pas encore, j'ai quelques manques
Je t'aiderai, t'inquiète
Merci
Ensemble, ils passèrent leur dernière journée avant les examens à travailler complétant leurs fiches, argumentant et défendant leurs idées sur ce sujet des civilisations qui les passionnait à tous les deux. Chacun leur tour, ils exposèrent à leur camarade le sujet de soutenance qu'ils avaient choisi, heureux de passer leur oral le dernier jour. Conscient de cette chance, ils rirent de manière anxieuse plus que moqueuse des autres qui passaient leurs soutenances au même moment.
Ils partagèrent des cookies à dix heures, des chips aux alentours de midi et des bonbons à quinze heures tout en discutant de la pluie et du beau temps. Ce dernier était depuis deux jours revenu et la pluie semblait ne pas être invitée à la fête du lendemain.
Jamais, ils n'abordèrent un sujet plus sérieux que l'Histoire, plus personnel que leurs théories respectives. Jamais non plus leurs mains ne s'effleurèrent comme cela avait été le cas la veille. Pourtant Inès, comme Florian, était tendue. Elle se sentait gênée mais pourtant à l'aise avec lui. Elle mit ses impressions et ses sentiments douteux sur le compte du stress des examens et souhaitait plus que tout que ces derniers soient derrière elle.
Florian aurait voulu passer son temps auprès d'elle et attendait la soirée avec une impatience mêlée d'inquiétude. Les berges pourraient sûrement l'aider à forcer le destin, du moins, il l'esperait.
~
Devant la salle d'examen, ils n'échangèrent qu'un regard chargé d'encouragements. Inès ne pensait pas être major cette année mais au fond, qu'importe, elle avait découvert un caractère derrière le visage de Florian, une personnalité. Elle aurait sa mention, c'était suffisant. Elle n'avait pas assez travailler pour le reste, elle le savait et Florian aussi.
Pourtant, une fois devant sa feuille son ambition la reprit, elle expira l'air de ses poumons et lu le sujet. Elle sourit et chercha du regard son acolyte de révisions. Florian croisa son regard et scella d'un clignement de paupière l'accord tacite qu'il lisait dans ses yeux.
Si elle n'était pas major, ce serait car il aurait mieux réussi qu'elle. Ils avaient passé l'après midi de la veille à travailler ce sujet, il n'avait plus de secret pour elle, ni pour lui. Ils le savaient tous les deux.
Alors que Florian apposait le point final de son essai, il chercha sa camarade, elle avait disparue. Peut-être l'attendait-elle devant la porte ? Il s'empressa de relire sa copie afin de la rendre et retrouver la jeune femme mais quand il sortit de la pièce, le couloir était désert.
En effet, quand, une demi-heure avant la fin de l'épreuve, elle avait rendu sa copie, elle s'était immédiatement dirigée vers la salle de son oral. Elle ne voulait croiser personne, encore moins le seul qui pourrait lui mettre la pression. Plus exactement, le seul qui faisait en sorte qu'elle se mette la pression. Le seul qu'elle ne voulait pas décevoir.
Ni ici et maintenant, ni ce soir sur les berges.
Elle pensait avoir bien réussi, et son écrit, et son oral. Inès rassura Florian d'un hochement de tête en sortant de la salle puis s'en alla sans un mot, ni pour lui ni pour personne.
C'est devant le miroir de sa salle de main qu'elle se demanda si l'oral de son comparse s'était aussi bien passé que le sien.
Effectivement, Florian était satisfait de sa journée d'épreuves, il connaissait ses sujets, que ça soit d'oral ou d'écrit, sur le bout des doigts et sa plus grande difficulté avait été d'affronter le stress avait tendance à le gagner trop rapidement.
En arrivant chez lui, il prit un soin particulier à choisir sa tenue, il voulait être chic sans pour autant en faire trop. Classe mais décontracté en soi. Les températures ne seraient pas trop hautes ce soir, voir même, sur les berges, si la soirée se prolongeait, elles risquaient de descendre. Florian opta donc pour un jean noir et une chemise bleue marine.
Il envoya un message à Inès et partit a la douche.
Les cheveux enroulés dans une serviette, Inès était plantée devant sa penderie depuis presque un quart d'heure. Ne sachant pas comment s'habiller, elle demanda de l'aide à sa colocataire, plus habituée qu'elle à ce genre de soirée. Tandis que la jeune femme observait les différentes options qui se présentaient pour habiller Inès, cette dernière attrapa son téléphone. Elle remarqua un message au moment où Clarisse demandait :
« Tu es attendue ? Genre tu vois quelqu'un en particulier ou ? »
N'entendant pas vraiment la question mais relisant le message, elle jeta un peu plus loin son mobile et se laissa tomber en arrière sur son lit, un sourire sur les lèvres.
« Ça veut dire oui ... Rit Clarisse, montre ! »
La jeune femme attrapa le téléphone et lut à haute voix.
« Je t'attendrai devant le pont à 20h30 ! Quel prince charmant !
- Ma bonne fée a-t-elle trouvée ma tenue ? » Rétorqua Inès en se levant.
En effet, Clarisse avait choisi. Inès enfila donc la tenue que lui avait tendue son amie et termina de se préparer.
~
Quand Florian l'aperçut, il ne la reconnut pas immédiatement, elle portait un jean bleu gris qui épousait parfaitement ses courbes, affinant ses jambes, la rendant plus grande alors qu'elle ne s'était chaussée que d'une paire de basket de toile. Son pantalon marquait ses hanches trop larges pour la norme sans toutefois les épaissir. Il la trouvait très belle. Elle avait enfilé en guise de haut, un tee-shirt aux manches bouffantes, mi-longues, rose pâle qui rendait son teint plus mat encore. Enfin, quand elle se fût rapprochée, il pût observer son visage. Elle avait laissé ses lourdes boucles brunes détachées et elles descendaient en cascade le long de ses épaules.
Florian ne savait pas si il ne l'avait pas reconnu de suite car ses cheveux étaient coiffés différemment ou bien car elle avait posé sur ses lèvres un rouge carmin faisant ressortir son teint mat.
Inès avait eu tout le loisir d'observer comment la chemise de Florian lui allait parfaitement en s'approchant de lui. Il n'avait défait que le premier bouton montrant à tous, et particulièrement à Inès qui l'accompagnait comme il n'était pas à l'aise en dehors des amphithéâtres.
La jeune femme se déplaçait avec une aise qui surprit son camarade. Pourtant cette assurance était feinte. Elle se tenait trop droite pour quelqu'un qui avait l'habitude d'évoluer dans ce genre de moment.
Arrivés face à face, ils se saluèrent sans effusion de joie, gênés, et se dirigèrent vers les cris au loin.
Au bord de l'eau, il se servirent une bouteille de bière chacun qu'ils sirotèrent en grignotant quelques biscuits mais sans un mot.
Leurs camarades venaient s'enquérir de leurs impressions sur les examens mais aussi sur l'année déroulée ou encore l'organisation de la fête.
Ils rirent un peu, sourirent, complices, et, Florian, après un énième regard, prit son courage à deux mains. Il avait finit sa bière depuis longtemps et bu du punch plus que d'habitude. Peut-être etait-ce l'alcool qui lui donnait des ailes ? Il n'en savait rien mais se lança tout de même.
" Inès, tu ne veux pas qu'on s'éloigne un peu ? "
La musique était forte, il avait dû forcer sa voix et s'approcher d'elle à tel point que son odeur sucrée emplit les narines du jeune homme. La jeune femme, loin des considérations de son camarades, hocha la tête pour lui signifier qu'elle l'avait entendu et se dirigea vers l'eau . Ce soir elle avait décidé de s'amuser et elle ne se souciait guère des autres étudiants, qui sous la musique, parlaient d'eux et se doutaient sûrement plus qu'elle comment se terminerait la soirée.
Quand ils fûrent à l'abri des regards et surtout assez éloignés de la musique pour tenir une conversation sans hurler, ils se dévisagèrent. Puis, Florian décida de laisser sa timidité au placard en lançant d'un ton qu'il espérait neutre mais savait anxieux :
« T'aimes jouer toi Inès ?
- C'est-à-dire ? »
Son visage devait refleter son incompréhension car Florian sourit en lui explquant.
« Tu veux jouer ? Pour parler de nous un peu, pas que des cours.
- Oh ... Oui, pourquoi pas, tu veux faire quoi comme jeu ?
- Je reviens et je t'explique, assieds-toi si tu veux, j'en ai pour trois secondes. »
Sans un mot de plus, il quitta le bord de l'eau, laissant à Inès tout le loisir d'observer le soleil se coucher de l'autre côté du fleuve. Les basses de la musique résonnaient au même rythme que les battements de son cœur. L'adrénaline gonflait ses veines, ou peut-être était-ce l'alcool qui lui montait à la tête, elle ne savait plus rien si ce n'était qu'elle voulait s'amuser et profiter de ce moment avec Florian.
Justement, celui-ci revint avec deux gobelets en carton rouge et vint s'asseoir en tailleur en face de sa camarade. Pour répondre à son regard interrogatif, il expliqua :
« C'est facile, tu me poses une question, j'y réponds ou je bois. Et si tu trouves que je fais de la langue de bois, et bien tu me dis de boire. Deal ?
- On joue chacun son tour ?
- Yes, tu commences à poser les questions.
- Ça marche, sourit-elle avec un clin d'œil. Et comment on gagne ? »
Florian lui jeta un regard complice avant de répondre d'un air mystérieux.
« Exactement, c'est plutôt ... Comment on perd ...
- Et ?
- Et bien le premier qui finit son verre a perdu. D'autre question madame ? Rit-il
- Oui, deux encore, il se passe quoi après ?
- Après avoir fini le verre tu veux dire ? Elle acquiesça. Surprise.
- Et on boit quoi ? »
Il éclata de rire puis souffla un "tu verras" qu'il s'amusa à rendre mystérieux. Inès se tendit curieuse, dans l'attente. Quand le silence fût retombé, ils n'entendaient que le brouhaha lointain de la fête. Enfin, Florian hocha la tête pour inciter la jeune femme à poser sa première question.
Celle-ci hésita quelques instants, elle ne voulait pas poser une question trop personnelle dès maintenant, elle ne voulait pas qu'il en fasse de même.
« Alors, je ne sais pas trop ... Tu manges quoi le matin avant les cours ? »
Florian éclata de rire. Inès ne savait pas si c'était l'alcool qui le rendait euphorique, ou s'il était sûr de son coup avec ce jeu. La nouvelle facette de Florian qu'elle était en train de découvrir l'amusait, l'effrayait quelque peu, il était si différent mais surtout la rendait curieuse.
« Inès ! Rétorqua-t-il, t'as pas compris ou quoi ? Rit-il de plus belle. Je t'épargne de boire sur cette question en te répondant que je mange de la brioche et j'ajouterai même que je bois un café avec. Il sourit et continua. Mais si ta prochaine question c'est un truc du genre, je te promets tu bois hein ! »
Inès rit en passant sa main dans ses cheveux. Il la rendait nerveuse. Ce jeu avait changé leurs sentiments, il était si à l'aise. Ce n'était plus le même homme. Elle-même se sentait plus aussi confiante que lorsqu'elle était arrivée. La confiance avait changé de camp.
Quand ils se furent calmés, l'un et l'autre, Florian se racla la gorge pour demander :
« Est-ce que t'as un copain Inès ? Ou une copine bien sûr ? »
La concernée rougit furieusement et se rendit compte qu'il ne servait à rien de cacher cette information. Il pouvait le lire sur elle. Boire pour cela était inutile, alors elle souffla :
« Non. Pas de copain. »
Florian ressentit comme un poid sur ses épaules qui s'envolait à l'entente de ce premier mot. Comme si cette information, qui pourtant le confortait dans ses impressions, le rendait moins stressé. Sans rien laisser paraître, il l'encouragea à poser sa question. Le jeu commençait.
« Pourquoi l'Histoire ? Et pas autre chose ?
- Non mais, Inès ! C'est pas possible cette question ! Bois !
- Attend ! Tu as dit apprendre à se connaître. Je veux savoir comment tu as commencé l'Histoire.
- On avait dit pas les cours ... »
Inès croisa ses bras sur sa poitrine, butée, avant de répondre. Elle ne boirait pas, pas sur cette question.
« Je parle de toi et ta passion Florian ! Parce que ça se voit, l'Histoire est une passion pour toi et si tu ne veux pas répondre et bien bois. Ce sont tes règles après tout.
- C'est bon, t'inquiète ! Depuis toujours on va dire, j'ai toujours aimé comprendre d'où venait les choses, les rituels ... Comment se passaient les choses avant. Au départ c'était de la curiosité et puis j'ai poussé le truc ... Convaincue ?
- Oui, merci Florian. »
Les yeux du jeune homme s'étaient illuminés quand il avait commencé à parler de sa passion. Ils se sourirent et se dévisagèrent un moment, puis, Florian enchaîna. Il voulait savoir jusqu'où elle était prête à jouer.
« Inès, c'est quoi ton style de mec ?
- J'en ai pas. Souffla-t-elle.
- C'est pas une réponse ça miss, bois ! »
Elle s'était faite piéger et elle ne l'avait pas vu venir. Elle considéra alors la boisson ambrée et son camarade. Inès venait de jouer son premier joker, sans le savoir. Il n'y avait que trois doses par gobelet, mais la jeune femme ne s'en doutait pas le moins du monde.
Pourtant, elle ne trempa que le bout de ses jolies lèvres rouges. Son sourire se tordit en une grimace qu'elle tenta de réprimer mais qui prit toute la place sur son beau visage quand Florian se pencha vers elle pour aviser ce qu'il restait dans son gobelet.
« Inès ! Tu triches ! Le niveau n'a pas bougé ! Bois vraiment ! »
Le whisky lui brûla la gorge et lui arracha une nouvelle grimace accompagnée d'une quite de toux quand elle eut avalée sa gorgée. Son camarade en face d'elle éclata d'un rire peu charitable mais se calma assez vite pour que le jeu reprenne.
« C'était pas cool ça, mais bon .. J'aimerai savoir si toi tu préfères le whisly ou la vodka ?
- Moi, sincèrement, je préfère le rhum.
- Alors, Florian, tu vas me dire si tu aimes aussi le whisky, parce que tu n'as pas répondu à ma question. »
Il ne savait pas s'il voulait rire ou râler. C'était son jeu et il se faisait avoir comme un débutant. Il avait beau ne pas fréquenter les soirées étudiantes, il tenait l'alcool normalement, alors, tachant de garder sa dignité, il avala quelques gouttes de la boisson brune que contenait son verre.
Florian n'avait pas menti à Inès. S'il avait pu choisir, au moment de remplir les gobelets il aurait choisi du rhum. Mais la bouteille était vide quand il s'était approché de la table. Il s'était rabattu sur l'autre alcool fort qu'il restait. A savoir, le whisky.
Inès n'en revenait pas. Pourquoi avait-il répondu à côté de la question, et, surtout, avait-il accepté la question. Elle s'était attendue à devoir boire, encore une fois. La question était si simple, sans sous-entendu. Elle ne comprenait plus rien, ne voulait-il pas la faire boire ? La question qu'il posa à son tour la poussa encore plus dans ses interrogations.
« Pourquoi tu as toujours les cheveux attachés ?
- Exactement c'est pas toujours mais en cours c'est juste que c'est plus pratique. C'est lourd mine de rien ! »
Elle avait pioché sa question parmi ses propres interrogations personnelles et enchaîna, sans laisser de temps à Florian.
« Pourquoi tu as décidé de jouer avec moi ? »
La question le prit de court. Florian ne savait pas vraiment y répondre. Plutôt que de le dévoiler, il tenta de prendre un air mystérieux et bu une gorgée.
Cette fois, le whisky lui brûla la gorge mais lui remit les idées en place. Il était mené deux à un et le premier à trois avait gagné. Seul lui, pour le moment, savait qu'il était si proche de la défaite. Mais Inès le remarqua très vite. Elle s'approcha de lui, portée par l'alcool, il l'espérait ou bien la jeune femme en face de lui était bien différente de celle qu'elle était dans un anphithéâtre.
« J'ai bientôt gagné non ? »
Sourit-elle en se penchant vers son gobelet. Effectivement, on pouvait voir à travers le liquide ambré le fond du gobelet cartonné. Ne relevant pas la pique et faisant abstraction de son odeur sucrée, Florian choisit une question qui peut-être la toucherait.
« Comment s'appellent les personnes que tu as déjà embrassées ? »
Inès réprima un hoquet de surprise et rougit violemment quand elle énuméra les quatres prénoms. Elle était proche de gagner, mais surtout, elle était prête à se confier à Florian. Comme si finalement, ce jeu ne comptait plus vraiment.
« Lucas, Alexandre, Juliette et Thomas. »
Ce dernier tiqua quand il entendit sa réponse.
« Tu peux répeter ? »
Morte de honte, Inès rougit de plus belle mais ne s'executa pas pour autant, c'était à elle de jouer. Elle se redressa, et annonça d'un ton fier.
« A moi. Florian, si le jeu se terminait maintenant, quelle serait ta dernière question ?
- Pas d'interêt Inès, bois. Et après, raconte-moi comment tu as embrassée la dénommée Juliette ? »
Inès réprima un gémissement. Cette histoire était bien trop gênante pour qu'il la connaisse. Elle prit une grande inspiration et commença par boire une lampée de whisky. On apercevait maintenant aussi le fond de son gobelet.
Florian se doutait qu'elle ne parlerait pas de Juliette et il avait raison. Il avait gagné et savait même sa dernière question mais il voulait ménager le suspens, arriver à ses fins. Il n'était pas quelqu'un de calculateur mais il ne voulait pas décevoir. Ni lui-même, ni elle qui s'était confiée à lui.
Inès songea aux jumeaux, Juliette et Thomas, une soirée avec Clarisse qui avait dérapé. En général, la jeune femme s'arrangeait juste pour que ce qui n'avait pas été témoin de cet évènement ne le sache pas. L'alcool lui avait joué un tour et elle s'était ouverte à Florian plus qu'elle n'avait pensé le faire.
Elle fixa son camarade d'un air digne et avala le fond du gobelet avant de le reposer la tête en bas.
Elle avait perdu.
Elle avait perdu, enfin elle avait gagné une amitié franche avec Florian.
Former cette phrase lui tordit le ventre et elle savait pertinemment que ce n'était pas la faute de l'alcool.
« Le jeu s'arrête maintenant Inès, elle passa une main dans ses cheveux, j'ai gagné. Donc premièrement, finis mon verre et deuxièmement il me reste une question.
- Pardon ?
- Si il n'y a plus rien à boire, tu seras obligée de répondre et comme tu as perdu ... »
Elle le fusilla du regard mais accepta tout de même. Elle avala le contenu du gobelet d'une traite, toussota et posa le contenant de la même manière et en face de celui qu'elle avait vidé à peine quelques minutes auparavant.
« Donc tu savais très bien quelle serait ta dernière question ?
- Evidemment Inès, il haussa les sourcils. Alors, dis-moi, comment tu réagirais si ... Je t'embrassais, là, maintenant ? »
La question la prit de court. Pourtant, Inès sentit son sang battre contre ses tempes. Une étrange sensation la saisit. Celle-ci ressemblait à s'y méprendre à celle qui s'était emparée d'elle lorsque leurs deux mains s'étaient effleurées dans le paquet de chips.
Florian était séduisant, il fallait l'admettre, il avait, au cours de la soirée, décoiffé ses cheveux roux en passant ses doigts dedans et même défait un bouton de sa chemise.
Il avait l'air plus à l'aise maintenant qu'en début de soirée.
Florian devinait bien le débat intérieur qui agitait la jeune femme derrière ses longs cheveux bruns mais il était fier de son petit effet. Lui-même attendait sa réponse fébrilement.
Ils se posaient tous deux la même question "et après ?"
Mûe par une assurance qu'elle ne se connaissait pas, Inès s'approcha du jeune homme. L'alcool qu'elle avait ingurgité l'aida à accomplir ce geste, qu'elle pensait le matin même, impossible. Elle s'approcha de lui et posa sa main sur sa nuque. Alors, leurs deux corps s'électrisèrent.
Florian ne réagit pas à ce premier geste mais lorsque les lèvres rouges carmin de la jeune femme se posèrent sur les siennes, il glissa ses doigts entre ses boucles pour la rapprocher de lui. Quand ils furent à bout de souffle, ils détachèrent leurs bouches, leurs mains toujours accrochés à la nuque de l'autre.
Avec un sourire timide mais un clin d'oeil quelque peu insolent, Inès souffla :
« Je pense que je réagirais comme ça. »
Florian éclata de rire et l'embrassa de nouveau.
Le soleil avait disparu de l'autre côté du fleuve depuis un long moment déjà, et la musique n'était plus qu'un raisonnement lointain mais ils restèrent, assis, seuls, sur les berges à observer les étoiles, rire, s'embrasser, découvrant aux premières lueurs du jour la nouvelle vie qui s'offrait à eux, les timides étudiants d'Histoire.
© ✓ictoire
Mai - Août 2021
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro