L'art de vivre
Daphnée s'assoit sur sa balançoire.
Elle pousse doucement le sol de ses pieds et les poteaux rouillés grincent d'un air de dire "hé, ho, t'es grande et moi j'suis vieille, vas-y molo avec moi" mais ça dérange pas vraiment Daphnée parce qu'elle est perdue dans ses pensées dans l'avant et dans l'après.
Elle est une fille singulière ; elle pense un peu à demain, beaucoup à hier mais pas du tout à aujourd'hui.
Maman est au téléphone. Peut-être qu'elle pleure, mais Daphnée est trop loin pour le confirmer.
Des bribes de conversations lui parviennent :
— J'ai si peur... oui, on saura la semaine prochaine si le traitement à marché. Oh, tu sais, elle m'inquiète, elle n'a pas l'air de s'en préoccuper. Elle fait comme si c'était pas grave.
Bien sûr qu'elle n'a pas l'air de s'en préoccuper.
Daphnée sait que si même elle se met à pleurer sur son sort, personne n'aurait la force de continuer.
Alors, elle s'efforce d'aller mieux en espérant qu' la lumière revienne, même si elle est rouillée, même si elle clignote un peu.
Ce soir, il pleut.
Daphnée s'est faite une tisane et elle est allée chercher une écharpe à pas de loup.
Ce soir, elle sort.
Elle aime sentir l'air frais sur son visage, surtout quand il pleut, elle entend le bruit des liens des nuages tomber ici et là en entraînant dans leur chute noir les murmures des arbres indignés, et quelques fois, ça la fait sourire.
Alors, elle ouvre sa fenêtre. C'est son moyen à elle d'avoir une vie sociale, du moins, avec les étoiles.
Daph semble toute entière perdue dans la course folle de la nuit.
SI bien que, lorsqu'un garçon l'interpelle, elle ne le remarque pas assez ; alors il crit "Hé !", et elle se tourne, un peu agacée que quelqu'un ai osé briser la magie.
Elle ne peut pas voir le visage du garçon, le lampadaire de l'éclaire pas ; il est assis sur le banc devant la maison, mais elle pense qu'il est très beau, et même s'il ne l'est pas, elle s'en fiche.
Le garçon voit bien qu'elle l'a remarqué :
— T'es qui ? J't'ai jamais vu ici, qu'il dit.
— Pourtant, je suis là souvent, répond Daph.
Et soudains, elle entend des pas dans les escaliers alors elle éteint la lumière et se couche à toute vitesse.
La porte de la chambre s'entre ouvre, et maman aperçoit Daphnée dormant, toute apaisée.
Elle a un sourire triste parce qu'elle a bien entendu que sa fille parlait à quelqu'un, et elle se rend compte qu'elle la perd, mais bon, elle grandit, c'est normal. Elle aurait bien aimé la garder enfant un peu plus longtemps.
Daphnée entend la porte se refermer. Elle attend une, deux, trois minutes et elle se relève. Elle n'a plus peur, maintenant.
Le garçon est toujours là.
— J'ai bien cru que t'était parti, dit-il. Comment tu t'appelles ?
Alors Daphnée souffle son nom comme on prononce un mot qui colle à la peau en tirant, un mot qui fait mal.
— Daphnée. Et toi ?
— C'est joli, Daphnée. Moi, c'est Raphaël. Raff, quoi.
C'est joli, Daphnée, mais ça rappelle des souvenirs pas forcement gais, quand elle courrait poursuivie par ses monstre, mais non maman je peux pas v'nir ils me courent après, quand c'était la bonne époque, celle qu'on regrette.
Raff fais un pas en avant et maintenant, Daphnée le voit tout entier.
C'est vrai qu'il est beau. Pas comme elle se l'imaginait, mais beau.
Le vent secoue les cheveux très courts de Daphn.
— Viens avec moi.
Il dit ça en souriant et en fronçant le nez. Il a le sourire du soleil.
— Je suis sérieux. T'as l'air de t'ennuyer, alors viens.
Peut-être qu'il va la kidnapper et la tuer, peut-être qu'il est dealeur ou peut-être qu'il ne sait pas ce qu'il fait ; Daph, elle s'en fout.
Parce que ce soir, tout est entre parenthèses. Parce que demain, elle lâche tout et elle arrête de se battre.
Alors, oui, ce soir, Daph veut se sentir heureuse, elle veut vivre.
Elle fait son sourire spécial-bêtise et elle met une robe, un pull, ses docs et elle descend par l'arbre qui était petit, avant.
De près, Raff a l'air d'avoir un an ou deux de plus qu'elle, 18 ans à tout casser, mais Raiponce ne s'en inquiète pas.
— On va où ? dit-elle.
— Partout.
— J'ai que 16 ans, dit Raiponce.
— Tu fais bien plus.
Alors ils entre dans la boîte de nuit.
Raiponce se demande bien ce qu'elle fait ici. Elle est perdue.
Raff lui tend un verre, et elle voit tout le monde heureux, et elle pense qu'elle ne devrait pas penser à hier mais plutôt à aujourd'hui, et elle finit par s'amuser.
Il est 2 heures du matin, R. a froid et elle trouve que le parc est très joli à cette heure ci.
Raiponce est essoufflée d'avoir marché.
Raff fume en posant des question :
— Ton nom te plaît ?
— Pas vraiment. C'est trop Daphnée.
— C'est ce que je pense aussi. Et, Meryl, ça te plaît ?
— C'est très Meryl, quoi.
— Justement. Ben, pour moi, tu seras "Meryl".
Meryl, ça plaît à Daphnée. Meryl, ça plaît à Meryl.
Il rejette un jet de fumée.
— Ça gênerait tes parents, que tu sortes ?
— Oui, c'est sûr. Ma mère fait n'importe quoi, elle m'empêche de vivre et ça nous tue.
Meryl pense que ça fait du bien, de parler.
— Et maintenant ? demande Raff.
— Maintenant, je suis malade. Au début j'étais à l'hôpital. C'était vraiment super, tout le monde dans mon école venait me rendre visite, même les profs ! On m'apportait les devoirs, tout était si bien... et mon état s'est aggravé, j'ai fait une rechute et on m'a opéré une deuxième fois. Ca a pas marché. Maman m'a repris à la maison et m'a déscolarisé. Et je sors plus. Tu sais, j'ai subi trois opérations. Je suis si fatiguée, j'en ai marre. La semaine prochaine, je saurais si le traitement a marché, cette fois-ci. Moi, je veux arrêter.
Oui, ça fait vraiment du bien de parler.
— Arrêter.
— Oui. J'en ai assez d'me battre.
Raff espère ne pas avoir compris.
— Je rêve ou tu dis que tu veux mourir ?
Meryl à mal au coeur.
Ces mots sont si durs ; elle prend garde de ne jamais les penser, ne jamais les prononcer. Ça lui donne envie de pleurer.
— Tu peux pas comprendre. Personne ne le peut. C'est comme si tout flottait, comme un cauchemar, comme si quelqu'un avait éteint l'interrupteur et que j'attendais dans le noir que quelqu'un le rallume alors que je suis seule dans la pièce. Et que ma vie d'avant allait revenir. Mais non.
— Mais, ça va aller. Tout va mieux, avec le temps.
Raff est perdu. Meryl s'est mis à sangloter, comment la calmer ?
— Non, non ! Parce que j'en ai plus la force, plus la volonté, plus rien ne m'importe, demain, rien ne sera important, pas même l'alcool, pas même la nuit, pas même toi ! Mais, tu vois, cette nuit, j'avais besoin de vivre une dernière fois.
Raff reste bouche bée.
Meryl aussi. Est-ce vraiment elle qui a dit ça ?
Elle pense qu'elle a rêvé, mais Raff se lève et elle comprend qu'elle a fait une bêtise.
— Alors, j'espère que tu t'es amusé, même si je ne suis pas important, dit-il très calmement.
Il part.
Sans se retourner.
Ommondieujesuisbêtebêtebête, pense Meryl.
Daphn espère que maman ne s'est pas réveillé, hier soir.
Elle a fait un peu de bruit sans le faire exprès et puis elle avait la tête ailleurs.
Ce matin, maman lui a dit :
— Daph ? Ecoute. C'est dur, mais il faut que tu m'écoutes, pour une fois. Si le traitement a... échoué, il faudra envisager une... greffe... de moelle osseuse. Mais il nous faut ton accord, tu comprends ?
— Je pense que je la refuserais.
Maman se met à pleurer. R. aussi.
D'après Daph, tout est un rêve.
Depuis cette nuit où elle est sorti, tout flotte encore plus, elle dit sans trop penser, les gens lui parlent et elle répond, mais elle est pas là. Meryl est heureuse, parce qu'encore une fois, elle s'efforce de ne pas penser à comment s'est fini la soirée, elle se voila la face et elle se ment.
Si bien que, lorsqu'elle lit sur l'enveloppe que le traitement a échoué, elle rigole. Daph, elle s'en fout, maintenant.
Ce soir, quelqu'un est assis sur le banc devant la maison de Daph.
Là où Raff l'était, avant.
Elle ne peut pas voir qui c'est.
Peut-être que c'est lui, Raff, celui qui lui a permis de rêver et d'être Meryl le temps d'un soir.
On ne saura jamais qui aura été la personne sur le banc ce soir là, mais Daphnée espère que c'est Raff. Elle espère comme elle a espéré guérir, il y a 8 mois. Parce que l'espoir, c'est la seule chose qui lui reste, là, ce soir.
Et pour une fois elle est vivante comme avant, elle est vivante comme avec Raff, elle se dit qu'elle a des millions de choses à découvrir, des millions de soirée avec Raff ou avec les étoiles à vivre.
Alors elle décide que, ça vaut le coup.
Qu'elle va peut être mourir, parce qu'au final, elle n'a plus grand chose à perdre.
À partir de maintenant elle est Meryl pour toujours, heureuse ou malheureuse, avec ou sans Raff, amoureuse ou pas, vivante ou morte.
Nouvelle écrite par Nebulaaah
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