Pluie d'orage
Dans son lit, Marceau observait sa tablette, les yeux vitreux. Il souffla, ennuyé, tout en continuant de faire défiler la page vers le bas. Mais brusquement il sursauta : le titre d'une vidéo promettait que l'on y voyait un éclair authentique, sans retouches. Et elle avait des millions de vues...
Il cliqua et le ciel gris de la vignette grossit avant de s'animer. Marceau y plongea, il sentait presque une odeur humide. Un flash lumineux rendit l'écran blanc pendant un instant, et fut suivi de nombreux cri. Autour du caméraman les voix s'affolaient.
Une vague sonore sembla monter du fond de la terre et vibra atrocement jusqu'à éclater en un fracas cataclysmique. En même temps, Marceau sentit son cœur accélérer, il inspira fort au moment où le tonnerre éclatait pour de bon, et expira pour de bon quand tout fut fini. Ses mains tremblaient.
Il repoussa sa couette, se leva et observa le ciel à travers la fenêtre.
- Rien... murmura-t-il. Comme d'habitude.
La nuit était calme, piquetée d'étoiles.
- Je n'ai pas compris la question, pouvez-vous répéter ?
Marceau sursauta et se retourna, mais il comprit rapidement.
- Je ne te parlais pas, Habitat.
Une lumière bleue s'éteignit au fond de sa chambre. L'adolescent se retourna vers le ciel et se mit à penser. Soudain, une idée lui vint et elle articula :
- Habitat, quelle est la date du dernier orage recensé sur Terre ?
La lumière se ralluma, et l'intonation féminine s'éleva à nouveau dans la pièce sombre.
- Selon une étude parut dans Nature, le dernier éclair serait tombé il y a trente-trois ans, lors de la panne de février deux-mille-quarante-deux du générateur Luminus-Europe.
- Habitat, à quelle distance de ma maison se trouve le générateur Luminus-Amérique ?
- En passant par l'autoroute électrique, vous êtes exactement à soixante-dix kilomètres et cinq-cent...
- Habitat, réserve-moi une navette jusqu'à là-bas.
- C'est fait, Marceau. La réglementation précise cependant que la zone est protégée d'accès, vous ne pourrez certainement pas...
- Je vais voir mon père qui y travaille, c'est tout, mentit-il.
Après un court silence, la voix reprit :
- Selon les emplois du temps, votre père, Robert Bens, n'est actuellement pas au travail. Peut-être préféreriez-vous...
- Merci Habitat, je suis pressé. Passe sur mon téléphone maintenant.
Le jeune homme sortit de sa chambre après avoir enfilé quelques habits et monta à l'étage. Il entra discrètement dans la chambre de ses parents, récupéra le badge d'accès de son père, et ressortit discrètement.
En redescendant, il ne remarqua pas que la lumière du salon était allumée. Il se glissa vers la porte, lorsqu'il sentit une main se poser sur ses épaules :
- Marceau, tu vas où ?
Il se retourna et trouva sa petite sœur, en train de se frotter les yeux.
- Je vais faire une panne à l'usine de papa. Tu verras, ce soir il y a aura de l'orage de partout, ce sera la guerre dans le ciel !
Il s'extasiait ainsi, décrivait à quel point les orages pouvaient être destructeurs, et la petite se mit à pleurer.
- Mais je veux pas que ça soit la guerre, gémit-elle entre deux sanglots, et Papa a dit que les orages ça tuait des gens.
Son gémissement se transformait doucement en une plainte aigue, de plus en plus stridente. Marceau dut la rassurer en lui promettant que de toute façon la panne ne durerait pas longtemps, et qu'elle ne risquait rien tant qu'elle était à la maison.
Son téléphone sonna : sa navette l'attendait.
Vingt minutes plus tard, assis dans la petite voiture connectée au flux d'électricité continu de l'usine, il regardait dehors. La bande centrale de la route brillait d'un bleu azur puissant, mais ternit bientôt, écrasé par le rayonnement de l'usine au loin.
En s'approchant, en effet, c'étaient comme de gros flashs qui s'élevaient du haut de l'usine. Un brouhaha emplit aussi progressivement sa petite cabine pourtant hermétique et la plupart du temps silencieuse.
À mi-chemin, il attrape son téléphone et le plaça devant sa bouche :
- Habitat, la dernière panne du générateur Luminus-Europe était due à une simple déconnexion d'un câble dans la chambre principale, c'est bien ça ?
La voix lui répondit dans le détail, en lui donnant raison. Parfait, pensa-t-il en regardant la paire de cisailles qu'il tenait à la main.
Une demi-heure plus tard, il s'impatienta.
- Habitat, le trafic est ralentit ?
- Votre véhicule a été bridé, Marceau.
Étonné, il haussa les épaules et ferma les yeux. Il s'endormit.
Il se réveilla sous le martèlement de la sonnerie d'arrivée. Bâillant, il se leva et courra droit vers la grande porte de l'usine, les cisailles dans une main et le badge de son père dans l'autre. Une fois entré, il commençait à fermer la porte quand il aperçut des sirènes s'approcher au loin. Tout son corps se mit à trembler.
- La police ? Mais comment ils savent...
Affolé, il partit en courant tout en suivant les panneaux indiquant la direction de la salle principale. Il détalait à travers les couloirs, glissant, trébuchant plusieurs fois, et sentit qu'il approchait enfin en entendant le vacarme augmenter.
Finalement, il aperçut une large baie vitrée au loin, elle brillait comme si le continent entier brûlait.
Son téléphone vibra, il l'attrapa et regarda : c'était son père.
- Marceau ?
L'adolescent ne répondit rien. Éperdu, il regardait les lumières qui dansaient sous ses yeux.
- Marceau, n'ouvre surtout pas la porte, tu mourrais là-bas ! ... Marceau, merde. Tu m'entends ?
Il avança à petits pas jusqu'à coller son nez contre la baie vitrée. La surface du verre était chaude, ses rétines brûlaient.
- La police arrive, Habitat a automatiquement signalé ta tentative, ça ne sert à rien de couper le courant, et puis tu n'en es pas capable, il te faudrait un bulldozer pour déterrer les câbles.
Il lâcha son téléphone qui tomba et éclata au sol. L'écran se fractura, et finit constellé de mille rayures. Il s'éteignit.
Devant Marceau, une arène circulaire de plusieurs kilomètres de diamètre semblait entrer en éruption. Tout se concentrait autour d'une immense structure centrale.
Des vagues de tonnerre s'écrasaient dessus. Le vacarme lui déchiraient les tympans, mais il était obnubilé par ces fils infiniment longs, jaunes comme le soleil et qui prenaient naissance haut dans les nuages.
- L'orage... murmura-t-il, sidéré.
Il leva les yeux et aperçut une lumière poindre dans le ciel. Il la suivit, elle déchira le ciel et s'abattit violemment sur la structure au centre de l'arène. Malgré toute sa violence, ce coup de foudre n'était qu'un parmi des milliers d'autres, et il ne produisit qu'un petit son en plus, qui se perdit vite, déjà battu.
- Police, à terre ! hurla une femme derrière lui.
Il se retourna les yeux en larmes. Il chuchotait une phrase en boucle :
- Je veux pas, je veux pas, je veux pas...
- Jetez votre outil et mettez-vous à terre, tout de suite ! ordonna-telle.
Derrière elle, de nombreuses personnes arrivaient et se plaçaient à ses côtés. Marceau baissa la tête et regarda avec étonnement ses cisailles. Il les jeta loin devant lui avec une grimace de peur.
- Non, je veux plus faire ça, je veux plus la tempête, je veux plus la tempête... répéta-t-il.
Il s'effondra en pleurs à genoux, mais les flashs lumineux traversaient ses mains plaquées devant ses yeux et toute sa peau. Ses rétines endolories lui renvoyaient sans cesse les images de cette violence destructrice, et il pleurait encore quand on le déposa chez lui une heure plus tard.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro