Nouv et l'art
« Son mail n'est pas parti, alors c'est la fin du monde.
Le caillou s'est coincé dans l'engrenage et a sauvé la vie d'une baleine.
Ils glissent du haut de la montagne et se rattrapent aux branches d'un arbre.
Là-haut, voyez-vous, le roi découvre une planète.
Nouv »
- Mais enfin, ça ne fait pas de sens, qu'est-ce que c'est que ce cirque ?!
Toute les élus regardent le maire, qui continue de s'empourprer :
- Taguer une mairie, c'est commun ! Mais là, à quoi bon, où est le sens ?
Un art nouveau...
- Et rien, aucun indice, la police est partie comme si de rien n'était ce matin ?
On hoche tous la tête.
- Mais à quoi on les paye, ces comiques ? Si j'étais à leur place...
- Vous aviez qu'à être là pour leur dire, tenté-je.
Il demande qui a parlé, et je lève la main.
- Christophe, commence-t-il en me fixant avec ses yeux ronds, pourquoi m'agressez-vous donc ?
- Vous étiez pas là, monsieur, c'est tout ce que j'ai dit. Si vous aviez été là, vous auriez pu leur dire tout ça.
- Est-ce que vous sous-entendez que je me lève tard ?
Jamais vu un idiot pareil, il casse tout notre dialogue.
- Mais évidemment que c'est ce que je sous-entends, enfin. Vous n'avez aucune finesse, aucun langage subtil !
Cette fois, il a l'ait hors de lui. Il me fait rire, le Stéphane, avec sa cravate qui lui boudine le cou.
- C'est inadmissible de parler comme ça, jamais on ne m'a traité ainsi devant mes équipes... !
- C'était hilarant, dehors. Mais tu prends beaucoup de risques, tu vas finir par mettre en péril ta place à la mairie.
Annie me regarde, ses lèvres dessinent un sourire bien réfléchi.
- Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour un si beau chemisier rouge, en même temps ?
Étonnée, elle baisse les yeux et rit, puis agite ses bras.
- Il me va bien, hein ?
Mieux qu'on ne pourrait l'espérer.
- De quoi rendre amoureux.
- Et voilà, un rendez-vous ensemble et il est déjà amoureux... Bon sinon, ça voulait dire quoi ton poème sur la façade ?
Hein ?
- Hein ?
Elle fait rouler sa chaise vers moi et me caresse la joue.
- Pas à moi, petit révolutionnaire, je commence à te connaître. Tu voulais dire quoi avec ton message ?
- C'est un art nouveau, quelque chose que j'expérimente depuis quelques mois, et c'en est la première représentation mondiale.
Elle lève les yeux au ciel, et commence à s'éloigner.
- Non, non, non, attend, je te jure que c'est intéressant. La première phrase, c'était « Son mail n'est pas partit, alors c'est la fin du monde ».
Elle fronce les sourcils !
- Voilà, là tu ressens exactement ce que je voulais traduire ! En lisant la phrase, tu ressens quelque chose d'unique, qui n'est pas lié au fond du texte, mais à sa façon de s'imprimer en toi.
« On se dit tous pareil en la lisant : « mais comment un mail peut causer la fin du monde » ? Mais on s'en fou royalement ! L'important, c'est que je t'ai fait ressentir l'incompréhension, et que je t'ai fait chercher une solution.
- Je t'apprécie beaucoup Christophe, tu sais, mais là je comprends rien...
- Pour faire simple, c'est un genre d'écriture où les mots te font ressentir quelque chose à toi, sans passer par un personnage. Ce petit texte, ce n'est rien, rien du tout, car il n'y a en gros qu'une sensation.
« Mais dans mes essais plus longs, je pousse jusqu'à créer une histoire de sentiments, sans que le fond n'importe, on lit et on ressent des choses, c'est magnifique...
La porte s'écrase contre le mur, et la voix du maire tambourine la salle.
Merde, pas bon.
- J'AI TOUT ÉCOUTÉ. CHRISTOPHE, DANS MON BUREAU.
- Bon nettoyage, soldat, me chuchote Annie.
- Oui, bien sûr, et puis on fera un grand barbecue sur la place du village, continue-t-il dans son fou rire.
Il dépasse les bornes, je ne me suis pas moqué de lui, moi. Il finit de rire, et se redresse.
- Bon, bon, pour que je regrette dans vingt ans, il faut d'abord que vous l'effaciez, votre œuvre. Passez voir Thierry, le secrétaire à l'accueil, il vous fournira le matériel.
Je me lève, vexé de son irrespect, et me retourne une dernière fois sur le seuil de la porte :
- Je vous assure que vous le regretterez.
- Dans vingt ans, peut-être, mais vous regretterez avant moi. Vous allez voir à quel point c'est amusant de nettoyer un mur.
Je me tiens droit, face au mur où se trouvait l'inscription. Le vent tiède souffle sous ma chemise en soie.
Ça, c'est une réussite.
Je me retourne, et le maire me sourit, deux sandwichs à la main ; il m'en tend un.
- Jolie affiche, Monsieur le Maire, me moqué-je.
- Rigolez, mais nous sommes vraiment fiers, on n'en rajoute pas.
Je le regarde, et lui tend ma main libre pour qu'il la serre, en lançant d'un ton solennel :
- Je vous remercie sincèrement d'avoir tenu votre promesse. Ce barbecue, j'y tenais plus que tout. Et bravo pour votre sixième mandat.
Habitué après plusieurs dizaines d'années de serrage de main, il broie la mienne. On regarde ensemble la grande pancarte proclamant fièrement que le grand poète C. Valant, sous le nom d'artiste Nouv, a réalisé sa première œuvre de rue ici.
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