Croire en soi
Une impression désagréable prit Martin en voyant deux jeunes femmes courir dans la rue.
- C'est les troisième, lança-t-il à la femme à côté de lui, avoue que ça devient suspect...
- Les zombies c'est dans les films, mon amour. Donne-moi cent-vingt-cinq grammes de beurre s'il te plaît plutôt que de...
Il sortit le beurre et chercha quelque chose sur le paquet.
- Les indications sont tous les cinquante grammes, donne-moi la balance.
Il ne l'écouta pas lui expliquer qu'il était idiot, pas efficace et mauvais en mathématiques. Car dehors, un quatrième groupe passait en courant. Il lança un regard à sa femme et la coupa dans sa tirade :
- C'est vraiment étrange, je vais voir ce qui se passe dehors.
Une fois à l'extérieur, il rejoignit le centre de la rue et fut doublé par un nouveau groupe qui courait. Toujours dans la même direction... Il regarda au loin là où ils allaient, et ce fut pire que tout ce qu'il s'était imaginé. Une foule entière se déplaçait ensemble en direction du sud. Ou plutôt...
- Mais oui ! s'exclama-t-il à voix haute.
Sans attendre il suivit la masse grouillante. Il connaissait la route, et prendrait même un raccourci jusqu'au sommet.
La petite montagne vers laquelle il se dirigeait était la seule apparente à des kilomètres à la ronde. C'était une singularité dans le paysage que ce pic de roche blanche et noire faisait. Les quelques fois qu'il était monté en haut, la randonnée lui avait pris autour d'une heure.
Il sortit son téléphone pour prévenir Anne :
JE REVIENS D'ICI 2-3 HEURES, VAIS AU PIC DU STIC. JE PENSE QU'IL Y A UNE APPARITION DE LA VIERGE OU UN TRUC DU GENRE
Une dizaine de minutes plus tard, il atteignait la base de la montagne. J'avais raison, songea-t-il en voyant les flancs de la montagne escaladés par des centaines de personnes. Il s'engagea par son sentier habituel pour éviter d'avoir du monde, mais déchanta vite : on y faisait la queue.
Il se mit à doubler sauvagement, coupant à travers les buissons, et après à peine dix minutes de marche, de petits groupes de jeunes gens étaient arrêtés, visiblement à bouts de souffle.
- Alors, les sportifs ? leur cria-t-il sans s'arrêter.
Personne ne daigna ne serait-ce que lever la tête. Tous étaient sur leur téléphone et ne l'entendirent peut-être même pas.
Il reçut un message et s'arrêta lui aussi pour regarder son téléphone :
PAS COOL DE PARTIR PENDANT LA PÂTE FEUILLETÉE, C'ÉTAIT POUR TE MONTRER COMMENT ON FAIT QUE JE L'AI PAS ACHETÉE TOUTE FAITE
Lassé, il souffla.
- Et l'amour, et la compréhension, et Dieu ? marmonna-t-il en éteignant son téléphone.
Il reprit la marche et se promit de ne plus s'arrêter jusqu'en haut pour mettre de son côté toutes les chances d'arriver à temps. Depuis des années que sa foi était ébranlée, il tenait à assister à ce qui avait toutes les chances d'être un évènement purement chrétien.
À une vitesse qu'il n'aurait jamais imaginé tenir pendant toute la montée, il traversa les zones habituelles de sa montagne. D'abord la forêt sèche du premier tiers de la montée, puis les gros blocs blancs – du calcaire ! s'était écrié son petit cousin deux ans plus tôt –, et enfin les surprenantes roches noires du sommet.
Il arpentait désormais ces sortes de colonnes géométriques sans y faire attention. Son petit cousin l'avait tenu ici pendant plus d'une heure à parler de la caractéristique surprenante de ces blocs – ces pianos, ces orgues ? tenta-t-il de se souvenir – mais il n'en avait pas retenu un mot.
Arrivé au sommet, il jeta un œil au loin et aperçut la mer, qui l'éblouit. Il était baigné d'un sentiment puissant, qui lui gonflait la poitrine. Mais il revint vite à son objectif et chercha ce qui se passait ici.
Une petite foule était attroupée autour de la croix du sommet. Rassuré du caractère chrétien de l'évènement, il s'approcha et fendit la foule sans gêne. Mais, première surprise, il n'y avait pas d'espace au centre du groupe, la foule y était aussi dense qu'autour.
Plus surprenant encore, il ne se passait rien. Tout le monde était attroupé, silencieux, sans s'échanger un mot, les yeux rivés sur des écrans. Téléphones, ordinateurs, tablettes, tout y passait. Certains avaient l'air de s'être organisés pour trouver un accès internet car plusieurs antennes étaient accrochées à même la croix chrétienne.
- Ha non, pas la croix, profanes !
Lorsqu'il se jeta pour décrocher les antennes, on prit enfin conscience de sa présence. Un mur humain lui barra la route. Les jeunes – encore des jeunes ? – pestèrent contre lui, l'insultèrent même.
- Mais qu'est-ce que vous fichez ici, vous attendez quoi ?
- Le nouveau boss de Karitex ! répondirent-ils tous en cœur.
Quelque chose éclata en lui. S'il n'était pas très renseigné sur les tendances que suivaient les jeunes, il avait bien-sûr entendu parler de Karitex. Mais le jeu dépassait les bornes : envoyer des jeunes en haut d'une montagne pour tuer un monstre virtuel ? Cela posait évidemment des problèmes d'éthique.
Déçu, il s'en retourna au point d'observation d'où il pourrait voir la mer et ralluma son téléphone. Mais quelque chose en lui n'était pas cassé finalement, remarqua-t-il. Il n'était pas non plus désabusé, au contraire même, il était heureux d'être ici. En atteignant à nouveau le pic de la montagne, il contempla la vue.
- On a l'impression d'être Dieu...
Sa phrase résonna quelques temps en lui... puis brusquement il sursauta.
- Ce sentiment d'en haut de la montagne...
Soudain il comprenait toutes les significations chrétiennes, cela lui semblait clair comme jamais cela ne l'avait été, et il souriait, exultait, se tapait la tête. De nombreuses citations lui revenaient, et il en récita une :
- L'évangile selon Marc, chapitre 4 ! cria-t-il. « Le Règne de Dieu est au milieu de vous », c'était évident, dieu c'est nous !
Et il tira d'un coup sec sur la croix autour de son cou, avant de la lancer le plus loin possible.
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