
Chapitre 9 - L'Entre-Deux (partie 1)
« L'Entre-Deux, comme j'ai fini par le découvrir, n'est pas ce lieu sombre qui m'avait terrifiée. Non, il est ce que je construis, ce que je choisis de préserver ou d'oublier. Un havre de paix, si j'ai le courage de le bâtir. Une trace, un souvenir. »
— Auteur inconnu, Le Cœur du Monde, date inconnue
C'EST UNE SENSATION étrange et familière, un glissement de la réalité. Le monde se dérobe. Il existe encore, mais à peine. Les voix de Marc et Lya sont atténuées, les angles des parois deviennent flous et l'odeur métallique qui flottait autour de nous se dissipe. Je connais cette sensation – je la connais depuis toujours... C'est mon impression, diffuse mais prégnante, même si je l'ai ressentie pour la première fois il y a environ une semaine.
« Maman ? »
Ma voix résonne étrangement dans cet espace en marge. Je ne suis pas sûre que Marc et Lya l'entendent ; je ne perçois pas de variation dans leur échange de murmures. Cela dit, je n'y prête pas vraiment attention. Ils existent si peu.
« Maman, répété-je d'une voix tremblante, c'est toi ? »
Peu importe que personne ne réplique. Je connais déjà la réponse à ma question. Je l'ai connue dès le début, avant même d'être aspirée ici.
Cette présence qui m'a attirée en ce lieu n'est pas ma mère.
Je ne sais pas de qui il s'agit ni pourquoi cette personne possède les mêmes capacités que Maman, mais une chose est sûre, elles n'ont rien à voir ensemble.
« Il y a quelqu'un ? » demandé-je avec inquiétude.
Personne, si je me fie au silence. Je fais un pas en avant... enfin, pas vraiment. Dans le monde réel, je ne bouge pas. Pourtant, ici, j'avance, il n'y a pas de doute. Je progresse, je cherche... mais difficile de chercher quelqu'un dans un tel univers, brumeux et brouillé.
Une pulsation sourde emplit l'espace. Aucun autre bruit ne résonne à mes oreilles. Ce rythme est le seul à troubler le silence, il semble m'emporter dans un autre univers. On dirait un cœur qui bat. Un cœur qui n'est pas le mien.
J'ai l'impression de m'être introduite dans le corps d'un autre, de l'observer de l'intérieur, comme une espionne. Je viole son intimité sans le vouloir, ni pouvoir m'en empêcher.
« Qui... qui êtes-vous ? » insisté-je avec difficulté ; la boule d'angoisse dans ma gorge obstrue le passage des mots.
Seul le battement sourd et régulier me répond. L'endroit se referme autour de moi comme un piège, je ne sais plus vraiment où je suis, ni comment retourner sur mes pas. Je pourrais être coincée ici pour toujours, avec cette pulsation impassible en guise de compagnie. Seule...
« Vous m'avez appelée, non ? Dites-moi qui vous êtes ou je m'en vais ! »
Même si ma voix ne tremble pas, ma menace n'a aucun effet. J'ai peur, je ne comprends rien, je suis incapable de quitter cet endroit et la chose le sait.
« Bordel, mais dites-moi ! Laissez-moi partir ! »
Trop tard. Je suis incapable de contrôler les accents paniqués de ma voix. Je tourne sur moi-même, sondant l'espace brumeux dans l'espoir d'y comprendre quelque chose. Marc et Lya ne sont plus que deux fantômes flous ; je n'entends pas ce qu'ils disent, je distingue juste les contours de leurs corps. Mon cœur s'affole, il bat deux fois plus vite que l'autre, celui que j'entends tout autour de moi, dont les pulsations m'étouffent. Cet endroit n'a pas de sens, pas d'existence – oui, cet endroit n'existe probablement pas et pourtant j'y suis coincée. Cela n'a peut-être aucune logique, mais ce sont les pensées qui me traversent et elles sonnent en moi avec les accents d'une certitude. Est-ce que je deviens folle ?
Mon regard parcourt désespérément la brume autour de moi. Je guette une silhouette autre que celles de Marc et Lya. Soudain, quelque chose bouge à la limite de mon champ de vision. Je pivote dans la direction du mouvement, le cœur battant. Une silhouette se tient à une dizaine de mètres de moi, à demi-cachée par la brume, une silhouette qui semble bien plus réelle que celles de mes frère et sœur. Elle aussi appartient à ce monde hors du temps. Je me précipite vers elle comme on court dans un rêve, avec maladresse, sans vraiment contrôler mes gestes ; c'est plus une chute qu'un mouvement articulé.
Il s'agit d'une femme brune à la peau pâle. Elle ne fait pas un geste, ni pour fuir ni pour me répondre. Elle me regarde approcher sans prononcer un mot. J'ai l'impression qu'elle me jauge, mais je ne saurais dire sur quoi porte cet examen. Je la dévisage en retour. Elle est maigre et assez petite – elle ne me dépasse même pas d'une tête – mais elle possède un visage d'adulte, pâle et dur, aux joues creusées, plissé par des rides prématurées, encadré par des cheveux raides, ternes et clairsemés. Un sourire artificiel étire ses lèvres blanches.
Je ne l'ai jamais vue de ma vie, pourtant par-delà tous ces détails, elle me semble familière. Elle dégage la même chose que Maman lorsqu'elle est venue à moi. Quelque chose de grand, d'incompréhensible, qui nous dépasse toutes les deux. L'éternel et l'éphémère. Le temps qui n'a plus de sens. La vie, une vie étrange, dénaturée.
Mille questions se pressent sous mon crâne, comme un essaim brûlant de sortir de sa ruche. Leur bourdonnement m'empêche de me calmer et d'en sélectionner une. De toute façon, je crois que je ne trouverais pas les mots.
C'est elle qui brise le silence. Sa voix n'a pas l'air d'appartenir à son corps, elle vient d'un autre monde, d'un autre temps.
« Qui es-tu ?
— C'est drôle, répliqué-je avec un rire nerveux, c'est à peu près la question que j'allais vous poser. Je m'appelle Iris Jaouen, sinon. »
Donner mon nom complet, mon nom terrien, me semble soudain étrange ; je me demande brièvement si ce n'était pas une erreur. Ses sourcils dégarnis se froncent.
« Iris Jaouen... En quelle année sommes-nous ? »
La vivacité de sa réponse me surprend, tant elle contraste avec la fadeur de son visage.
« Chez vous, j'en ai aucune idée, je suis terrienne. Chez moi, en deux mille dix-huit. Vous auriez pu répondre à ma question, quand même... Vous êtes qui ?
— Tu n'as pas répondu non plus.
— On va pas partir dans une discussion sur ce qui fait notre identité, si ? »
Un soupir agacé lui échappe.
« Tu es terrienne, mais nous sommes sur Alora, n'est-ce pas ? »
J'acquiesce.
« Et plus précisément, est-ce que tu le sais ?
— Près d'Aritam, dans les souterrains d'Amylokirlia. Je ne sais pas si vous la connaissez. C'est quoi cet endroit, exactement ?
— Dis-moi plutôt comment tu es arrivée ici et quelle est la situation dehors. »
Je serre les dents pour contenir mon agacement. Qu'elle me pose des questions, d'accord : j'ai l'impression qu'elle est rarement en contact avec d'autres humains. Mais qu'elle ne me réponde pas... Si elle veut des informations, elle ferait mieux d'en partager aussi. J'ai toutes les raisons du monde d'être curieuse, après tout : elle habite un lieu si étrange... À moins que, comme moi, elle n'ait fait que s'y introduire ? Non ; elle semble réellement en faire partie. Il se dégage d'elle la même impression d'intemporalité que de cet espace brumeux.
« Réponds, ordonne-t-elle d'une voix pressante.
— Pas tant que vous ne m'aurez rien dit. Je vous ai déjà donné plein d'informations. »
Pendant quelques dizaines de secondes, nous nous dévisageons toutes deux dans un silence buté. Elle me fixe sans ciller, attendant que je cède, mais je n'ai aucun intérêt à le faire. Bras croisés, regard fixe, je patiente moi aussi. Elle a besoin de mes informations et, contrairement à moi, elle sait qu'elle les aura si elle me répond. Elle parlera la première, c'est évident.
C'est bien ce qu'elle fait, l'air contrariée mais résignée.
« Je répondrai à tes questions lorsque tu auras répondu aux miennes.
— Quelle assurance j'ai que vous le fassiez ?
— Aucune. Mais répondre ne te coûte rien... à toi, ajoute-t-elle après une hésitation.
— Qu'est-ce que vous voulez dire ? »
Elle ne répond pas. Même si ce qu'elle a laissé échapper explique qu'elle ignore mes questions, cela ne m'assure pas qu'elle y réponde ensuite, au contraire... Mais elle me fixe avec une telle insistance, et elle a raison : je n'ai rien à perdre. J'acquiesce, un peu malgré moi.
« Dis-moi, maintenant, à quoi ressemble... Az ? je crois que c'est ainsi qu'ils l'appelaient.
— Vous débarquez de quelle époque, au juste ? m'exclamé-je, stupéfaite ; elle se contente d'un haussement d'épaules et je poursuis à contrecœur : Az est... flippant. Je... »
Des souvenirs défilent par centaines dans ma mémoire. Vingt-Sept accroupie devant moi, son corps décharné, son regard sauvage ; ma fuite dans les couloirs et son atroce cri étouffé ; les soldats autour d'Ererakinalc recroquevillé au sol, l'odeur écœurante de son sang ; la salle de torture au premier étage de la maison d'Amylokirlia, toute en angles durs et froids ; notre faux procès, l'hostilité assumée des juges ; le soldat et l'enfant seuls au milieu du désert...
« Cet endroit marche sur la tête, résumé-je finalement. Et c'est une putain de dictature.
— Je m'en doutais, murmure-t-elle avec lassitude et tristesse. N'as-tu aucune idée de l'époque ? Depuis combien de temps Az existe-t-il ?
— J'en sais rien... admets-je ; Amyltariaea ne m'a rien dit là-dessus. Un bon paquet d'années. Assez pour qu'ils considèrent que ça a toujours été comme ça, je suppose. »
Elle hoche la tête avec cette même expression mélancolique.
« Qu'est-ce que tu fais ici, toi, Iris ? questionne-t-elle avec douceur.
— Une Azane a enlevé ma sœur. Pour résumer. Alors on a été la chercher. »
Pour la première fois depuis que je suis arrivée ici, notre situation critique me revient en mémoire. Nous venions d'ouvrir la « porte » et je me suis laissé emporter... Que voient Marc et Lya, maintenant ? Ils doivent être terrifiés.
« Ne t'inquiète pas, me glisse la femme comme si elle avait lu dans mes pensées, tout rentrera dans l'ordre. Mais il est primordial que nous parlions. Tu es la première personne que je vois depuis des siècles, si mes suppositions sont bonnes, et cela signifie beaucoup. »
Elle pose sur moi un regard si intense qu'il est difficilement soutenable. Je me force néanmoins à la fixer en retour ; son attitude impérieuse m'agace même si, sans pouvoir me l'expliquer, je lui fais confiance.
« As-tu entendu parler, ajoute-t-elle avec prudence, d'une certaine... prophétie ?
— Sérieusement ? » Malgré moi, je lève les yeux au ciel. « Oui, j'ai entendu parler d'un truc comme ça. Et alors ? Vous allez me dire que c'est hyper important et que je dois ouvrir cette porte stupide, vous aussi ? »
La femme m'observe avec un sourire nostalgique, mais elle ne répond rien. J'inspire lentement pour me forcer au calme. Je ne devrais pas me mettre dans tous mes états juste pour cette stupide « prophétie ». Je ne sais même pas pourquoi y penser me rend aussi furieuse.
« Tu n'as pas tort de douter, dit-elle finalement d'un ton neutre. C'est une bonne chose. Il ne faut jamais, jamais croire aveuglément. Je dirais même ne jamais croire, appuie-t-elle après un moment de réflexion. Oui. Ne jamais croire.
— Vous me parlez de ces conneries juste pour me dire que c'est faux ?
— Pas que c'est faux, contre-t-elle après une pause. Juste qu'il faut que tu doutes. C'est un principe général, refuser de croire ce qui ne fait que sembler être une évidence... Mais je suis étonnée que tu sois si sceptique, alors que tu ne cilles pas lorsque je te dis que je n'ai vu personne depuis des siècles...
— Ce n'est pas la même chose. Vous ne prétendez pas décider de mon futur, vous.
— Alors c'est ça, ce qui te pose problème... » conclut-elle pensivement.
Je fronce les sourcils.
« Que l'on décide de ton destin à ta place. C'est cela qui te dérange...
— Il y a de quoi », répliqué-je sur un ton acide.
Peut-être qu'elle a raison, oui, peut-être que je n'aime pas qu'un autre détermine mon avenir... et alors ? Pour qui est-ce que ce n'est pas le cas ? Tout le monde veut décider lui-même de son destin. Elle semble hésiter quelques instants, puis secoue la tête, imperceptiblement.
« Je crains que tu n'aies pas compris ce qu'est une vraie prophétie. Mais ce n'est pas grave.
— Qu'est-ce que vous voulez dire ? »
Elle ne répond pas. Elle regarde dans le vague, comme si je n'existais plus.
« J'ai répondu à vos questions, signalé-je avec agacement. C'est à vous, maintenant. »
D'abord, elle ne réagit pas, si bien qu'un bref instant je me demande si je n'ai pas vraiment disparu de son monde ; peut-être ne voit-elle plus qu'une silhouette floue, comme l'image que j'ai moi-même de Marc et de Lya. Puis elle acquiesce, un peu déçue.
« Je vais y répondre, assure-t-elle d'une voix douce. Mais je ne peux pas répondre à celle que tu viens de me poser. Non, je ne crois pas que je puisse.
— Pourquoi ? Ça, vous pouvez me le dire ? ironisé-je d'une voix mordante.
— Cela me coûterait trop et... ça n'aurait pas d'effet. Je ne crois pas.
— Ah, super. Ça m'éclaire beaucoup.
— Je suis désolée... »
Je hausse les épaules.
« Où on est, alors ?
— Dans l'Entre-Deux. »
Je pivote sur moi-même, embrassant les lieux du regard. L'Entre-Deux. Je crois que je vois pourquoi cet endroit est nommé ainsi. Entre deux mondes, celui des vivants et le leur, à elle et ma mère, si elles partagent le même. L'Entre-Deux, une parenthèse, une passerelle.
« Vous êtes morte ?
— Oui.
— C'est quoi, votre nom ? »
Une tristesse inexplicable voile son regard. C'est étrange comme les émotions passent ici, j'ai l'impression de pouvoir deviner tout ce qu'elle ressent et pourtant je ne la connais pas ; je n'ai aucune idée des pensées qui lui traversent l'esprit, mais je sens sa nostalgie et sa colère.
« Je m'appelais Sophine. Sophine lane Jytrrakj. Mais je ne me reconnais plus dans ce nom.
— Comment voulez-vous vous appeler, alors ? »
Elle sourit. Amusement. Curiosité.
« Je ne sais pas.
— Vous n'avez pas un nom azan ? Genre, Amyltariaea, tout ça ?
— J'en avais un, aussi. Mais je ne m'y reconnaissais même pas lorsque j'étais vivante. C'est à mon époque qu'ils ont introduit les nouveaux noms, tu vois... Nous en avons tous pris un, mais ce n'était qu'un nom officiel, une formalité. Personne ne les utilisait vraiment. »
La colère et la tristesse s'accroissent et me mettent mal à l'aise. Je m'empresse de trouver un autre sujet de conversation :
« Vous avez dit que me répondre vous coûterait trop... Trop de quoi ? »
Nouvelle hésitation. Méfiance.
« D'énergie. De force... vitale. C'est ainsi dans l'Entre-Deux. Les Lémures ne peuvent pas interagir impunément avec les vivants. Lorsque nous communiquons une information, nous perdons un souvenir. Plus elle est personnelle, plus le souvenir sera important. Ce que je te dis maintenant ne représente grand-chose, par exemple. C'est le prix à payer. Une réponse, un souvenir. Et quand nous n'en avons plus, nous... disparaissons.
— Vous mourez ?
— Nous sommes déjà morts. Nous disparaissons. Rien ne dure éternellement, pas même un fantôme.
— Alors c'est bien ce que vous êtes, des fantômes ? Je parle à un fantôme ? »
Sophine hoche la tête, amusée.
« Qu'est-ce que c'est exactement, l'Entre-Deux ?
— C'est un lieu de rencontre. Imagine que le monde des vivants et celui des morts sont séparés par... comment dire ? par une porte vitrée. Les Lémures ont la possibilité de se tenir sur le seuil et de faire porter leur voix de l'autre côté. Et toi, tu as la capacité de nous entendre.
— Moi ? Pas les autres ? m'étonné-je.
— N'es-tu pas un Réceptacle ? »
Je fronce les sourcils. Un Réceptacle. Ce nom-là ne me dit rien qui vaille.
« Tu as réussi à te maintenir dans l'Entre-Deux assez longtemps pour que ça ne fasse aucun doute, argue Sophine, répondant à sa propre question. Tu es un Réceptacle.
— Un Réceptacle », répété-je bêtement.
Elle acquiesce.
« Tu peux nous sentir, Iris. Sentir les Lémures. »
Je fronce les sourcils, sans comprendre. Ce n'est pas moi qui l'ai sentie, c'est elle qui est venue... Cette pensée m'effleure un instant, puis son sens glisse hors de mon esprit.
« Je ne comprends pas.
— Souviens-toi... N'as-tu jamais remarqué que tu avais une sensibilité particulière à l'Entre-Deux ? À nos... manifestations ?
— Je pratique pas le spiritisme, marmonné-je. Et je crois que vous êtes le deuxième fantôme que je croise. J'ai pas eu l'occasion de remarquer quoi que ce soit.
— Souviens-toi vraiment. Plonge vraiment dans ta mémoire – c'est plus facile, ici. »
Un fond de curiosité me pousse à tenter l'expérience. Je me replie sur moi-même, ferme les yeux et traque mes souvenirs. Quelque chose d'étrange, que je n'aurais pas compris sur le coup... Peut-être n'est-ce jamais arrivé. Pourtant, je continue à fouiller dans ma mémoire, à remonter le temps. Je laisse des centaines de souvenirs me traverser. Les couleurs sont vives, les sons clairs, les odeurs nettes ; peut-être est-ce l'Entre-Deux, la proximité de la mort et de l'intemporel, qui facilite ainsi l'accès à mes vieux souvenirs. Ils défilent continument, sans que j'intervienne... jusqu'à ce que quelque chose attire mon attention.
Tendue à l'extrême, plongée en moi-même comme jamais de ma vie entière je ne l'ai été, tout entière tournée vers l'intérieur, je me repasse ce souvenir.
Je crois que j'ai cinq ans, un peu plus un peu moins, je ne sais pas trop. Ça n'a pas d'importance. C'est les vacances, je marche avec Marc et Papa dans une rue d'une ville que j'ai oubliée. Mon frère pleure parce qu'il y a trop de bruit. Des sirènes comme la police, peut-être qu'ils vont arrêter un voleur, c'est ce que je lui dis. Je demande à Papa si on peut rester pour voir. Marc pleure encore, je lui chuchote que ça va être intéressant, comme dans les histoires qu'on nous lit le soir. Il arrête de pleurer, il me regarde avec une question dans les yeux. Je lui fais un grand sourire et je me tourne vers Papa, je lui demande de rester, s'il te plaît Papa, on sera sages ensuite, promis juré craché mais je crache pas parce que je suis sage. Il fronce ses gros sourcils. Ce n'est pas la police Iris, il répond avec une peur d'adulte dans la voix, c'est une ambulance. On va pas rester voir ça, rentrons. Je n'ai pas envie de rentrer. J'insiste, on peut Papa, je veux voir, mais il refuse.
Trop tard. L'anlubance, non, pas ça, je ne sais plus, la voiture avec la sirène s'arrête pas loin de nous et une voix crie c'est trop tard, c'est trop tard. Papa est tout pâle, il dit maintenant on rentre tout de suite. Moi je regarde la voiture, il y a un monsieur jeune devant, il crie on fait quoi, personne la connaît fallait qu'elle clamse au milieu de la rue, on fait quoi putain, il y a trop de gros mots dans sa phrase. C'est peut-être pour ça que Papa me prend par la main et me tire vite loin de la voiture, mais trop tard, je les ai entendus. Je tourne la tête vers le monsieur et la voiture, ils ouvrent le coffre et je vois le visage d'une femme, il est tout raide et il bouge pas son visage. Je me dépêche de suivre Papa. Il a peur, je le sens.
Et puis, je ne sais pas ce qu'il se passe, le monde a l'air de disparaître. Pas exactement. C'est juste plus flou. Les gens n'existent plus trop. Il y a juste une femme avec un sourire triste qui me regarde. Je la regarde aussi. Alors elle parle, elle dit je te connais, je te connais, elle répète ça longtemps et puis elle me dit tu te souviens et puis elle me dit tu es un raie spectacle ou quelque chose comme ça. Je ne comprends pas. Je dis quoi et elle répète son mot bizarre, et puis c'est fini. Elle disparaît, ou alors c'est moi qui pars. Le monde redevient réel. Marc me regarde avec un drôle d'air. Papa est tout pâle, il dit on rentre, on rentre tout de suite.
Et puis j'oublie...
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