𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏
➠ ❛Elle avait tout l'allure d'un ange de la Mort mais elle m'appelait à vivre❜
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Il avait grandi seul avec son père dans un petit quartier dont il n'en gardait peu de souvenirs, dans la préfecture de Tokyo, jusqu'au jour où ils emménagèrent à Musutafu afin que l'adulte puisse retrouver du travail suite à un licenciement qui les avait un peu pris au dépourvus. Déjà qu'ils n'avaient pas beaucoup d'argent, ce petit événement les avait contraint de quitter la grande ville pour un studio plus modeste. Son fils étant né sans-alter, l'adulte s'inquiétait souvent pour sa sécurité et cela lui causait bien des soucis de santé dû au stress. Et en grandissant, le garçon s'en voulait de causer tant de tort à son père juste parce qu'il n'avait pas de quoi se protéger. Car oui, l'anxiété n'était pas vaine ; les deux Yagi vivaient dans une période où le Mal sévissait en raison de l'influence d'une puissance qui leur était inconnue et dont l'amplitude de la menace les dépassait. Le taux de criminalité était à la hausse parce que les citoyens n'avaient pas de héros en qui croire. Pas même Toshinori, et surtout pas Toshinori. Il ne croyait en rien ni personne, sauf au Mal qui les attendait à chaque coin de rue.
Toshinori Yagi était un gamin frêle avec des cheveux blonds, courts, balayés vers l'arrière du crâne. Deux mèches s'en dégageaient et encadraient sournoisement son visage. Il avait dû voir cette coupe de cheveux dans une Bande-Dessinée, une fois, lui donnant peut-être un air de geek de la culture américaine depuis qu'il l'avait adoptée. Ce n'était pas de sa faute si le continent à dix mille kilomètres l'attirait plus que le collège du quartier voisin. Après tout, sa mère venait du Texas et comme n'ayant aucun souvenir d'elle, il avait l'impression de se rapprocher d'elle, d'apprendre à la connaître à travers un pays qu'il n'avait jamais vu. Son père dirait que non, rationaliste qu'il était. Qu'il avait juste une passion absconse pour l'exotisme, tout simplement, comme un européen serait passionné par le pays du Soleil levant. L'adulte Yagi était grand et svelte, deux mètres passés d'après ses dires, aux cheveux aussi bruns qu'une branche de chocolat au lait. Toshinori ne tenait pas non plus la couleur cendrée de ses yeux ; les siens étaient d'un bleu incroyablement insolent envers la beauté de l'azur même, si bleus qu'on ne verrait que ça sur son visage fin. Il n'avait pas à être complexé par cet atout, bien au contraire, mais il ne comprenait pas pourquoi on pouvait trouver des yeux aussi beaux... Il n'aimait d'ailleurs pas qu'on les complimente, ce n'était en rien sa faute s'il avait été conçu ainsi, à l'image d'une mère qu'il ne connaissait pas et qu'il n'avait pas le droit d'aimer par simple souci de non présence.
D'ailleurs, l'école, ce n'était pas sa tasse de thé non plus. Entre la fillette du côté primaire qui s'amusait à mettre de la glycérine produit par son alter dans les cheveux de ses camarades et cette tête brûlé de Todoroki, il ne savait pas ce qui était le plus ennuyeux à supporter dans la cour, à la récré comme en fin de journée. Et ce soir-là, son objectif était de définir lequel des deux engendraient le plus de bruit (juste pour passer le temps disait-il)...
Finalement, sans avoir de réponse à cette question, la vieille voiture de son père se gara juste devant l'établissement scolaire et sans même lui adresser un seul regard, il attendit simplement que son fils unique monte dans la carcasse à moteur. Toshinori, soulagé d'enfin pouvoir quitter cet endroit chaotique, jeta son sac sur la banquette arrière et s'attacha. La voiture démarra dans des crachotements motorisés. Ce soir, il mangeait chez sa tante, à l'autre bout de la ville. Tante qu'il n'appréciait pas particulièrement mais il faisait toujours l'effort d'être poli avec elle. Son père n'aimait pas non plus sa sœur. Toshinori ne comprenait donc pas pourquoi les deux adultes continuaient de s'inviter et de se fréquenter. Les adultes étaient de bien étranges créatures à ses yeux.
Le souper se déroula d'une lenteur inqualifiable. Plusieurs heures à jouer avec ses couverts pour passer le temps, plier et déplier sa serviette en papier, gratter le vernis du bois de la table avec son ongle... Il fut condamné de rentrer tard dans la nuit. Le silence et l'obscurité planait sur la ville de Musutafu et les phares crachotaient leurs halos clairs sur la bande d'asphalte avec langueur. Ils auraient volontiers accepté de dormir chez leur hôte pour éviter le trajet du retour, si celle-ci n'avait pas son club de lecture qui devait passer chez elle à huit heures tapantes le lendemain. Le père et le fils s'étaient regardés brièvement avant de secouer la tête de concert. Non. Autant profiter d'un samedi où ils pouvaient dormir sans devoir se réveiller aussi tôt pour supporter six bonnes femmes parler littérature, il y avait bien mieux à faire. Ce fut donc pour cette raison que les deux Yagi roulaient à presque vingt-trois heures - ah ! on connait tous ces interminables discussions d'adultes pendant les entrées, plats et desserts, qui font que le temps long parait encore plus long... - pour rentrer chez eux, à l'autre bout de la ville. Et puis bon. La tante de Toshinori n'était pas plus friquée qu'eux, son frère ne souhaitait en aucun cas abuser de sa bienveillance et lui être redevable par la suite. Il y avait une certaine fierté qui s'entêtait à perdurer dans la famille. Déjà qu'il ne l'aimait pas plus que cela, s'il devait encore avoir des dettes envers elle, il ne s'en remettra jamais.
« SHIT-... »
La voiture avait violemment été freinée d'un coup franc. Toshinori, déjà bien grand pour son âge, fut malgré tout étranglé par sa ceinture de sécurité qui l'avait retenu de justesse. Ne s'intéressant que très peu aux rougeurs sur les parties nues de son corps, il s'affaissa sur son siège, les jambes tremblantes. Le souffle coupé, le jeune adolescent ne put détacher ses yeux azur de la silhouette tout juste perceptible qui avait forcé l'arrêt d'urgence, penchée en avant comme si elle avait l'échine brisée, souriant de sa mâchoire aux dents pointues et coulantes de carmin. Sans même avoir besoin de jeter un coup d'œil au chauffeur, il pouvait deviner que ce dernier frissonnait, les mains serrées au maximum contre le volant. Ses jointures étaient d'ailleurs devenues aussi blanches que la Lune.
« Qu-qu'est-ce que c'est ?... demanda le sans-alter dans ce qui aurait pu être considéré un murmure inquiet. »
Mais il ne reçut aucune réponse de la part de son parent. Non. À la place, le père baissa le frein à main, changea la vitesse et recula d'un bon coup d'accélérateur qui projeta une nouvelle fois son fils contre sa ceinture de sécurité. Un virage redéfinit la direction du véhicule et l'adulte changea de ruelle aussi vite qu'il avait fait marche arrière. Une minute entière de flottement servit à calmer leurs cœurs déchaînés, persuadés qu'ils n'étaient plus en danger. Pour être sûr, il enclancha la radio en espérant recevoir les informations concernant ce vilain, si jamais quelqu'un l'aurait déjà signalé aux autorités. À peine eut-il le temps de tourner le volume que le toit de la voiture s'affaissa dans un bruit métallique sourd, en proie à une dangereuse déchirure. Toshinori sursauta et cria en même temps que son père qui, sous la surprise, perdit momentanément le contrôle de son véhicule. Il fit quelques virages maladroits, tantôt sur les trottoirs, tantôt sur la route, mais impossible de se libérer de la chose qui venait de s'écraser lourdement sur le toit. L'adolescent, sous la frénésie des évènements, serra les dents et fit plusieurs tentatives avec ses doigts pour détacher sa ceinture afin que son corps puisse se coller contre la portière, au cas où le vilain fasse un trou au-dessus d'eux en cherchant à les écraser. Le père n'étant pas du même avis que son fils, lui ordonna prestement de se rassoir correctement mais, interrompu au milieu de sa phrase par des klaxons, il s'engagea sur une nouvelle rue avec plusieurs voitures qui arrivaient en sens inverse et auxquelles il risquait de se heurter si jamais il ne restait pas sur sa voie principale. La chaotique présence se mit à cogner contre le toit mais voyant que cela ne faisait pas l'effet escompté, sa main noire et gluante décida de s'attaquer à la vitre, jugeant la matière plus fragile, ce qui surprit le jeune garçon dont l'arrière de la tête s'y était collé. Son cœur battait la chamade car il ne pouvait pas se pencher en avant sous peine de déranger les manipulations de son père. Il était obligé d'espérer que la vitre ne cède pas, auquel cas il pourrait se faire attraper par les cheveux, voire pire.
« Papa, mais qu'est-ce que c'est ?!! Qu'est-ce qu'il nous veut ?!! »
Le père continuait de conduire sous la panique et par Dieu savait quelle adrénaline, une drôle d'idée germa de sa tête aux dires de son fils. Il n'avait pas vraiment le temps de réfléchir, il s'était simplement dit que tout aurait été plus simple s'il était seul. Et ses muscles parlèrent avant son cerveau.
« C'est le gamin que tu veux ?!! »
Il se pencha vivement sur le côté passager et donna un coup brusque à la poignée de la portière afin qu'elle s'ouvre. Toshinori, qui ne réalisa que trop tard la combine insolente de son parent, se retrouva projeté hors du véhicule encore en marche, aspiré par l'extérieur comme une fusée échouée dans le vide intersidéral. Le vilain, ravi qu'on lui jette son repas aussi simplement, bondit hors du toit de la carcasse à moteur pour rattraper sa victime mais n'eut pas le temps de l'attraper en plein vol car il se retrouva ébloui par une voiture en sens inverse. Le père évita de justesse le second chauffeur, poursuivit sa route, portière ouverte, en hurlant contre l'inconnu qui essayait de rentrer dans sa voiture par l'ouverture, jusqu'à se retrouver piégé devant plusieurs automobiles policières. Le souffle frénétique, il tenta de remettre ses idées en place tandis que l'équipe capturaient le méchant en tentative de fuite. Puis il réalisa son acte et son teint devint blême comme la Mort.
Ce n'était pas ce qu'il avait voulu, mais sur le coup, son cœur n'avait souhaité qu'une chose ; se débarrasser du gamin qu'il n'arrivait pas à assumer. À protéger. À nourrir. À élever. Seul. Et en tournant la tête vers le policier qui le fixait depuis la portière côté passager, il comprit. Il comprit avant même qu'on ne lui montre les menottes qu'il avait creusé sa propre tombe, dans laquelle il avait essayé de balancer son gosse car il a eu peur de mourrir à ce moment-là. Il a eu peur de creuver, oui, mais quel était le prix à payer pour son acte irréfléchi et ignoble ?
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Toshinori émit un couinement de douleur lorsqu'il tenta de se redresser. Tout lui faisait un mal de chien. Un peu difficilement, il se mit assis et de sa main gauche, se tâta le corps à la recherche de blessures. Au vu des sensations qu'ils percevaient malgré le capharnaüm de brouillard qui se tapissait sous son crâne, il n'avait pas l'air d'être grièvement blessé, hormis son épaule droit qui lui semblait déboité et une côte qui lui faisait terriblement mal. Il releva la tête lorsqu'un chauffeur quitta son véhicule dans un claquement de portière sonore pour se précipiter vers le jeune blond, visiblement effaré par l'état du garçon. Il ne savait même pas s'il avait perdu connaissance où s'il avait une amnésie à cause du choc, mais il ne se rappelait même pas de sa chute. Pourtant, la sensation d'avoir des ecchymoses sur tout le corps ne mentait pas.
« Bon sang, je t'ai vu faire un d'ces voles planés... ! Comment te sens-tu ?! Tu ne devrais pas bouger, je vais vite appeler une ambu-...
- Elle est déjà en route, trancha une voix provenant d'un halo de lumière généré par une lampe de poche qui se juxtaposait avec celui du lampadaire. Agent Tanaka, de la brigade nocturne. Nous avions été interpelés par l'équipe de patrouille dans cette zone à cause d'un vilain cannibale, si je m'en réfère au dossier qui m'a été fourni.
- B-bonsoir monsieur l'agent... Donc vous êtes déjà au courant que ce petit est tombé de la voiture ?
- Un peu que je suis au courant. (Il se tourna vers le blessé.) Ton père est en état d'arrestation, mon garçon, mais ne t'inquiète pas. On va s'occuper de toi. »
À vrai dire, à cause du traumatisme de sa chute et de ses blessures, Toshinori n'était pas en mesure de comprendre la plupart des informations qui lui était donné d'intégrer. Au loin, plusieurs silhouettes se détachaient de l'obscurité et semblaient s'approcher d'eux, et l'une d'elle avait l'allure d'un ange de la Mort, de sa taille et son vêtement. Pourtant, un bref éclat de lumière illumina son visage et cela la rendit tout de suite plus vivante, plus rassurante, plus humaine. La dernière chose que vit l'adolescent avant de se laisser emporter par le sommeil, d'ailleurs, fut l'ombre de cette femme avec une longue cape, comme celle qu'il voyait dans ses Bandes-Dessinées américaines...
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À suivre
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