Un silence agréable.

Dans la nuit noire, on entendait seulement les néons abîmés avec le temps, le vrombissement des machines et les cliquetis produits par le mécanisme entre les mains du jeune homme. Ses cheveux blonds lui arrivaient juste un peu au-dessus des épaules, assez long pour lui et assez court aux yeux de la loi. Ils tombaient parfois par-dessus ses yeux, brouillant sa vision. Et alors, il les ramènerait derrière ses oreilles d'un geste nonchalant avant de continuer sa tâche ardue.

" Deux tours à droite, une vis ici. Clic. „

Il avançait sur son œuvre chaque nuit, petit à petit depuis 2 ans maintenant. Le gouvernement avait mis en place une extinction des feux à 20 heures, précisément pour les étudiants. Les portes des chambres de l'internat ne pouvaient plus s'ouvrir, l'heure passée. Une vraie petite prison. Tout cela pour les forcer à se concentrer sur leurs études au prix de leur vie sociale et de leur liberté. Éprouver des sentiments dans une telle société pouvait se révéler traître.

Le sommeil commençait à s'emparer du blond. Il étira alors ses longs muscles, éteignit la lampe qu'il avait trafiquée grâce à des pièces détachées et se laissa tomber sur lit, emporté par Morphée.

*

Un souvenir, un fragment de sa mémoire. Un rêve récurrent de ce qu'il appelait «l'ancien monde» avant la technologie de masse, les lois plus strictes qu'avant et l'augmentation de l'insécurité, un rêve de liberté. Le même jeune garçon aux cheveux bruns devant lui. Ils étaient jeunes, dans son rêve. Leurs deux pieds dans l'eau au bord d'une rivière dont le courant était modéré.

« - Hey, ❏❏❏❏❏..min, le temps e❏❏ beau aujourd'❏❏❏, non ?

- ❏❏..rête ! Tu vois bien que c'❏❏..t bien le genre de phrases dans les fil❏❏❏ bien ennuyeux ! »

Il se souvient la sensation de l'eau froide sur ses jambes lorsque le garçon en question lui lança de l'eau dessus. Il se souvient comment son ventre s'était tordu de douleur à force de rire aux côtés de son ami d'enfance. Il en avait oublié son prénom et cherchait désespérément à le revoir. Peut-être que celui-ci l'avait abandonné après la mise en place de leur nouvelle société.

« - Dis, Seu❏❏❏❏❏. Tu me promets qu'on sera toujours amis ? À jamais ? »

Le dénommé lui fit un de ses plus beaux sourires.

« - ❏❏..omis ! »

*

Il fut réveillé par une alarme incendie, sûrement un criminel de rue qui n'avait pas le moyen de se payer une maison ou un toxicomane. C'était désagréable. Hyunjin peinait à ouvrir les yeux mais se leva malgré tout quand il entendit le verrou de la porte se déverrouiller. Il pouvait enfin sortir. Son horloge holographique affichait 4 heures du matin ainsi qu'une météo modérée.

Il enfila son uniforme, le même pour tout le monde : un costume bleu marine avec des motifs dorés brodés sur les bords du col. Le blason de son université était cousu sur sa poitrine. Par dessous, il portait évidemment une chemise blanche. Enfin, il mit ses bottes à semelles épaisses qui lui arrivaient mi-mollet et une touche de parfum.

Il put enfin sortir de sa chambre.

Dehors, trop de bruits. Des gens qui criaient, des écrans et du verre brisé jonchaient sur le sol. Des corps, des personnes défigurées, sans identité, sans visage, qui n'avaient pas assez de crédits pour se payer des soins. La loi dans leur société était très claire "si vous ne pouvez rien nous apporter, alors mourrez".

Le train à suspension magnétique arriva silencieusement avant d'émettre un bruit strident. L'intérieur du train était bondé, des gens bien habillé, en tailleur comme lui, d'autres étudiants qui se tenaient à carreaux. Mais Hyunjin savait bien qu'aucun être n'est totalement pur. Ils cachaient tous un secret, quelque chose d'honteux sur eux-mêmes. L'homme assis à sa gauche dont la jambe tressautait regardait activement autour de lui.  Consommation de drogue, nota mentalement le blond. Un autre se grattait le dessus de la main au point d'en faire des marques rouges, rouge comme la couleur de sa sclère. Un alcoolique celui-là...

L'épaisse porte en verre de son université s'ouvrit pour laisser apparaître les deux milles élèves qui se pressaient dans les couloirs pour rejoindre leur salle de cours. Encore de la manipulation, pensa Hyunjin, se démener pour aller travailler et travailler jusqu'à en mourir. C'est ça le futur qu'on nous as promis ? Tch.

Il ronchonna tandis qu'il se dirigeait vers son premier cours de la journée. Un cours virtuel, l'école leur fournissait une paire de lunette transparente qui transformait la réalité en metaverse. Certains s'inventent des avatars, d'autres changent la forme de leur visage mais pour le blond, aucune différence. C'était ridicule.

Il se posa sur la chaise en métal, déjà irrité avant même que le cours ne commence. Et quand enfin celui-ci daigna commencer une voix vint l'interpeller.

« - Psss, Psss. Hey, réponds please.

Hyunjin hésita à répondre souhaitant l'ignorer mais son accent coréen était particulièrement fort ce qui attira son attention.

- Quoi ? Fit-il sèchement.

- C'est pas la peine de me prendre en pitié si c'est pour me parler comme ça.

Ils chuchotaient pour ne pas se faire prendre par le robot contrôleur au coin de la salle qui vérifiait si les élèves restaient calmes et punissait s'ils bavardaient. Ils risquaient gros si ils se faisaient prendre.

- Tu sais quoi ? Débrouille-toi. »

Un ange passa, Hyunjin avait retiré ses lunettes pour mieux juger la personne culotté en face de lui. Son coeur rata un battement lorsqu'il constata la ressemblance frappante avec son meilleure ami d'enfance. C'est juste une coïncidence, rien d'autre, les émotions me conduiront à ma perte...

« - J'ai, il se pencha vers Hyunjin, c'était très peu discret, besoin d'aller à l'infirmerie.

- Et tu peux pas y aller seul ? VR414 !

Le robot contrôleur s'activa et dirigea sa caméra sur le blond aux cheveux longs, mais voyant que celui-ci ne poursuivait pas sa requête, il se remit en veille.

- NON ! Chhhht, tais-toi. Hyunjin écoute un peu. »

Le blond arqua un sourcil à l'entente de son prénom. Le jeune garçon aux cheveux bruns ainsi que lui-même se fixèrent bien deux minutes avant que le plus grand ne soupire et ferme ses lunettes à technologie avancée gracieusement, les rangeant dans leur étui.

« - Tu me sauves de 3h et demi d'amphi, je te dois bien ça. »

La marche vers le lieu en question fut longue, Hyunjin ne cessait de lancer des regards de reproche au brun qui baissait la tête et tenait son ventre. Arrivé là-bas, il vomit tout son soul, littéralement. Le blond fut un effort considérable, par pitié, et lui apporta un verre d'eau contenant un comprimé effervescent.

« Alors, monsieur mystère ?

- Sky, déja. Et je vois pas pourquoi je devrais te livrer mes secrets alors qu'on ne se connait pas, Sky arqua un sourcil.

“ Mon esprit me crie le contraire, j'aimerais tout te dire. De ma naissance à la façon dont j'aimerais mourir... „

- Parce que j'ai, dans toute ma générosité, daigné t'accompagner ici au dépit de mes heures de cours. Même si bon, c'est pas une grosse perte.

- J'ai juste le mal du nouveau monde, ça va passer, bientôt ça disparaîtra.

“ Et avec tous mes précieux souvenirs de toi... „

- Tu es pas d'ici, avoue. Ton accent coréen est trop fort. T'a vécu clandestinement, un truc du genre ? Il prit un air dramatique, et le même ton que celui qu'on prenait pour raconter des vieilles histoires qui à dormir debout inventée à la dernière minute, serais-tu un enfant non déclaré ? Un homme de joie ? Un dealer ? Un chasseur de prime ? »

Sky asséna un coup de coude à son interlocuteur, un rire perça la barrière de ses lèvres.

« - Tu le répètes à personne. Son ton abritait une certaine crainte.

- Accouche.

- Je suis tombé dans le coma et je me suis réveillé, il y a 2 ans. J'ai pris la première école qu'on m'a proposé même si je savais que je n'allais pas m'en sortir. Mais j'ai espoir, j'ai un projet.

“ Et toi, Hwang Hyunjin, as-tu un rêve ? „

- Ce projet, ce serait pas la poudre sur ton col ? Sorti amèrement le plus grand.

- Quoi ?

- Rien d’important, le blond afficha un sourire sarcastique. »

Ils simpatisèrent pendant un moment, Hyunjin qui paraissait si froid d'habitude souriait pleinement. Pour une fois.
En se couchant ce soir-là, il veilla plus tard que d'habitude.
La nuit restait la période préférée du blond. Le moment où le réel et l'irréel se mélangent. Rien n'est réellement défini. Les courbes d'un être deviennent les courbes d'une chose. On dit que la nuit porte conseil parce qu'elle amène à réfléchir. Elle ôte des vies, et en amène parfois. Elle fait peur à certain et émerveille d'autres. C'est à la fois le début et la fin.

Sur son bureau reposait toujours son projet, celui-ci auquel il avait dédié sa vie, son petit jardin secret. Des fois, il parlait à sa création, même s'il savait qu'il ne s'agissait que de simples rouages. Il y avait un sentiment de réconfort à se dire que peut-être, la personne à l'effigie de sa création l'écoutait. Son meilleur ami...

Mais ce soir, exceptionnellement, il n'y toucherait pas. Il ne l'ameliorerait pas. Il n'y ajoutera aucun programme. Parce que quelqu'un d'autre de plus intéressant occupait ses pensées : Sky.