5 : (not) thoughtful
LIVIA
— J'ai couché avec Jade Carlier.
À ma droite, Édouard me lance un drôle de regard.
— Qui ?
— Jade, un type de mon ancien lycée. On était dans la même classe en seconde, et aussi en allemand en première.
Je ne sais pas pourquoi je me suis sentie obligée de donner exactement la même description que celle que Jade m'a lui-même servie la semaine dernière. Disons que je ne suis pas d'humeur très créative, en ce moment.
— Ah, un homme, fait Édouard d'un air dégoûté.
Je retiens un rire. L'une des choses que j'aime le plus chez-lui est que malgré son homosexualité sûre et certaine, il ne perde jamais le sens des réalités.
— Alors tu ne vas pas te remettre avec Cyrielle, dit-il finalement d'un air distrait.
Je détourne le regard sur la vue. L'appartement d'Édouard possède un balcon cent fois mieux orienté que celui de chez-moi, ce que j'ai toujours trouvé injuste. J'ai essayé une fois de parier notre appart' comme dans F.R.I.E.N.D.S en espérant récupérer le sien, mais il a refusé. Malheureusement, il est loin d'être con.
— J'en sais rien.
Le brun arque un sourcil.
— Si tu couches avec d'autres personnes, j'imagine que ça signifie que c'est définitif.
J'ouvre la bouche pour répondre puis la referme, ne sachant pas quoi dire. Je n'ai pas la force d'expliquer que si je me perds là-dedans, ça n'a aucun rapport avec les sentiments que je porte à Cyrielle.
Il ne comprendrait pas, de toute façon.
— Et alors, avec l'autre type, là... commence-t-il. C'était bien ?
Je continue de regarder au loin, mes joues chauffant bêtement.
La vérité c'est que c'était plus que bien, même. En général, ce genre de scénarios se finissent rarement de cette façon : il faut souvent du temps, de la communication et parfois des sentiments pour que cela fonctionne au lit avec quelqu'un. Aussi, je ne fonde jamais beaucoup d'espoir en les personnes avec qui je sais que l'acte ne va très sûrement jamais se réitérer.
Mais cette fois, j'ai été surprise. Je ne sais pas si c'est parce que je le connaissais d'avant, parce qu'il est sacrément beau ou parce qu'on a fait ça dans une salle de classe et que mine de rien ça reste un fantasme assez sympa mais le fait est que j'ai sincèrement apprécié le moment.
— Très bien.
— Et après, ce n'était pas gênant ?
Je secoue la tête.
— Non. On s'est rhabillés tranquillement, il m'a aidée à zipper ma robe et on a fumé une dernière cigarette avant qu'il ne m'annonce devoir rentrer chez-lui. On s'est souri, il m'a remerciée pour la soirée et il est parti.
Édouard arque un sourcil, l'air choqué.
— Waouh, il couche le premier soir et en plus il était mature et respectueux ? Sérieusement, tu peux me le présenter ?
Je m'esclaffe.
— Sympa pour ton mec.
Mon ami lève les deux mains en l'air d'un air innocent en répliquant « pardon, pardon ». Je réfléchis quelques secondes, puis ajoute :
— Ce qui est drôle c'est qu'il se souvenait de moi. Il a dit qu'il m'avait cherchée sur LinkedIn avant de venir.
— OK, je retire : c'est un psychopathe.
— Mais non, dis-je en roulant des yeux. Il a dû faire ça pour tous les noms dont il se rappelait. C'est drôle, je trouve.
— Ou alors il l'a fait juste pour toi. Ça sent le vieux crush du lycée qui est remonté.
Je secoue la tête.
— Non, il était en couple au l...
Je m'interromps en réalisant ce que je viens de dire. Nous n'en avons pas parlé hier soir mais maintenant que je le dis, je réalise que Jade était en couple avec Jeanne au lycée. Ils se sont mis ensemble en début de première il me semble. C'était le couple star du lycée ; en même temps, on ne pouvait louper ni l'un ni l'autre.
J'ai toujours eu du mal à cerner Jeanne. Elle a ce genre d'aura d'intelligence et de positivité qui éblouit. C'était le cliché sur pattes de fille qui s'implique pour tout et partout, toujours à vouloir aider, sur le devant de la scène un peu malgré elle. Pour autant, je n'ai jamais cessé de penser qu'elle était complexe et que, peut-être, elle n'était pas aussi simple et douce que son sourire éclatant le suggérait.
— Attends, dis-je en sortant mon téléphone.
Je retrouve le profil Instagram de Jade très rapidement et découvre que nous nous suivions mutuellement, sûrement depuis l'époque où nous étions camarades. Je tique en réalisant que je n'ai pourtant jamais vu une seule story ou publication de sa part depuis des années.
Pour autant, son compte a tout de même quelques photos récentes. Je retrouve en seulement un coup d'œil des tas de publications où apparaît Jeanne, que ce soit lors de voyages, de soirées entre amis ou juste de photos de couple. La dernière date d'il y a environ quatre mois.
— Waouh, lâche Édouard. S'ils étaient ensemble depuis le lycée, ça veut dire que ça faisait bien...
— Six ans ?
Édouard écarquille les yeux.
— Eh bah dis donc.
Je ne réponds pas, les lèvres serrées. C'est long, six ans. Terriblement long. J'en sais quelque chose.
— Vous avez un point commun de plus, alors, finit par rétorquer mon très cher voisin en s'adossant à la balustrade.
Je l'imite en demandant :
— Comment ça ?
Le brun se tourne alors vers moi, l'air nonchalant, puis répond doucement :
— Vous aviez tous les deux besoin d'oublier votre ex.
∞
Livia : Hello, c'était sympa l'autre soir. Ça m'a fait plaisir de te revoir.
Je relis mon message, hésite un instant... puis le supprime.
Sérieusement, pour qui je me prends ? « C'était sympa » ? Qui dit « c'était sympa » après avoir couché sauvagement avec un type dans une salle de classe ? À ce niveau-là, ce n'est plus une insulte – c'est carrément une gifle.
Livia : Coucou Jade, je tenais à t'envoyer un message pour te remercier pour
Je ne prends même pas la peine de le terminer avant de tout effacer. Le remercier pour quoi, au juste ? Moi aussi j'ai fait mon taf' et je ne crois pas qu'il ait ressenti le besoin de me dire merci.
Frustrée, je jette mon téléphone à l'autre bout de mon lit en poussant un soupir consterné. De toute façon, lui envoyer un message ne rime à rien.
Je n'espère rien de lui. C'était un coup d'un soir, l'histoire d'une seule fois. Nous n'avons pas eu besoin d'en discuter pour le décider : c'était évident, aussi bien pour lui que pour moi. Mais alors pourquoi est-ce que je n'arrête pas d'y penser depuis ?
Je suis tirée de mes pensées par Cyrielle, qui rentre doucement dans ma chambre. Elle tient son portable dans une main et un mug rempli de thé de l'autre, comme souvent le soir.
— Ma mère a appelé pour ton anniversaire.
J'ouvre la bouche, puis la referme. Quand je la rouvre, je rétorque simplement :
— C'est dans un mois.
— Je sais... Je n'ai pas eu le cœur de lui dire. Elle a appelé déjà, et pour me parler de toi en plus. C'est bien.
J'acquiesce sans répondre, ne voulant pas enfoncer le couteau dans la plaie.
Cyrielle a fait son coming-out à sa mère devant moi il y a environ un an et demi. Elle ne m'avait pas prévenue et je pensais avoir à me faire passer simplement pour sa meilleure amie comme nous le faisions depuis toujours, mais elle m'a prise de court. À peine entrée dans la maison, elle m'a prise par la main et emmenée dans le salon où se trouvait sa mère, assise dans le canapé en train de regarder Maison à vendre. Cyrielle a bloqué sa respiration, puis dit d'un seul coup :
— Maman, je sors avec Livia.
Je n'avais jamais entendu un silence aussi éloquent de toute ma vie.
Puis, sa mère s'est mise à pleurer. Elle a pleuré encore et encore, sans discontinuer, pendant tellement longtemps que Cyrielle a finit par dire tout bas « je te laisse le temps de digérer » avant de m'emmener dans sa chambre. C'est l'un des moments les plus terribles que nous ayons partagé.
— Viens là, dis-je à voix haute en tapotant la place à côté de moi.
Cyrielle me rejoint sur le lit et dépose sa tasse de thé sur la table de chevet. Ensuite, je la prends dans mes bras et la serre fort, assez fort pour lui dire silencieusement que je suis là et que je serais toujours là pour elle.
— J'aimerais que tout soit comme avant, murmure-t-elle dans mon oreille, des sanglots dans la voix.
— Je sais.
Je ne peux rien dire d'autre. Elle sait déjà que ce ne sera plus jamais le cas.
— Je t'aime, articule-t-elle alors dans mon oreille.
Je fixe le mur derrière son épaule, les larmes me montant aussi aux yeux. Je ne sais pas si elle dit ça amicalement ou non, et je ne sais même pas laquelle de ces deux propositions je préfère. Tout ce que je sais, c'est que nous avons essayé d'être ensemble et que ça n'a pas marché.
Bon sang, il faut que j'envoie un message à Jade.
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