en colère
Un lézard bronzait au soleil, sur le béton brûlant face au lycée. Ses écailles vertes tiraient joliment vers le bleu, et de loin, on aurait presque pu croire à une peinture. Cette bestiole devait avoir la belle vie. Vincent en était un peu jaloux. Il aurait préféré lézarder et fondre sous la chaleur plutôt que d'affronter cette journée. La patience lui avait posé un lapin ce matin. Il savait que le moindre mot pourrait le brusquer et que ses poings pourraient abîmer le premier joli minois passé.
Tiens, des boucles brunes passèrent en coup de vent devant lui, avant de se faufiler dans l'enceinte du lycée. Mais au lieu de jouer au caïd, le lycéen, bien que perturbé depuis vendredi soir, se leva, attrapa son sac par la lanière et retourna en cours.
Honnêtement, il ne se souvenait que de très peu de chose de sa soirée, mais comme le karma avait décidé de s'abattre sur lui, toute la nuit passée avec Rémi restait gravée dans son esprit. "Putain.. j'aurais préféré oublier, songea Vincent en traversant le couloir comme si la mort l'attendait près de son casier." Pourtant les images tournaient à la faena ; la mâchoire contractée du rital, sa peau brûlante, l'odeur de leurs sueurs se mélangeant maladroitement à celle du plaisir. Vincent claqua violemment la porte de son casier. Un bruit métallique résonna, fit grincer les dents du garçon qui secoua la tête. Il se retrouva bien bête en découvrant le loquet tordu. " Fais chier, siffla Vincent avant d'abandonner son casier ouvert, le téléphone collé à l'oreille.
- Maxie réponds putain, t'es où ? Franchement tu casses les couilles.
Le bip du répondeur avait déjà sonné une dizaine de fois depuis ce matin, mais l'adolescent ne comptait plus depuis deux jours.
- Tu m'saoules, je m'inquiète.
Puis il raccrocha.
Vincent avait beau ponctuer chacune de ses phrases avec sa douce colère, il flippait. Maxence était introuvable depuis leur séparation à la fête. Et plutôt que de le chercher au réveil comme n'importe quel meilleur ami l'aurait fait, Vincent avait préféré filé en douce, vite.
Pardon ? Lâche de rien du tout ! Il s'en foutait du gay refoulé pseudo masochiste et de ses abrutis de potes qui.. mais bien sur ; Martin.
Vincent tira brusquement ses lanières et accéléra le pas. Si ce petit filou croyait pouvoir lui échapper, il se trompait. Personne n'échappait à Vincent.
- Cannavo ! Bouge plus !
Le jeune chilien se retourna intrigué, un sourire forcé plaqué sur le visage.
- Vincent.. qu'est ce que je peux faire pour toi ?
Son ton condescendant piqua l'ego du guitariste dont la circulation sanguine accéléra brusquement.
- Il est ou Max ? demanda-t-il sans cacher son agacement. Qu'est ce que t'as fait de lui espèce de..-
- Il va bien, le coupa Martin en levant la main d'un air las. Et tu devrais lui laisser un peu d'air.
- Tu te fous de moi ? Il m'a pas répondu de tout le putain de week-end et tu veux me faire croire que c'est de ma faute ?
- C'est pas moi qui l'ai dit.
- Fils de pu..-
Vincent attrapa son col d'un geste brusque et le plaqua violemment contre le mur. Le plus grand laissa échapper un petit couinement. Ses sourcils se haussèrent et il fixa d'un air ébranlé le regard noir de son agresseur. Vincent avait clairement un problème. Et il ne se contrôlait plus. Ses cheveux tombaient sur son front et cachaient la moitié de ses paupières bleues, colorées par ses veines gonflées, même les plus fines. Ses mains tremblaient tellement ses poings serraient le tissu, les jointures blanches et le cœur en pause. Il finit par lever le bras, prêt à abattre son poing sur le nez pâle de sa victime, mais avant même de s'engager dans un tel acte, une poigne ferme le retint. Cette force le retourna brusquement pour le plaquer à son tour contre les casiers et le maintenir hors de portée de Martin.
- Calme toi, ordonna Rémi alors que Vincent tentait de le repousser.
Merde, il avait bien grandit depuis la seconde. Ou alors c'était tout simplement lui qui n'arrivait plus à le repousser depuis quelques temps.
- Vincent.
Évidement il n'écoutait pas. Il essayait de le pousser en vain. Rémi le plaqua à nouveau, pensant pouvoir secouer un peu son esprit et le réveiller. Mais comme Vincent ne semblait pas décidé à coopérer, il agrippa son bras et le tordit brusquement. A présent pris entre le mur de métal et Rémi, l'avant bras coincé dans son dos et emprisonné, le délinquant ne pouvait plus bouger.
- Lâche moi fils de pute.
- Parle bien putain, et arrête de gesticuler. Tu vas te faire mal, murmura Rémi en cherchant son regard.
Une fois qu'il l'eût trouvé, il reprit.
- Martin a rien fait.
- C'est ça ouais, cracha Vincent. Mon meilleur ami me parle plus. Vous lui avez forcément fait quelque chose.
- Arrêtes ta paranoïa. Maxence est chez le directeur avec sa mère. Ils ont décidé de porter plainte.
Face à cet aveu, Vincent se figea. Il leva les yeux vers son interlocuteur comme pour être sûr qu'aucune lueur mensongère n'habitait ses pupilles. Quand il n'y trouva qu'une profonde sincérité, sa gorge se noua.
*
- Madame Laperouse, vous devez bien comprendre que cet établissement ne souhaite que le bien être de ses élèves. Votre fils, en faisant parti, mérite également une scolarité florissante. Mais il est évident qu'aux vues de sa situation, cette tâche nous est plus difficile.
Derrière son immense bureau en bois brute, le directeur incarnait une image stable et distante d'autorité. Ses larges épaules, son regard dur sur un visage rasé de près, il semblait impénétrable. Pourtant, il n'y avait aucune condescendance en lui. Il ne dévisageait pas d'un air arrogant la jeune mère en face de lui. Il espérait simplement qu'elle comprenne. Aucune mauvaise intention ne l'habitait, mais de la bienveillance pour son fils, elle et la fatigue qu'elle cachait sous son anti-cerne et son blush.
- Si le bien être de Maxence vous importait tant, vous ne l'empêcheriez pas d'assister à un cours sous prétexte qu'il se présente de manière inappropriée. Et certains propos de vos professeurs sont tout bonnement inacceptables.
Bien sûr qu'elle défendait son enfant. Une main protectrice sur son épaule frêle et tremblante, elle ne comptait pas le lâcher, même si le monde entier s'engageait à lui arracher.
- Écoutez madame..-
- Non, le coupa-t-elle. Je crains qu'aucun de vos arguments ne puisse me convaincre, moi ou la justice.
- Je comprends votre colère Madame Laperouse. Mais est ce réellement la bonne solution ? Nous protégeons votre fils au sein de ces murs. Certains de nos élèves ont des comportements parfois hors limites, et pourraient s'attaquer à ceux qui leurs en donnent l'occasion.
Maxence se fit petit, minuscule comme un hamster qui se faufilerait dans sa botte de foin. Jamais il n'avait parlé de ses autres agresseurs à sa mère. Il s'agissait toujours uniquement des surveillants et des professeurs mais jamais de ses autres camarades de classes. Après tout, Rémi ne cherchaient qu'à attirer l'attention.
Le rire nerveux de sa mère fit revenir Maxence de ses pensées.
- Alors c'est la faute de mon fils si vous n'êtes pas capable de punir les comportements qui le méritent ?
- Certains sont de très bons éléments et il est inenvisageable de..-
A nouveau elle le coupa en levant la main face à lui.
- Maxence ? Est ce que tu es harcelé par des élèves ?
Sa voix était douce, chaleureuse.. elle ne voulait pas l'effrayer, le forcer ou quoi que ce soit. Mais il était nécessaire qu'il parle.
Pourtant il en était incapable. Il n'osait même pas relever les yeux. Balancer Rémi et ses amis alors qu'ils s'étaient tous excusé ce matin était tout bonnement impossible pour le garçon. Des paillettes s'accumulaient dans le coin de ses paupières tandis que les mots s'écrasaient dans sa gorge.
Après un temps, il finit par hocher la tête pour approuver les dires de sa mère.
- Et vous ne faites rien ?! S'exclama la jeune femme dont le rythme cardiaque avait brusquement augmenté.
Face à elle, le directeur soupira. Elle était effrayée pour sa progéniture et scandalisée par l'attitude du seul responsable dans cette pièce. Cet homme ne pensait pas une seule seconde au bien être de ses élèves, mais uniquement à son profit et à sa réputation.
- Vous le saviez donc. C'est décidé, je porte plainte et aucune autre excuse ne sera acceptée.
- Sachez bien jeune homme que les preuves sont faibles, précisa le directeur en s'adressant cette fois au lycéen démuni.
Voyant sa mère se lever, les sourcils froncés, les lèvres pincées. et entraîner Maxence avec elle, il les retint :
-Vous vous engagez dans une affaire perdue d'avance.
Il croisa les doigts sur son bureau et pencha la tête sur le côté. Cette air de boss imbattable fit déglutir Maxence et grincer des dents sa mère. Lentement, articulant chaque mots, il ajouta d'une voix imposante:
- Il vous faudra dénoncer vos camarades pour avoir ne serait-ce qu'une infime chance de vous en sortir.
*
- J'ai froid à l'intérieur, râla encore Vincent que Rémi avait fini par lâcher.
Il avait dû attendre que ce dernier s'épuise et arrête de lui donner des coups de pieds aussi douloureux qu'utiles; à savoir pas du tout. Il ignora son énième plainte et leva les yeux au ciel, las.
Soudain, Le battant se mit à battre fort contre la cloche. Les vibrations fusaient dans le couloir déjà vide et faisaient frémir les oreilles de ceux qui se trouvait malheureusement aux alentours. Ce fut le cas de Vincent qui boucha ses oreilles avec une grimace.
- Exagère pas, siffla Rémi. J'aime pas les gens qui en font trop.
- Vraiment ? Railla Vincent en haussant un sourcils. A nous deux, on doit être les plus dramatiques du lycée. Puis je te rappelle que j'ai les oreilles sensibles. J'en ai besoin pour la musique.
- Pour ça, t'as plutôt besoin de ta main, ricana le bouclé en mimant une petite branlette.
Un long silence lui répondit. Maintenant que tout le monde était en cours, le long couloir entre les salles ressemblait à une bulle insonorisée. Vincent comme Martin dévisageait Rémi, les yeux ahuris et la bouche aussi ronde que celle d'un poisson hors de l'eau.
- Fils de..
- Il a pas tort, conclut Martin en haussant les épaules. J'ai vu comment tu matais ma guitare l'autre soir.
-Mais ça va pas ?! s'indigna Vincent avant que Martin ne coupe court à la discussion.
Il se détacha du mur gris, aussi inquiet que soulagé. Maxence était de l'autre côté.
Quelle ne fut pas la surprise de Vincent lorsqu'il vit Martin s'approcher, glisser ses mains sur les joues de son meilleur ami et poser délicatement ses lèvres sur les siennes, avec autant d'assurance que de simplicité. C'était presque.. normal.
"Bordel, ça à rien de normal, cracha intérIeurement le petit brun."
"Ah" fut pourtant la seule chose qui put s'échapper de la bouche du guitariste tant la situation le dépassait. En moins d'une semaine, toute sa vie s'était ébranlée et maintenant, elle venait d'être retournée et plaquée contre un plan de travail. Le destin ne pouvait pas être l'entier responsable. Un frisson parcouru son échine comme la sensation étrangement dérangeante que Rémi était derrière..
Cependant, le bouclé semblait se foutre royalement de lui et de ses états d'âme puisqu'il s'amusait à taquiner le nouveau.. couple ?
- ouhouuuu !
Martin répondit à la danse lubrique de sourcils du rital par son majeur avant de retourner son attention sur Maxence. D'ailleurs, ses yeux brillaient à présent plus que ses paupières et il osa à peine faire un signe à Vincent. La peur d'énerver son meilleur ami était toujours bien présente au creux de sa poitrine et il préféra cacher son visage rose contre le torse de Martin.
- Tu lui casses pas la gueule ?
- Vincent.. voyons. Où mène cette provocation ? Je saoulais Max uniquement parce que ça m'excite quand tu t'énerves.
- Ferme la, grogna le concerné dont les joues s'étaient enflammées. Qu'est ce que tu comptes faire pour Maxie et sa plainte? C'est quand même un peu ta faute s'il en est là.
- J'vais me dénoncer évidemment ! S'exclama Rémi avec un sourire pétillant, et un regard qui pleurait la sincérité. Si j'peux enculer ce con de principal laxiste tout en aidant le gars d'mon pote, c'est carrément le pied !
Cette déclaration laissa Vincent pantois. Ses yeux cherchaient le moindre doutes, la moindre lueur de mensonge dans ses pupilles mais elles scintillaient trop et risqueraient de l'éblouir. Peut-être qu'il.. que.. c'était dur à dire mais.. Peut-être que Rémi avait changé et méritait à présent une chance.
Un rire amer résonna dans sa tête. Certes son pire ennemi était prêt à rendre service en dépit des conséquences sur sa scolarité, et certes Vincent avait encore la marque de ses ongles dans le creux de son dos mais..
Les yeux dans le vide, le souffle court et le cœur au bord des lèvres, Vincent venait de perdre le fil de sa propre pensée, attaqué de toutes parts par des images sulfureuses qui auraient pu le faire gémir si Rémi n'avait pas claqué ses doigts devant ses pupilles vitreuses.
- T'es parti où Alien ?
- Nul part, bredouilla rapidement Vincent en baissant les yeux pour cacher son embarras.
Mais son cœur battait si fort contre sa poitrine que Rémi l'entendait sûrement. Il leva alors sa main et lui tendit, effaçant brusquement toute ambiguïté volatile. Ils allaient faire la paix et tout deux oublieraient le moment de pur plaisir bestial et foutrement sentimental qu'ils avaient partagé.
Seulement, Rémi secoua négativement la tête.
- Carrément pas ! s'exclama-t-il avant de se pencher vers lui, un sourire vicieux, qui dévoilait ses canines blanches, sur ses lèvres bien trop tentantes. J'veux encore sentir ta haine.
"J'ai chaud."
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