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Bonne lecture !
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Tandis que nous montons les marches de l'escalier qui nous séparent de la salle de bal, l'excitation monte chez mes amies:
« Tu penses qu'ils seront là ? Commence la première.
- Oui, j'en suis certaine, leur mère est invitée, ils seront sûrement là eux aussi, affirme la seconde. N'est-ce pas vrai ? Continue-t-elle en s'adressant à moi.
Je réponds vaguement sans trop d'enthousiasme, mais regrette aussitôt, car je ne voudrais pas paraître rabat-joie. Elles tenaient tellement à ce que je vienne, je ne voudrais pas les priver de ce plaisir. Seulement, mon esprit est ailleurs, et mon appréhension ne cesse d'augmenter.
A peine entrée dans la salle, je me surprends à le chercher du regard, je m'attends à voir son visage, à chaque homme qui se retourne, à chaque homme qui passe près de moi. La soirée n'a pas encore commencé que je regrette déjà d'être venue. Mes amies retrouvent leurs connaissances et je décline leur invitation lorsqu'elles me proposent de les rejoindre. Je les regarde traverser la salle encore peu remplie de monde pour rejoindre les tables réparties de part et d'autre de la sortie, au fond de la salle. Je ressens le besoin de prendre l'air et il ne me faut que quelques secondes pour me repérer dans cette salle. Je l'ai pourtant déjà fréquentée mais . Je rejoins le balcon de gauche, pour me trouver au plus près du piano qui attend que quelqu'un vienne l'utiliser.
Je passe d'un pas rapide devant l'instrument, disposé dans le coin, et je l'imagine -mom musicien- installé sur le siège encore vide, s'apprêtant à éblouir son public comme il en a l'habitude. Avant d'entrer dans le balcon, je me retourne un instant et fixe de nouveau le piano quelques secondes. J'entre alors et la brise de ce soir d'été frôle ma peau, me faisant légèrement frissonner. J'inspire et savoure l'air marin tandis que je m'approche à pas lents du rebord du balcon, jusqu'au milieu du demi-cercle de pierre qui le constitue. Je me penche et pose mes coudes sur le rebord, et le contact de ma peau nue avec la légère fraîcheur de la pierre m'apaise. Je lève les yeux vers le ciel et constate que les nombreuses étoiles s'y trouvent de nouveau, comme l'été dernier, toujours aussi scintillantes. Seulement, les contempler ne me fait plus le même effet que ce soir-là.
Je me rappelle de ma main dans la sienne, de ma tête posée contre son épaule, lui et moi admirant le paysage, ignorant la foule qui s'amuse à l'intérieur. Ma gorge se noue un peu à toutes ces pensées. Je savais que je n'étais pas prête à revenir ici, là où le fantôme de son souvenir est le plus présent.
Des notes de piano s'élèvent, retentissent à travers la salle, et me parviennent comme un écho jusqu'au balcon où je me trouve. Le rythme saccadé des premières notes me fait frissonner, et il me semble alors réellement me réveiller. La musique se suspend et le temps d'une seconde je retiens mon souffle. Je me retourne alors et il ne me faut que trois pas pour me retrouver à l'intérieur. La musique reprend les premières notes de manière plus douce.
A l'intérieur, personne ne danse, tout le monde écoute, chacun est assis à sa table. Personne ne danse, parce que personne ne sait ni n'ose danser sur cette musique qui vient de si loin, hormis quelques uns bien trop âgés pour pouvoir danser. Alors tout le monde écoute, savourant la mélodie qui semblent les transporter ailleurs. Un ailleurs que la plupart ne connaissent que de nom, un ailleurs d'où je viens et dont je n'ai de souvenirs que l'enfance. Ce morceau, il l'avait appris pour m'impressionner le jour de mon 16 ème anniversaire. C'était celui sur lequel on avait dansé pour la première fois. Lorsque je lui confié que ce morceau venait de mon pays, il a aussitôt demandé à son professeur qu'il lui apprenne. Le jour où il m'a fait cette surprise reste l'un des plus beaux souvenirs que j'ai avec lui.
Je revois notre première rencontre, à l'orée d'un bois où la rivière nous chantait comme une berceuse. Je venais juste d'arriver dans le pays et je n'y connaissais personne. Je me rappelle nos premiers émois, nos premiers sourires, nos premiers éclats de rire. Je revois notre première danse, puis notre première soirée passée dans ce même balcon, sous le ciel et ses étoiles, qui dans notre euphorie semblait nous couvrir de son bienveillant voile.
Des jours et des jours passés dans l'insouciance, celle d'une jeunesse amoureuse, celles des promesses où l'on se pense enfin heureuse, où le temps passe comme une danse. Une si courte période vécue comme une éternité, un cocon que je ne voulais plus jamais quitter. Et son départ soudain, une séparation brutale, une lettre, quelques mots sur du papier, et c'est tout.
S'en suivent les premières larmes, les nuits passées à penser, les journées passées sans déjeuner, à se coucher tôt sans même dîner, et durant lesquelles la solitude jouait de son charme. Quelques mois plus tard, j'ai reçu une nouvelle lettre, ce n'était pas lui, mais une invitation à un bal, le premier depuis longtemps, le premier depuis ce soir-là.
Je tourne ma tête vers la droite, à la recherche du pianiste, et mon cœur rate un battement dès que mes yeux se posent sur lui. Je ne l'aperçois que de dos, mais je le reconnais- je l'avais déjà reconnu avant même de le voir. Les yeux rivés sur lui, je reste un instant immobile. Les battements de mon cœur s'accélèrent, la chaleur me monte au visage et ma gorge se noue. La vague de souvenirs, qui s'étaient répandus dans mon esprit me semblent n'être plus que des rêves lointains.
Cela faisait tellement longtemps qu'il était parti, loin, très loin d'ici, cela faisait tellement longtemps que je ne l'avais pas vu.
Le voilà désormais qui se tient devant moi, derrière ce piano, jouant ce morceau, celui sur lequel on avait dansé pour la première fois. Je voudrais quitter la salle avant qu'il ne finisse mais, mon corps refuse de faire le moindre mouvement. Mon cœur se serre encore plus à l'idée de lui tourner le dos et les yeux fermés, je réalise que la musique s'est arrêtée. Je n'ai toujours pas bougé. J'ai peur de rouvrir mes paupières. Si je veux partir, c'est maintenant ou jamais. S'il se retourne, il sera trop tard pour m'en aller.
J'inspire, expire, ouvre les yeux et mon souffle se coupe lorsque je vois qu'il me regarde lui aussi. Tourné de trois quarts dans ma direction, il semble ignorer les applaudissements qui retentissent dans la salle. Tout autour de moi ne semble être qu'un bruit de fond, comme dans ces romans que ma mère me lisait lorsque j'étais plus jeune. Seulement, ce n'est pas une rencontre. Il n'y a aucune sensation de magie ou de flottement, juste la douleur mêlée au soulagement d'enfin revoir son visage. Le stade de la colère passé depuis bien longtemps déjà, il ne me restait que l'incompréhension.
Personne dans la salle ne nous regarde, tous sont déjà de nouveau absorbés dans leurs discussions, attendant le prochain morceau. Un homme le rejoint et lui chuchote quelques mots en me regardant avant de prendre sa place. Celui-ci entame une nouvelle mélodie, cette fois-ci plus familière pour les autres et certains se lèvent et commencent à danser. L'ambiance nostalgique qui régnait jusque là laisse place à la liesse, mais cette joie collective ne m'atteint pas. Lui se tient là, face à moi, son regard accroché au mien et lorsqu'il me tend sa main, le temps d'un instant, mon esprit cesse de penser.
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