"Le Vieux Marin"
~ par amoursravages ~
(N'hésitez pas à identifier l'auteure dans vos commentaires ♥)
Jimin et Yoongi dansèrent un soir sur le port avec le vieux marin toujours à moitié saoul.
Et un soir, sur le port, Iseul oublia la chaleur de la boisson dans sa poitrine lourde, et dansa pour retrouver la mer aux côtés des deux jeunes qui n'y connaissaient rien, à cet océan qui était sa maison.
Iseul était connu dans toute la petite ville comme le vieux marin du petit port, toujours saoul et largement atteint. Le vieux marin du port qui hurlait à la mort parfois, aux sirènes souvent. À la vie aussi, de temps en temps. Le vieux marin qui ne tenait même plus debout, un déchet sur le port, un voyageur à la retraite que la mer avait recraché sur la berge sale et poussiéreuse. Le vieux marin presque fou qui ne rentrait jamais chez lui.
Iseul, lui, savait que le port était le seul endroit où il était chez lui désormais, au plus près de la vulgaire étendue d'eau à qui il avait offert sa vie sale et affreusement longue. Il était chez lui sur son banc minuscule que plus personne n'approchait, non loin du vieux phare éteint et verrouillé depuis que le gardien avait crevé comme Iseul le ferait aussi, sur le port, sans personne pour accompagner sa dernière traversée.
Il était chez lui sur le port aux mille bateaux de pêche, celui que les touristes laissaient tranquille quand ils ne se perdaient pas en se baladant dans la petite ville. Ils frissonnaient souvent quand ils y passaient, comme si un grand courant d'air était venu pour les y trouver. En vérité, ils n'étaient pas contents de voir des coques à la peinture écaillée, abîmée par le sel et les algues, et des pêcheurs salis, tachés de graisse presque noire et vêtus de grands tabliers toujours trempés. Ces touristes-là ne voulaient pas voir un port habité par des Étrangés comme Iseul, qui n'avaient pour eux plus que la compagnie de l'océan et la chaleur de l'alcool, vivant dans un silence complet depuis que les sirènes et leurs voix immortelles s'étaient faites emporter loin du vieil homme par le courant.
Ils n'étaient peut-être simplement pas amoureux, eux, des mâts rafistolés qui risquaient de s'écrouler sous la force du vent une fois en pleine mer, et de l'odeur des centaines de poissons qu'on laissait tomber des filets dans un grand fracas mouillé après une bonne pêche.
Pour les pêcheurs aussi, Iseul faisait partie du décor désormais. Le vieux marin, on ne lui adressait jamais vraiment la parole. Et surtout on évitait son regard, car on le savait toujours rempli d'eau dansante ; un regard sec pourtant qui les détestait d'exister alors que lui ne le faisait presque plus. Le port serait le même, si Iseul était une statue. L'odeur de la boisson ne couvrirait plus celle de la marée, et ses cris et murmures fous seraient remplacés par ceux du vent contre la grande figurine de métal ou de pierre. Un banc serait libre aussi, si Iseul n'y était pas assis ou allongé pour regarder les étoiles et l'écume quand la nuit tombait et que les nuages n'étaient pas là pour diffuser la lumière de la lune sur les vieux pavés qu'il observait, depuis son banc.
Si Iseul n'était pas là, le port n'aurait plus d'âme et le spectacle plus de spectateur, mais ça, on était bien trop occupé pour s'en douter.
Alors ce soir d'été, comme tous les autres soir d'été depuis de bien trop nombreuses années, Iseul avait bu juste assez pour ne pas crever de froid sur son banc rouillé, mais pas trop, pour pouvoir contrôler ce qu'il rêvait. Il avait appris, maintenant, à ne plus penser qu'à certaines des années qu'il avait perdues et à ne se laisser emporter que par certaines des vagues qui voulaient le balader jusqu'à l'autre bout du monde.
La nuit était tombée et les touristes s'étaient cloîtrés dans leurs hôtels, les amoureux étaient passés main dans la main pour rejoindre les draps qu'ils ne pensaient plus qu'à envoyer valser. Les originaux et quelques ivrognes étaient venus puis repartis, sans même tenter de respirer l'air marin, à polluer le ciel de leurs cris hystériques comme la mer était polluée au pétrole.
Alors Iseul se trouvait seul sur le port qui lui appartenait presque, depuis le temps.
Il n'y avait plus qu'une visite qui l'attendait. Une visite qu'on attend pas, nous, quand elle vient. Celle de ceux qui se sont levés d'un seul coup pour quitter leur appartement dégueulasse, pour s'enfuir en courant, le plus loin possible de la nuit vide, et pour que le sel leur brûle les poumons et leur pique les yeux pleins de grandes larmes. Les larmes qui arrosent les étoiles d'un peu de paix, là où la gravité n'est plus, et où elles ne tombent pas dans un grand fracas.
Ce soir-là, Iseul ne le savait pas, mais sur son port et sous son ciel, il attendait la visite des Étrangés.
Il avait été surpris en entendant des pas s'approcher, accompagnés de respirations saccadées. Il s'était relevé sur son banc glacé, en se demandant qui pouvait bien venir réveiller le port à l'heure où même l'océan fait semblant de dormir pour ne rien troubler.
Il vit alors débarquer deux gosses qui riaient comme s'ils ne s'entendaient pas. Un blond et un brun, tout droit sortis d'une nuit noire à en gerber. Et un regard complice et quelques pas trébuchants plus tard, ils s'étaient retrouvés sur le banc de métal eux aussi, un de chaque côté du vieux marin. Ils semblaient déjà tout ouverts, même s'ils arrivaient à peine après une course poursuite avec le vie qu'ils s'étaient subitement mis en tête de saisir. Ils avaient raison, les Étrangés, de lui courir après. Parce qu'un jour on devient aussi lourd et solitaire qu'une épave, et on ne peut plus que l'attendre. Iseul savait bien, qu'elle venait rarement nous visiter aussi profond.
Et pourtant ce soir, avec les deux garçons qui avaient chacun pris une main abîmée et glacée de l'homme, elle était venu lui rendre visite.
Au début ils n'avaient pas parlé. Ils étaient restés assis et avaient attendu que le marin raconte.
Alors Iseul avait raconté la mer, les vagues et les voyages interminables qu'on détestait autant qu'on regrettait déjà, par anticipation. Il avait raconté les aventures avec son père et sa première visite sur le port. «Tu sais, jsuis ni un scientifique ni un artiste. Jtrouve juste ça impressionnant que ça flotte, un tas de ferraille pareil.» Il avait raconté ses sacrifices pour l'eau salée, et ceux du gardien du phare éteint qui disparaîtraient, bientôt, quand lui ne serait plus sur le port pour s'en souvenir. Il avait raconté les vagues qui crachaient toute la force inutile de l'eau, et il avait raconté les rochers. Les pierres qui arrachent les coques de bateaux, celles sur lesquelles on s'assoit pour regarder le soleil orange basculer de l'autre côté du monde, celles que les gosses collectionnent, qu'ils cherchent au milieu des plages en s'exclamant, qu'ils laissent tomber près de son banc. Celles qui flottent, même si elles sont peu nombreuses, et qui coulent, et qui ne ressemblent à rien jusqu'à ce qu'on les plonge dans l'eau. Celles qu'on jette rageusement les unes sur les autres, et celles qu'on tient presque religieusement, fort contre sa poitrine, pour remercier son cœur de n'être pas devenu aussi froid et dur que le pauvre caillou.
Il avait raconté les sirènes, aussi. Celles que les marins prétendaient rencontrer, parfois, quand les femmes leur manquaient. Celles qui chantaient à l'homme, tandis que l'homme chantait à la mer, sur son port, du haut de son phare ou à l'abri de son navire.
Il avait raconté les poète, les explorateurs, ceux qui étaient toujours dans la lune. Ils auraient certainement mieux parlé qu'Iseul, eux étaient chauds et vibrants sans une goutte d'alcool dans le sang. Ils auraient mieux parlé, mais les deux garçons n'auraient certainement pas mieux compris.
Iseul avait raconté la jeunesse. Celle qu'il avait consommée, et celle dont il n'avait que rêvé. Celle qu'ils retrouvaient tous les trois ce soir, à trois âges différents sous la protection de la plus vieille de tous ; de la mer bleue et noire qui les surveillait de loin. La jeunesse que les Étrangés vivaient le mieux. Rarement pourtant, souvent moins d'un jour par an.
Iseul parla des saisons qui avaient défilé les unes après les autres, qui s'étaient bousculées souvent, sur le port et sur le large. Des algues qui allaient et venaient, qui comme elles s'emmêlaient pour tisser une toile de vie. La vie qu'on brodait à l'aveugle pour la voir enfin le jour où on quittait la jeunesse et l'entre-deux. La vie qu'on trouvait bien moche, souvent, parce qu'on avait gaspillé le fil et parce qu'on avait perdu l'aiguille. Mais on devait s'en contenter, parce que des membres lourds et engourdis ne permettraient plus de faire quelque chose de mieux.
Iseul avait parlé au blond et au brun du port qui vivait, qui respirait et se gonflait de vie quand on prenait le temps de lui en accorder un peu. Et les garçons avaient écouté, bu ses paroles qu'ils savaient loin d'être sages pourtant.
Ils l'avaient écouté comme s'il crachait toutes les vérités du monde après les avoir récoltées au long de voyages laborieux. Ils l'avaient regardé pleurer en sortant les morceaux de statuette qu'il avait cassée en trébuchant un soir où il avait bu assez pour oublier la sculpture de sirène qui crevait de chaud dans sa poche et qui lui chantait la mélodie du lointain qu'il ne retrouverait plus.
Les deux garçon l'avaient aidé à se tenir debout pour faire bouger ses articulations comme un automate rouillé et danser comme un Étrangé pour remercier son corps d'avoir un jour navigué. Ils le firent danser avec eux, danser à la mer qui le berçait un peu moins depuis que les années les avaient éloignés. Danser comme des marins qui se revoyaient sur leur bateau, danser comme des fous qui se disent au revoir.
Ils entendirent pour la première fois le rire grave de l'homme qui toute sa vie s'était perdu dans les vagues et dans les vents sans jamais parvenir aux oreilles de danseurs amoureux. Ils racontèrent des histoires eux aussi. Ils mentirent pour impressionner le vieillard, parce qu'ils savaient que le vieillard avait menti lui aussi, pour enfin raconter les voyages qu'il n'avait que rêvés. Ils parlèrent sur le port jusqu'à ce que les reflets de la lune presque rousse sur les reliefs de l'eau salie ne soit la seule lumière autour d'eux.
Ils entendirent presque le chant des sirènes avec le marin qui maintenait qu'elles étaient toujours là la nuit quand on pensait à elles. Ils parlèrent avec Iseul sur le port jusqu'à ce qu'il s'endorme, bercé par les vagues, et par tous ses voyages, et par chacune des gouttes d'eau dont il avait croisé la route, de jour comme de nuit, guidé par les soleil et les étoiles. Ils le laissèrent s'endormir sur son banc, comme tous les autres soirs d'été.
Ils quittèrent alors le vieux marin du port, espérant avec un peu de culpabilité qu'il ne se réveillerait pas le lendemain, qu'il avait fini son long voyage avec une danse d'amour pour l'océan qui avait été son seul ami, son meilleur confident et son plus grand complice.
Ils laissèrent avec un peu de tristesse leur cœur espérer qu'il avait entendu les sirènes une dernière fois et qu'il avait laissé la lune orangée colorer sa peau de craie et veiller sur son sommeil maintenant calme.
Le vieux marin lui-même avait pensé à rejoindre la mer après le départ des deux Étrangés, pour dire adieu à la vie ce soir-là dans un dernier voyage accompagné. Il avait pensé à se jeter à l'eau pour ne pas continuer de collectionner les jours vides et attendre sagement de crever, seul sur son port.
Peut-être qu'il le ferait, le lendemain, après un dernier matin ; après avoir trouvé un dernier rocher pour regarder le soleil basculer. Juste avant que le brun et le blond ne le laissent à nouveau trouver le chemin des oubliés.
Peut-être qu'Iseul devait saisir sa chance de ne pas mourir seul. Les deux Étrangés viendraient récupérer sa statuette, et lui serait simplement froid comme l'eau bleu foncé, bercé pour toujours par les vagues et les vents, emporté par le courant jusque chez les sirènes qui n'oublieraient pas la visite d'un vieux marin crevé qui avait passé sa vie à les chercher.
Les sirènes immortelles se souviendraient sûrement de lui quand tous les Étrangés du monde auraient disparu.
La solution pour ne pas rejoindre le gardien du phare dans l'oubli et l'y plonger un peu plus encore était peut-être trouvée. Peut-être bien que seul l'océan conserverait sa vie jusqu'à la fin, même quand le port et son banc seraient détruit avec la légende brumeuse d'un vieux marin saoul qui ne rentrait jamais chez lui.
.FIN.
***
Quelques mots de l'auteur.e pour conclure sur sa participation à ce recueil ?
- Tu penses à quoi/ à qui quand on te parle de vieillesse ?
En fait, pas à grand chose. Et le peu qui me vient en tête dans un premier temps c'est pas bien joyeux. C'est des gens qu'on considère plus comme des personnes, des êtres humains, simplement parce qu'il sont vieux (ça veut dire quoi ça déjà). Alors bon, oui, c'est un gros problème de penser que les gens sont plus autant des gens passé un certain âge.
Mais je pense aussi à des personnes géniales, certaines qui ont peur de rien (ou du moins qui font bien semblant), d'autres qui rient tout le temps, je pourrais donner mille exemples mais pour faire court, juste des gens aussi variés que des gens pas vieux ?
- 3 mots qui s'associent bien avec « vieillesse » pour toi ? Tu les as utilisés pour écrire ? (Si tu n'as pas 3 mots tant pis).
Sans hésitation oubli malheureusement, souvenir.s du coup aussi (et là c'est le moment où je me rends compte qu'il en reste plus qu'un) vie peut-être ? C'est méga cliché mais je devais en trouver un qui englobe beaucoup trop de choses.
J'ai utilisé oubli (ou un de la famille en tout cas) et souvenirs je sais pas si je l'ai utilisé mais c'est quand même une grand partie du truc alors ça compte quand même un peu. Et vie, c'est tellement facile à placer quand on se prend pour un écrivain, je l'ai sûrement bien mis quelque part !
- Tu arrives à t'imaginer plus vieille.vieux ? Si oui, tu t'aimeras plus vieille.vieux ?
Vieille oui, j'imagine bien à quoi je pourrais ressembler vieille. Autant n'importe quel moment entre maintenant et la vieillesse moins j'en entend parler mieux je me porte, autant la vieillesse elle même c'est pas une idée qui me déplaît. Les quelques vieilles personnes que j'ai rencontrées m'avaient l'air en paix, et je donnerais tout pour la paix alors forcément je pense à ça comme un truc plutôt cool. (est-ce que je suis trop innocente ?)
- Est-ce qu'écrire sur la vieillesse pour toi c'est transmettre un message en particulier ? Si oui, lequel ?
Je crois qu'il y a un peu sur l'oubli justement (non je fais absolument pas une fixette) mais après je voulais pas transformer le truc en discours politique et je pense pas de toute façon que Iseul (ni Yoongi ni Jimin d'ailleurs) auraient aimé les politiques et tout leur baratin :)
- Tu veux ajouter quelque chose ? Libre à toi ! Sinon merci infiniment pour ta participation ♥
Merci à toi pour ce projet que je trouve juste génial, c'était un honneur de pouvoir y participer ! <3
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro