Première partie
Quand je suis retourné au lycée, mon esprit embrumé t'avait déjà relégué aux souvenirs d'un soir. Seule subsistait ta couleur de cheveux si inhabituelle. Je t'ai croisé dans un couloir, disparaissant aussi vite, mais c'était trop tard : je me souvenais. Et je te devais une clope. Nous nous sommes ignorés comme deux inconnus, tendancieux à croire l'autre soir oublié. Mais qui ne l'aurais pas fait ? Nous avions passée la nuit à contempler les ombres mouvantes d'une soirée étrange, sans pour autant y participer.
Pourtant tu es là, dans ce couloir avec tes cheveux roses, et je te dois une cigarette.
Naturellement, je t'observe durant les jours suivants. Ta touffe flamboyante qui s'élève au dessus de la foule m'a rendue la chose agréablement aisée. Ta table est juste devant la mienne dans le réfectoire, et quand tu t'es retourné, je t'ai adressé un sourire furtif. Je ne sais pas si tu l'a vu. J'espère que tu me portes un intérêt réciproque, et ne pas seulement être l'homme qui a accompagné une de tes nuits.
Tu n'es pas dans ma classe, mais un petit brun enfantin et ténébreux oui. Je l'ai regardé aussi, pendant qu'il envoyait des messages sous son bureau. D'ailleurs, le prof lui a confisqué son portable, même si je suppose qu'il te l'a raconté. J'ai vu un autre de tes amis. Très pâle, petit et ses cheveux d'abord blancs, puis verts, et enfin gris le rende aussi coloré que son humour est sombre.
Mes camarades de société (j'ai reçu tellement de coups de poignards dans le dos que le mot « ami » m'est devenu flou et étranger) ne remarquent rien. Je ne pense pas être assez discret pour qu'aucun ne remarque mes coups d'œil incessants vers là où tu es ; mais plutôt qu'ils prêtent peu d'attention à mon être et bien trop à mon apparence.
Nous nous croisions beaucoup dans les couloirs, et je ne saurais dire si, toi ou moi, ne le faisions pas inconsciemment exprès. Ou peut être que je ne t'avais juste jamais remarqué avant. Puis, après un certain temps, je suis passé de l'observation au détail. J'ai regardé tes prunelles noires, profondes, qui disparaissaient quand tu riais, tes fossettes, ton sourire. Tes longues mains, la façon dont tu tenais ton téléphone, le pianotement de tes doigts sur la table et les notes que tu murmurais.
Lentement, j'ai appris à te connaitre sans te parler.
Mais une chose me semblait complètement folle, c'est que tu étais un marginal tranquille. J'ai entendu beaucoup de choses sur vous. Les rumeurs étaient virulentes, et vous étiez fiers de votre différence. Vous la revendiquiez, même.
Tu t'étais déjà trouvé, pendant que je me cherchais encore dans les autres.
Je présumais que tes amis avaient fait le même choix, puisque votre cohésion me fit autant de mal que de bien. Petit à petit, alors que je m'intéressais de plus en plus à votre groupe, votre unité, je relevais tout les défauts évidents et néfastes du mien. Les rumeurs m'insupportaient, j'exécrais les gens qui venaient par intérêt, espérant que m'arracher quelques mots les feraient monter sur le bateau des rois du lycée et je dormais mal.
Tu me frôlas la main au détour d'un couloir. Et je te devais une clope.
Le mardi, je réussis à prétexter un mal de tête violent et à m'échapper de l'étreinte oppressante de mes camarades. Alors je monte sur le toit, le soleil martelant mon crâne usé et mon corps fatigué. Je m'allonge et contemple le ciel recouvert de nuages. Peu après, la porte grince et mon cœur sursaute quand tu t'assois à côté de moi.
Ton ombre se mélange à la mienne. Nous ne parlons pas. Nous n'en avons pas besoin. Tu cherches dans ta poche, en extirpes tes écouteurs et ton portable. Tu me tends le droit et lances une musique. J'étais presque sûr, depuis des semaines, que tu avais remarqué mes regards et mon attitude quand tu t'approchais ; mais je ne m'attendais pas à ce que tu viennes me voir d'une façon aussi frontale.
La musique est belle et douce. Je décale ma tête pour qu'elle repose contre la tienne. Puisque tu as décidé d'être surprenant, je le serais aussi.
« - Comment as-tu su que j'étais là ?
- Intuition masculine ? »
Je ris et tes yeux rétrécissent.
« Je t'ai vu monter dans les escaliers. »
Un cumulonimbus passe et son ombre nous engloutit.
« - Je te dois une clope.
- Vrai.
- J'ai fini mon paquet. Un truc à la cafétéria en compensation ? »
Le nuage part et je plisse les yeux sous l'assaut des rayons du soleil.
« Un jus d'orange fera l'affaire. »
Je souris un peu plus grand. La musique change, et je vois tes doigts tapoter le rythme contre ta cuisse. Je tourne la tête, regarde ton profil baignant dans la lumière. Tes yeux sont un peu trop espacés, ton nez n'est ni fin, ni droit. Tes lèvres ne se sont pas minces. Tes cheveux roses retombent sur ton front dans un semblant de coupe négligée.
Tu ne respectes aucunement les critères de beauté auxquels j'attache trop d'importance.
Et pourtant, je te trouve beau. Je te le dis, tu souris et plonges ton regard dans le mien. Nous restons ainsi jusqu'à ce que la sonnerie nous vrille les tympans.
Le lendemain, je remets une petite bouteille de jus d'orange à Jimin l'enfant ténébreux, en lui demandant de dire que «c'est de la part du cumulonimbus». Il me regarde avec des grands yeux, sourit puis me propose de manger avec eux. A l'instant où il me le demande, deux de mes camarades populaires passent dans le couloir et jettent un regard vers lui. Dans leurs yeux, du dégoût. Dans les miens, de la colère peinée. Il me regarde avec des yeux brillants, j'hoche la tête et tu apparais au bout du couloir. Je salue Jimin et je m'enfuis.
Lâchement.
Je me sens con.
Je crois que je le suis un peu.
J'aurais voulu que midi n'arrive jamais, plongeant dans une faille sismique intemporelle. Mais l'Heure est venue, le Temps a coulé, la Cantine est apparue. Jimin m'attend au bout du couloir. Il me saisi fermement le bras, adresse un clin d'œil à un de nos camarades, JungKook, et me traine jusqu'au réfectoire. Je m'assois à votre table, la tête dans les épaules et le joues en feu. Des vagues de rumeurs commencent à naitre et j'entends le bruit de la cantine s'épaissir au fur et à mesure que je ne bouge pas. Puis tu arrives, t'assois, déposes ton plateau et sous la table, ta main frôle la mienne.
J'ai relevé la tête. En face de moi, le garçon aux cheveux gris me tend la main. Je l'a serre et il dit :
« - Min YoonGi. Salut. »
A sa droite, un grand brun et un sourire rectangulaire :
« TaeHyung, mais appelle moi Tae ! »
Jimin ne se présente pas, il n'en a pas besoin. Il fait un combat de regard avec JungKook, à l'autre bout du réfectoire. Tu souris en me présentant HoSeok, un châtain électriquement souriant. Il me tape dans la paume, et je ris.
Je me présente d'une voix qui ne tremble pas.
Les remarques blessantes enflaient, grossissent, occupent la place, les pensées, les gens, les discussions. Le monde converge autour de notre table. Les gens qui pensent que je me suis assis là par hasard comprennent que non, et les mots se font plus vifs, plus tranchants.
J'entends la table de derrière critiquer tes cheveux. Tu te retournes, les considères un instant et leur tends ton majeur. Ton index trace des cercles sur mon pantalon, au dessus de mon genou. Ça m'apaise, et je pose ma main sur la tienne. Je vois le groupe que je fréquentais me lancer des regards insistants. Tu tapotes ma cuisse, je tourne la tête pour te regarder. Tu m'indiques la table d'un signe du menton et je plonge dans tes yeux.
Je sais que les rumeurs resteront longtemps, puisque mon ancien groupe de camarades les alimenteront de propos infondés. Je ne pourrais désormais plus retourner avec eux, ou me mettre en travail de groupe avec mes anciens compagnons. C'est à ce moment là, dans l'odeur de gras suant de la cantine que je comprends que ça ne m'importe plus. Nous vivons dans un monde gouverné par les artifices et les faux-semblants, et je suis un déserteur. Je ne veux plus faire partie de ce monde, de cette élite malheureuse. Peu m'importe à présent de devenir marginal, si cela rime avec bonheur.
C'est l'une des plus grosses prise de conscience de ma vie.
Alors je salue mon ancienne bande, puis leur adresse un doigt. Et mon sourire est éclatant.
Toi et YoonGi éclatez d'un rire tonitruant et toute la table se mêle à votre euphorie. Puis il lève solennellement son verre, les yeux mouillés :
« Nous accueillons aujourd'hui un nouveau membre, SeokJin. Après de longues semaines d'observation, tu es enfin arrivé à la table de la Communauté. »
Et dire que je m'étais cru discret... Je rougis violemment et tu me murmures :
« Il voit tout, vraiment tout. Ce mec est un petit génie. »
Ton souffle mentholé me caresse l'oreille. YoonGi continue :
« Nous ne sommes pas beaux. Nous ne sommes pas populaires. Et nous sommes des marginaux. Et de cette société basée sur l'apparence, nous en retranchons les plus beaux attraits. Nous sommes en marge ? Et alors ? Qu'on nous foute la paix !»
Il conclut, la main sur le cœur et la voix théâtrale :
« SeokJin, bienvenue dans la Communauté. Portons un toast, mes amis ! »
Nous rions et nos verres s'entrechoquent.
Avant de sortir dans la cour, une fois la journée terminée, tu m'as emmené à l'écart. Tu m'as regardé bien en face, m'as fait relever la tête et a tenu mon dos bien droit. Tu m'as dit :
« SeokJin, tu n'as pas à avoir peur. Ces gens sont cons. »
Je t'ai demandé si tu avais bu le jus d'orange.
Tu as passé ta main dans mes cheveux et j'ai fermé les yeux. Ta voix grave a résonné quand tu as répondu : « Je remercierais le cumulonimbus. »
Puis tu as pris ma main et nous sommes sortis sous le soleil.
Je ne réalise que plus tard, quand je sombre dans mon lit, que j'ai eu exactement l'accueil que j'espérais. Chaleureux, amical et simple. Aucune de mes relations auparavant n'avait été que seulement conviviale. Alors que je gamberge, je comprends ton importance dans ce changement. Je tourne et retourne mon après-midi sous tous les angles. Je ne sais pas si tu as remarqué les regards des autres sur nous, sur un Jimin sautillant, sur HoSeok et TaeHyung éclatant de rire, sur YoonGi et ses écouteurs.
J'ai vu le regard de JungKook sur Jimin. Je ne sais pas ce qu'il se passe entre eux, mais je demanderais à YoonGi. Je suis persuadé qu'il l'a vu aussi.
Les gens se demandaient pourquoi moi, qui était si beau, si populaire trainait avec des gens comme vous. Je pense que tu as entendu, et j'ai serré ta paume un peu plus fort.
Je crois que je me suis trouvé.
Avec vous. Avec toi.
Je ne me cherche plus au travers de façades.
Tu me rejoignais souvent sur le toit pour me partager tes nouvelles découvertes musicales. Quand il pleuvait, nous restions dans la cour, sur un banc à l'écart, que je n'avais jamais remarqué. J'aimais beaucoup tes contacts physiques, et je sais que toi aussi.
J'ai demandé à YoonGi, et lui aussi avait remarqué les coups d'œil des deux J.
Le printemps approchait, et les autres étaient tendus. La chaleur, l'excitation de l'arrivée rapide des vacances, les rumeurs qui ne s'arrêtaient jamais, tout ce capharnaüm de sensations se mélangeait, si bien que des couples se séparaient, des filles pleuraient, des garçons criaient. Et nous étions au milieu, spectateurs immobiles de cette agitation adolescente.
Je faisais encore la une des rumeurs et elles s'étaient même répandues dans d'autres lycées. Avant, j'aurais ris d'être aussi populaire. Maintenant, je trouvais ça complètement con. Et stupide. J'étais fier de la réalisation de mon être. Je dormais beaucoup mieux.
Mais je fus brusquement relégué au second plan quand JungKook arriva près de notre banc d'un pas décidé et le regard rivé sur Jimin qui était à moitié couché sur TaeHyung, YoonGi et HoSeok. Tu discutais d'un groupe avec moi quand Jimin fut relevé par JungKook. Le petit brun avait commencé à ouvrir la bouche pour protester mais JungKook souffla :
« Ta gueule. Ne dis rien. »
Et l'embrassa si langoureusement que nous avons détourné les yeux.
JungKook faisait aussi parti des personnes populaires, bien qu'étant dans un groupe toutefois moins imposant. Son histoire était affreusement mignonne : il avait remarqué Jimin en début d'année. Il ne le décrit pas comme un coup de foudre, mais c'était très similaire. Le petit brun lui avait tout de suite plu, et comme ils prenaient le même bus et que leurs maisons étaient dans la même périphérie, ils avaient sympathisé. Leur amitié se transforma quelque chose de beaucoup plus fort, et JungKook avoua qu'il avait un peu pris peur, au début.
Jimin lui serra la main à ce moment du récit.
Dans ce kaléidoscope de sensations nouvelles et complexes, la vérité le frappa un soir, quand Jimin chanta devant lui. Tu lui avais donné rendez-vous dans un bar où toi, YoonGi et Jimin organisiez un concert. Le grand J. était arrivé dans le plus grand secret, et Jimin ne le vit qu'une fois qu'il eut lancé la première note, son regard balayant la salle. JungKook raconta comment les yeux du petit J. s'étaient écarquillés quand il l'avait reconnu.
Mais l'idylle était encore loin, puisque, en plus d'accepter son homosexualité, JungKook aurait à faire face aux commérages et propos homophobes. Il se décrivit comme « un gamin immature, peureux et superficiel ». Il tomba amoureux, mais n'en parla pas à Jimin. Il n'en dit pas plus, mais nous comprîmes que d'accepter les critiques et faire fit des remarques lui avait pris du temps.
Jusqu'à ce que sa résolution soit prise, et qu'il s'avance, les poings serrés et le cœur défaillant, vers un Jimin qui n'attendait que ça.
Dès lors, il fut accueilli dans la Communauté. YoonGi refit un discours et nous trinquâmes avec des bouteilles d'eau. Les amis de Jimin étaient nos amis. Mais au delà de cette franche camaraderie, vous disposiez de mécanismes de défenses impressionnants et perpétuellement renouvelés. Nous étions liés comme des atomes, dépassant l'acceptation de soi au travers d'épais fils barbelés verbaux.
J'ai compris que vous n'étiez pas indestructibles, que vous aussi redoutiez les mots acides et les phrases piquantes. Dresser des barrières entre nous et l'imbécilité suffisante nous permettait de rester sereins devant cette adversité ignorante.
Honnêtement, j'aurais souhaité que tous mes anciens camarades comprennent ce que je comprenais.
Mais je rêvais, encore.
Et certains restaient encrés dans l'imbécilité irréfléchie.
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