tri - trois
« J'vais finir par m'y faire, j'serai jamais heureux comme papa » - N.O.S, frontières.
J'entre lentement dans ce lieu publique mais qui, pourtant, fait partie de l'ordre privée de chaque citoyen.
Mes jambes me guident à travers les allées devant cette pierre tombale.
"Veronica et Giorgio Horvat.
1947 - 2010."
Je m'assois par terre face à cette tombe qui recueille mes deux grands parents paternels.
Je me suis sentie beaucoup plus proche d'eux, bien qu'ils étaient déjà partis, lorsque j'ai appris que j'avais la même maladie que celle qui les ont emporté au ciel, près de Dieu. Ils étaient croyants. Moi je ne le suis pas. Peut-être que justement, Dieu m'a punie de ne pas croire en lui en me laissant la vie. Il peut se la foutre où je le pense sa vie.
J'ai eu le cancer, comme eux. J'ai survécu, eux n'ont pas eu cette option. J'ai eu ce truc destructeur à cause des centaines de paquets de cigarette, mon grand-père l'a eu à cause de l'amiante qui se trouvait dans l'usine dans laquelle il travaillait. Ma grand mère, elle, a succombé juste avant son mari à son cancer de l'utérus.
Je sors un paquet de cigarette et extirpe de celui ci un petit cylindre blanc toxique. Je gratte le papier avec mon ongle. Est ce que je vais oser ? Est ce que j'en ai vraiment envie?Oui, j'en ai envie. Terriblement envie. Le danger ne me fait pas peur. La mort non plus.
- Six ans. Six ans sans vous. C'est long. Commençais-je dans ma langue natale. Comment c'est ? De mourir à cause de ses propres cellules ? De mourir à cause de son propre corps défectueux ? Ça fait mal ? Ou est ce que la douleur est libératrice ? J'aurai tellement voulu savoir, savoir ce que ça fait réellement. Vous revoir. Je continue en français. Ils ne comprenaient pas le français alors j'utilise cette barrière pour qu'ils n'aient pas honte de moi.
Deda (Papi), je reprends, tu te souviens quand je rigolais lorsque tu avais du mal à respirer ? Quand tu toussais jusqu'à presque cracher tes poumons ? Avant je riais de toi, maintenant je ris de moi. Baka (Mamie), pourquoi ne suis-je pas comme toi ? Je souris, nostalgique. Pourquoi je n'arrive plus à sourire sincèrement ? Pourquoi je vois la vie en noir et blanc ? Pourquoi notre famille est abonnée aux cancers ? Pourquoi ton Dieu de merde ne m'a-t-il pas accordé la paix ? J'aimerais tellement retrouvé un brin de joie de vivre... Comme toi tu avais. Malgré ton cancer, je ne t'ai jamais vu baisser la tête, pleurer. Tu as toujours su garder le sourire et voir le côté positif des gens ou d'une situation. J'aimerai être comme ça. Forte. Invincible. Intouchable.
Je bascule ma tête vers le ciel et respire lentement cette odeur de paix qui plane dans ce cimetière. Moi aussi j'aurai voulu être six pieds sous terre, avec eux. Je reporte mon regard vers la pierre ancrée dans le sol.
- J'aimerai être comme vous, garder le sourire à travers chaque étape. Je ne comprends pas, je suis en vie, j'aimerai être heureuse de me tenir là, devant vous avec un cœur qui bat et de nouveaux poumons. Tout ça m'a rendu apathique*. La vie me lasse. Est-ce possible de rire et de sourire sans pour autant être heureuse ? Parce que c'est ce qui m'arrive. Je souris et ris mais à l'intérieur je ne ressens rien, plus rien je suis vide de tout.
Je baisse cette fois la tête pour cacher mes larmes, honteuse de leur faire de tels aveux. Comme s'ils pouvaient me voir, comme s'ils étaient face à moi à m'écouter alors qu'en réalité je ne les verrais plus jamais. Leurs corps sont sous moi, leurs âmes au dessus de moi.
- Je crois que je fais beaucoup de mal à Angela. Elle me voit chaque jour exister sans vivre. Je crois qu'elle ne vient plus vous voir à cause de moi. Car moi j'ai survécu mais pas vous. Ca lui fait sûrement trop mal de penser que vous êtes morts de cancer. Je ne sais pas, je ne sais plus rien. Je doute de tout. Je réfléchis sans le faire réellement. J'ai beaucoup plus de mal à analyser les émotions des autres qu'avant. Peut-être parce que moi même je ne ressens pas d'émotions.
Je reste cinq minutes à fixer leurs noms ancrés sur la pierre puis me relève péniblement en essuyant mon jean. J'embrasse mon index et mon majeur puis pose ceux-ci sur la tombe.
- Je vous aime à bientôt, dis-je en croate.
Je ne prends même pas la peine d'essuyer mes joues mouillées par le torrent de larmes qui a coulé et qui coule encore. Je zigzague à nouveau à travers les nombreuses tombes et sors ensuite de ce lieu.
Je marche une vingtaine de minutes avant d'arriver enfin devant notre immeuble. Je grave les marche et ouvre la porte qui me sépare de l'appartement.
J'y entre et ose jeter un coup d'œil dans le salon. Ma sœur s'y trouve, assise par terre devant la table basse où son ordinateur portable au célèbre logo à la pomme y est installé.
Elle relève la tête après m'avoir entendu.
- Attend deux secondes Adil.
Je prends quelques secondes à me rendre compte qu'elle est sûrement en appel vidéo avec un ami.
- Toi, elle me pointe du doigt, tu viens là, elle pointe maintenant le canapé en face d'elle, et tu attends que je finisse.
Je lève discrètement les yeux au ciel et pars m'assoir docilement. Je suis fin prête à recevoir une leçon de morale de sa part, encore une fois.
- Bon à nous, elle reporte son attention sur son écran.
Elle a mis ses écouteurs alors je ne peux entendre ce que ce Adil dit.
- Ecoute Adil, je te dis ça plus tard. Je vais essayer de la faire venir mais je ne te promets rien. Elle se tait, je suppose que son ami répond. Aller à plus tard mon chou.
Je lui lance un regard bizarre en entendant cette appellation alors qu'elle coupe l'appel, retire ses oreillettes et éteint son ordinateur. Elle est calme, bien trop calme. Le silence me fait généralement du bien, il m'apaise, mais ici, il me fait peur. Pourtant il est l'instrument de la solitude alors je devrais être dans mon élément.
- T'étais où ? Je me suis faite un sang d'encre, m'accuse-t-elle.
- Où veux-tu que je sois ? J'étais à l'hôpital, comme toujours.
Elle me regarde avec ses yeux plissés, tentant de lire en moi ou de déceler la moindre émotion mais rien, je ne laisse rien paraître, comme d'habitude depus ce jour-là.
- Il faut qu'on parle Ivana. Elle se relève et s'assoit finalement sur le fauteuil derrière.
- Hm, je l'incite à continuer.
- Tu dois te mettre à travailler, ou à reprendre tes études, mais tu dois faire quelque chose. Il est hors de question que je paie tout pendant que tu glandes à rien faire.
Je soupire sans rien dire. J'ai déjà tenté mais rien ne m'intéresse, je n'ai plus envie de rien. Même les langues pour lesquelles j'avais une passion débordante ne m'intéressent plus. Est-ce possible de perdre autant goût à la vie que moi ?
- Je t'ai d'ailleurs trouvé quelque chose.
Je la regarde une nouvelle fois en restante muette. Angela a maintenant l'habitude de mon manque de réaction ou de parole. Je préfère le silence. Il me rappelle la solitude et la mort.
- Tu vas aller épauler un professeur d'anglais dans un lycée de Corbeil-Essonnes. Le professeur est un vieil ami de notre tante Katerina, il a gentiment parlé de ta situation et du fait que tu as fait des études pour travailler en maison d'édition. Le directeur a accepté de t'accorder ce poste. Tu commences dès lundi prochain.
Je me lève et pars dans ma chambre. J'y reste enfermée toute la soirée, assise devant la fenêtre à contempler la vue sur la ville de Lumière qui me paraît pourtant si éteinte.
🧸
* vient de apathie : indifférence à l'émotion.
Bonsoir à toutes !
Petit chapitre aujourd'hui. Qu'en avez vous pensez ?
Nous avons décidé de retirer l'horaire habituel ( dimanche à 16heures ), on publiera quand on le voudra, bien entendu les dates de publication ne serons pas extrêmement espacées.
Nous vous informerons de tout ça sur le compte Instagram ( @nivanapnl ).
Bonne journée 💛
S&C
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