Chapitre III : Les déracinés (bis)
Il allait faire froid dehors.
Il faudrait pourtant bientôt s'arracher à ce corps, qui d'ailleurs ne ferait aucun mouvement pour le retenir. Se détacher de la poitrine chaude où sous la chaire des seins roulants le cœur propageait le sang battant.
La prostitution n'est que l'abaissement des choses qui n'ont pas de prix jusqu'à l'étalage.
C'est ainsi que la vente d'art est une forme de prostitution. Pareillement l'engagement militaire, et le marchandage d'amour. Et chacune de ces prostitutions tient son succès du fait qu'elle satisfasse un besoins primaire chez l'humain. Elle satisfait son orgueil, lui donne une place dans le monde, lui donne l'impression d'être aimé.
D'ailleurs, si les hommes n'avaient pas un besoin désespéré de jeter certaines idées, certaines faiblesses dans l'âme d'une femme (une femme qui est tout-à-fait bannie de la société, qui n'est pas l'égal et donc ne peut pas les juger) les prostituées perdraient la moitié de leurs clients.
La rumeur des voix garçonnes traversait la fenêtre fermée, paroles et rires entremêlés de râles sourdes, puis encore des rires, émis par un groupe de jeunes hommes encore adolescents réunis dans la flaque de lumière répandue par la devanture du dernier drugstore ouvert, en bas de l'immeuble.
Sous Isaac, Irma, les cuisses encore écartées regardait, sans paraître y porter beaucoup d'attention les graffitis sur le mur.
- C'est moi qui ai fait L'oeil. Ça protège, sa voix s'écorchait sur les parois de sa gorge en les traversant pour en sortir comme l'écho d'une rêverie enrayé, ce rêve semblait faire un voyage si long et périlleux, entre les canaux étroit de l'âme, du fond de l'estomac, jusqu'à la langue qu'il n'en sortait que déjà sec et usé.
Isaac ne trouva rien à dire qui ne fut pas cruel, et il s'empêcha de répondre.
Accroupi entre les cuisses d'Irma, il fixait son regard à l'œil colorié de craie bleu sur le mur d'un blanc grisâtre, entouré entre autres, de ces inscription, que les jeunes gens faisaient au temps du collège, "M +R" et autres initiales, illustrés de petits cœurs, de petites croix, de mots aussi étrangers à un bordel que celui de mariage et d'amour.
Deux coups légers furent portés au mur et retentirent dans la pièce.
- Mon service est terminé, soldat, dit Irma en s'élevant sur les coudes, à l'entente du signal.
Isaac en eu un sursaut, que la putain observa avec une indifférence apparente, alors que son cœur même avait frissonné en crachant ces mots.
Rapidement sur ses jambes il réenfilait à la hâte son trellis. Le corps nu contre lequel il s'était reposé lui faisait tout à coup horreur. Il se pressait; Vite, s'échapper, sortir, descendre dans la rue, avoir froid, marcher, marcher longtemps et loin. Penser à l'autre. La femme de l'autre nuit.
Ça l'avait toujours démoralisé quand Irma lui glissait cette formule à l'oreille, lui rappelant que le fait qu'il puisse voir son foutre couler d'entre ses cuisses tandis qu'elle se relevait, ça faisait partie de son travail, qu'il payait pour s'allonger contre elle une heure durant. Mais cette formule qui, les autres soirs, n'arrivait qu'à le lasser un peu plus, cette nuit elle lui fit horreur, elle lui parut monstrueuse.
Il ne lui en avait jamais voulu de l'utiliser dans le passé, c'était même juste, parce que lui, alors que son sperme coulait encore de son entrejambe il enfonçait trois billets dans son bas.
L'on se fait certaines cruautés à l'heure ou le malheur est partagé. À l'heure où égratigné l'autre, par une parole douce-amère, sert à racheter son âme propre. C'était leur complicité. Leur manière alternative et cruelle d'exister.
Irma, prostituée étrangère, abandonnée ici alors que, présentant la guerre, ses parents fuyaient le pays, était une des rares putains qui ne semblait avoir aucun remords à coucher avec Isaac. Même les prostituées ont du nationalisme.
Mais ce soir...ce soir il aurait aimé qu'elle le laissa croire que tout cela n'était pas qu'une transaction. Ce soir, il aurait espéré (et il savait qu'il n'avait aucun droit de vouloir voir cette espérance réalisée) qu'Irma joua la rôle de l'autre femme, qu'elle lui refasse vivre un instant pareil.
Irma, debout sur une jambe, s'occupait de passer une lingette entre ses cuisses, contre son sexe et sous ses aisselles.
De la rue leur parvenait le vacarme d'un rideau de fer qu'on baissait.
Habillé il avait l'air plus imposant, moins en détresse. Homme de large carrure à qui sa taille haute épargnait la lourdeur qu'ont généralement les hommes solidement battit, dans son trellis, bottes aux pieds, armé, il ne se représentait plus lui même, mais l'institution qui l'avait acheté, alors plus de faiblesse.
On entendit plus qu'une porte grinçante se fermer doucement, des pas pesant et mesuré dans l'escalier. Puis dans la rue. Puis le silence.
La prostituée n'est elle pas l'équivalente du soldat ?
Remplissant une fonction publique mais mis en marge de la société dont ils ne sont plus les membres; la prostituée et le soldat ont ça de commun, qu'ils ne savent plus se reconnaître dans le miroir. L'âme est rétractée au fond de la machine, et elle attend un éveil qui ne vient presque jamais.
Pour chaque soldat de terrain proprement formé un citoyen est exécuté.
Pour une prostituée de profession, en surcroît de la mort d'une citoyenne, c'est une femme qui est reniée, c'est des prétentions naturelles à l'amour et à la famille qui lui sont arrachées.
***
La nuit noir.
Même le dernier drugstore, de ceux-là qui semblent éternels, sauveurs des insomniaques, des amoureux, des fumeurs et des casse-la-croutes, avait fermé.
C'était la solitude.
Irma devait essayer de s'endormir.
Peut-être qu'elle y arrivait encore. Isaac aussi en avait été capable, au tout début, avant qu'à l'entente d'un moteur de passage, il ne se retrouva debout avant même de s'éveiller, au milieu de la pièce, la main prête à empoigner une arme imaginaire.
Avant que la guerre n'ai tuée pour lui à tout jamais le silence, car dans ses oreilles c'était un bourdonnement incessant qui habitait le monde.
Bientôt, Irma aussi ne dormirait plus. Elle était encore jeûne, il ne savait pas précisément l'âge, dix-huit ans, un peu moins ou un peu plus, mais enfin, dans une société décadente ces problèmes là, ça ne comptait plus, à 12 ans on a l'âge de tout les travaux. Mais viendrait le jour, et Isaac pouvait le prévoir, où le sommeil ne lui tombera dessus que quand l'épuisement la mènera au bord de la crise cardiaque, qu'elle pleurera de ne pouvoir dormir malgré le furieux désespoir qu'elle y mettra.
Elle en viendra à détester chaque seconde qui lui appartiendra, chaque seconde où la conscience de soi ne sera pas noyée par le travail, ne sera pas écrasée par le poids d'un homme sur son corps, ou la course effrénée pour garder en bonne santé un enfant sans père.
Pour Isaac, chaque seconde de vide ne laissait rien à contempler que soi-même, et en lui-même il y avait un être prêt à mourir de solitude, respirant lourdement, subsistant à peine, indépendamment des autres, indépendamment de toute institution.
Cet être traînait ses chaînes jusqu'aux fonds des yeux, il avait depuis longtemps quitté la voix, le geste, toutes les autres formes d'expression. Mais il était là, tout au fond des pupilles sombres, au fin fond de l'être, il respirait encore, tant bien que mal.
À la question «Qui suis je ?» Isaac ne savais pas quoi répondre. Personne sans doute, personne pour quiconque, personne pour qui ne faisait pas partie de la même machinerie que celle où il prenait place.
À la question «Que suis je ?» Il répondait avec autorité : Un soldat. Avec autorité parce que toute une institution validait ce statut.
Est ce qu'il était quelqu'un avant d'être un soldat ? Peut-être bien. Il avait peut-être eut des amis ? certains l'avaient quittés par convictions politiques, religieuses ou éthiques. Il avait quitté les autres.
Il lui revenait des images vagues d'une période où il avait eut une mère.
Il avait un frère, qu'il n'avait pas vu en quatre ans.
Le constat étant que l'homme seul n'est personne, il n'a aucune réalité.
Isaac ne pensait pas à écrire à ce frère qu'il considérait pourtant comme un amis, si ce n'est le seul ami. Il ne pensait à sa mère que si quelque chose en particulier la lui rappelait, et comme il avait oublié de regarder les choses, ça lui arrivait rarement.
Comprenez moi, Personne, que j'écrirais en gras, avec la majuscule réservée aux noms propres, était une entité, et Isaac lui parlait. Personne n'existait pas pour le monde, il n'avait plus de nom, il ne figurait dans aucune réalité sociale, le citoyen était mort, Personne c'était un ex-homme.
Il y avait un combat invisible. Un combat entre Personne et le soldat. Ils se parlaient durant ces fameux moments de solitudes. Le soldat lui demandait qui il était, Personne ne savait plus, parfois c'était Personne qui hurlait au fond du soldat, "qui est tu?" le soldat répondait "Je suis une armée" Personne se taisait.
Imaginez le ainsi : chaque cellule de votre corps, individuellement, c'est Personne.
Le corps militaire, c'est l'entièreté de votre corps. Est-ce que chaque cellule a sa propre réalité ?
Si c'est le cas, vous ne vous en souciez pas. Quand vous vous réveillez le matin vous pensez à bouger votre corps tel un ensemble, et pas chaque cellule individuellement.
Et vos cellules ne se rebellent pas. Si chacune avait l'envie de vivre sa propre réalité, si chacune voulais échapper à son anonymat en devenant quelqu'un le corps en tant que grande entité ne le supporterait pas.
C'est ainsi que pour faire un soldat, il faut tuer un citoyen. Il faut tuer un individu.
Contrairement à l'exemple de votre corps, ou je supposait que chaque cellule puisse avoir une individualité, sans pouvoir vous le prouver, ici je vous affirme que Personne fût un homme, et qu'il existe belle et bien. Il existe pour lui même, dans une solitude qui l'efface et le cloisonne, et c'est douloureux.
Les fantômes souffrent. Ils ne savent plus quoi faire pour tromper l'ennui.
Que font les fantôme pour oublier le temps ?
Il marchent. Non, ils errent. Le verbe errer. Les promenades sont pour les vivants, ou plutôt les vivaces, les autres, ceux qui traînent leurs âmes embourbées comme les bagnards traînent leurs chaînes, il ne font rien d'autre qu'errer.
Il y a dans le mouvement quelque chose d'apaisant pour les âmes troublées. Les penseurs frénétiques marchent, ils ont fait 148 millions de km carré autour d'un parc, et comme le monde est rond il finissent toujours par se confronter, avec désespoir à eux-mêmes.
Mais ça ne les empêchent pas de jeter le prochain pas au devant d'eux-mêmes.
Si vous aviez demandé : «Quel est ton vœux le plus cher, en cet instant, maintenant et tout de suite, sans réfléchir »
Isaac aurait répondu «le silence, par pitié le silence»
Peut-être qu'il ne viserait par là que le bourdonnement incessant dans sa tête. Mais on sait que le vrai silence, le seul l'unique silence ne se trouve que dans la mort.
«Que faire de cette vie gâchée ? Que faire de moi jusqu'à la mort ?» Ça, c'était Personne.
Il fumait, puis regardait la fumée. Il contemplait son état, sans se l'approprier entièrement. Il prit une profonde inspiration qui lui gela les poumons.
Cette femme. La femme du bar. D'où était elle tombée ?
Électron libre, qui faisait des bêtises, en parlait à un soldat ennemi dans un bar, couchait avec lui, disparaissait comme une brume se retire quand le soleil s'installe tout fait.
Il l'avait cherché sur les visages qui se détournaient de lui dans la rue. Il attendait des yeux verts qui s'accrochraient aux siens, à tout hasard, entre deux errance.
Il aurait pû la trouver, si seulement il avait un nom, même un prénom tiens ! il aurait épluché la liste des habitantes.
Peut-être qu'elle en avait un unique, un qu'elle seule porterait dans cette ville.
Mais non. Il ne savait pas son nom, pas son prénom, un peu son visage, surtout son sourire, mais il ne pouvais pas chercher le dossier d'une femme sur la base d'un rire usé ; en pluie de pierre et un sourire immense. Il n'était écrit nulle part qu'elle embrassait comme on vent son âme, ni qu'elle sentait le jasmin.
Pourtant c'est à ces choses là qu'on reconnaît les gens.
Il ne regardait pas la ville, superbe, et les cathédrales gothiques qui caressaient le ciel et les sculptures qui dardaient sur lui leurs regards de fin d'éternité. Et si il pleuvait sur ces lieux, c'était dieu qui pleurait devant tant de beauté. Mais Isaac dormait, parce qu'allongé, la nuit le dévorerait, , c'est en marchant qu'il dormait.
Ce ne fût pourtant pas un rêve quand ils se croisèrent.
Il entendit un pas claudiquant sur les pavés, il savait qu'une femme était sur le point d'apparaître à l'angle de la façade à sa droite. Un rire lui parvint, Un rire dans la ruelle, un rire usé qui égratignait le désert, un rire qu'il reconnut. Et puis elle était face à lui.
***
NDA
Une note de moi pour la peine !❤️ Je suis désolée si ce chapitre ne contient pas de dialogues aha, Isaac est une personne silencieuse mais surtout seule, donc il n'a pas masse de gens à qui parler.
C'est vraiment un des chapitres où je suis le plus fier de l'écriture et Isaac est mon personnage préféré, je suis donc dévouée à son développement ! Bref j'espère que vous avez aimé !
Je vous en supplie laissez des avis sur Celui-ci, c'est important pour moi ❤️
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