
Chapitre Quatorze
Bonne lecture :D
— Je descends dans une minute.
C'est ce que j'ai dit à Lady Mackenzie alors que mes dernières valises étaient déposées dans un coin de la chambre. C'était il y a un peu plus de cinq minutes. Je sais que je devrais descendre avant que quelqu'un ne vienne toquer à la porte de ma chambre pour s'assurer que je ne fasse pas une crise d'angoisse. Une partie de moi en a envie d'ailleurs. L'autre, à peine me suis-je assise sur le rebord du lit pour reprendre mon souffle, s'est sentie instantanément vidée de toute force. Je n'ai qu'une petite fenêtre d'ouverture pour me remettre debout, au risque de m'assoupir dans les prochaines minutes.
Il y a tant de questions qui restent en suspens, et autant de tentations d'attraper mon téléphone et de trouver réponse à certaines d'entre elles. Mais je ne suis pas sûre d'aimer ce que je pourrais trouver à l'autre bout du fil. Je dois les laisser dans un coin, plutôt que de me remettre à pleurer et inquiéter mes hôtes. Ces questions devront attendre demain, après mon engagement. Je pourrais prétendre à une fatigue, une migraine et tout autre symptôme qui me permettra de rester seule dans ma chambre pendant quelques heures. Mais là, je me suis engagée à aller prendre le thé dans le jardin et Lady Mackenzie a raison : il vaut mieux profiter des dernières journées ensoleillées avant que le froid ne fasse à nouveau son apparition. J'ai toujours été assez frileuse.
Je prends donc mon courage à deux mains et quitte le matelas qui me paraît confortable. Point positif à noter : si j'arrive à garder mon calme, je pourrai y passer une bonne nuit. Il y a peu de chance que cela arrive, entre les angoisses habituelles et le stress de ma prochaine journée, mais il n'y a pas de mal à espérer.
Ma chambre n'est pas très loin de l'escalier, ce qui me permet de ne pas être trop perdue dans cette immense demeure et de trouver le chemin vers le rez-de-chaussée. Une fois arrivée, je me dirige naturellement vers l'arrière de la maison. Sur le chemin, je croise un valet à qui je demande un peu d'aide. Il finit par me conduire jusqu'à ma destination, laissant en suspens ce qu'il était en train de faire.
Lady Mackenzie et sa famille sont bien là, assis autour d'une table ronde en fer blanc. Me remarquant, ils se lèvent tous avant de reprendre leur place une fois que je suis installée à la mienne.
— Qu'est-ce qu'il vous ferait plaisir, Votre Altesse ? Bernard, notre chef cuisiner, peut vous préparer tout ce que vous souhaitez.
— C'est très gentil, Lady Mackenzie, mais je crois que les mets déjà présents sur la table seront suffisants pour me rassasier après le voyage. Ces macarons ont d'ailleurs l'air drôlement délicieux.
Avant d'avoir pu me pencher pour en attraper un, Lord Mackenzie se saisit du présentoir et l'approche un peu plus de moi.
— Ils le sont, me confirme-t-il. Peut-être un peu trop pour mon régime, ajoute-t-il en se tapotant le ventre d'un air gourmand. Mais il m'est difficile d'y résister, je dois bien l'avouer. C'est notre sous-cheffe qui les concocte, elle est française.
J'acquiesce d'un sourire face à ces explications avant de m'en saisir d'un à la couleur verte, il doit sûrement être à la pomme ou à la pistache. À vrai dire, je fais à peine attention à sa saveur lorsque j'en prends une première bouchée. Étonnamment, l'information sur la nationalité de sa sous-cheffe a presque comme un goût amer dans la bouche. Une simple mention d'un pays dans lequel j'ai vécu plus de seize ans a le don de me submerger de souvenirs qui ont pris une connotation douloureuse désormais.
— Alors, qu'en dites-vous, mademoiselle ? m'interroge l'hôtesse.
— C'est effectivement délicieux, menté-je.
Ça l'est probablement, mais je n'ai pas pu apprécier cette première bouchée. Je mets la deuxième partie du macaron déjà entamée dans ma bouche, bien déterminée à passer un agréable moment. Et si ce n'est par pensée, au moins gustativement parlant. Je mâche quelques secondes avant d'approuver d'un signe de tête.
— Oui, c'est vraiment délicieux, répété-je d'une voix plus convaincante.
Lady et Lord Mackenzie se jettent un regard complice. Comme soulagée et ravie de voir que cette première étape s'est bien passée.
— Je ferai en sorte qu'il y en ait chaque heure du thé, m'informe-t-elle. Avez-vous un goût préféré ?
— Oh ne donnez pas plus de travail à vos cuisiniers pour moi. Je suis sûre que tous ceux qui sont présentés là suffiront à ravir mon palais. Je vais d'ailleurs en goûter un de chaque. Heureusement pour moi, je ne suis pas au régime Lord Mackenzie, m'adressé-je à lui d'humeur plaisantin.
Ce dernier rit de bon cœur, entraînant sa famille dans son rire communicatif. La voix de leurs enfants ne s'étant pas encore fait connaître depuis mon arrivée, je décide de tourner mon attention vers eux et de leur poser la première question qui me vient en tête.
— Vous êtes-vous amusés lors du bal ?
— Bien sûr, Votre Altesse, s'exclame Jacques. C'était un très beau bal et vous étiez très belle.
Je le remercie de ses compliments avant de poser mon regard sur sa sœur, Évelyne. Je m'apprête à reprendre la parole, remarquant qu'elle ne semble pas très intéressée par ma question. Au moment où j'ouvre la bouche, je finis par entendre sa voix.
— J'ai deux pieds gauches, annonce-t-elle d'une voix nonchalante.
— Evy ! s'exclame sa mère avec de gros yeux.
L'échange de regards entre les deux femmes de la famille dure plusieurs longues secondes. La plus jeune, sûrement angoissée à l'idée d'avoir affaire une remontrance au cours de la soirée, ouvre la bouche. Mais cette fois-ci, je la devance.
— Moi aussi, j'ai deux pieds gauches, partagé-je avec simplicité.
— Oh, voyons mademoiselle, je suis sûre que vous exagérez, m'adresse la mère. Vous sembliez si à l'aise et gracieuse en dansant.
— C'est la robe qui faisait tout. Heureusement, elle cachait mes pieds et j'avais des partenaires gentlemen. Dans un autre contexte, vous auriez appris que j'ai probablement broyé les orteils de trois ou quatre d'entre eux.
Lord Mackenzie laisse un rire s'échapper d'entre ses lèvres.
— Savez-vous à qui vous me faites penser, mademoiselle ? me questionne-t-il avec un amusement non dissimulé.
— Non, mais j'ai hâte de connaître la réponse.
— À votre grand-mère, la Reine Mère. Elle aussi n'avait pas sa langue dans sa poche et faisait rire toute l'assemblée. Fait toujours rire l'assemblée, se corrige-t-il. Voilà un moment que je n'ai pas passé un peu de temps en sa compagnie, mais je suis certaine qu'elle n'a rien perdu de son caractère.
— Oh ça, je pense que c'est impossible. Je pense que si maman ne l'avait pas dissuadé, elle aurait sûrement pris part à ma tournée.
— Assurément, vous avez raison, dit-il alors que la petite tablée se regarder en rigolant. À vrai dire, je m'attends même à la voir débarquer d'un l'instant à l'autre, ajoute-t-il d'une voix basse et en se penchant vers moi.
— Oh non, ne dites pas ça. J'adore grand-mère, mais elle est un peu... comment dire ça poliment ?
— Ne dites rien, j'ai très bien saisi.
C'est à mon tour d'échanger un sourire complice avec Lord Mackenzie. C'est ma première expérience loin du palais, du lycée ou de la capitale. J'étais angoissée à l'idée d'arriver chez de parfaits inconnus et d'y rester quelques jours. Mais tout ça s'est dissipé en l'espace de quelques minutes par la gentillesse de Lady Mackenzie et la camaraderie de son mari. En mettant le protocole de côté et tous ces titres et phrases ronflantes, les Mackenzie sont les gens les plus simples que j'ai pu rencontrer. Je ne ressens pas d'obligations ou de faux-semblants, juste une joie qui a fini par m'envahir. N'est-ce pas à ça que devraient ressembler toutes les rencontres ? Le bonheur de se découvrir l'un l'autre ? Les rires et les échanges sans arrières pensés ?
Ici, je ne ressens ni peur d'un drame ni jugement. Est-ce que tous les nobles ressemblent à cette famille ? Je dois avouer que je dois en douter. Mais je ne douterai plus des choix de grand-mère en matière d'hébergement et je la soupçonne même d'avoir planifié cette première visite de sorte que je fasse plus amples connaissances avec cette famille éloignée. C'est une bouffée d'air frais dont j'avais besoin. Je n'en pouvais plus des murs du palais. Ici, il n'y en a aucun entourant le jardin. Du moins, ils ne sont pas visibles de là où je suis.
Vers dix-sept heures, je prends congé de mes hôtes pour rejoindre ma chambre. Je dois me préparer pour le dîner, ce qui vaut à un changement vestimentaire, mais aussi à une petite heure avant que ces deux activités ne s'enchaînent. Je me laisse tomber sur le lit en le regrettant presque instantanément : désormais, il me faut résister à l'appel de la sieste. Loin de moi l'envie de devoir refaire une trop longue retouche maquillage ou coiffure.
Je quitte le lit moins d'une minute après m'y être affalée. J'ai tellement de choses qu'en tête que je n'aurais sûrement pas réussi à m'assoupir finalement. C'est d'ailleurs ce problème que je souhaite régler alors que j'ouvre la plus petite des valises, là où se trouvent mes effets les plus personnels. Je mets assez vite la main sur ce que je cherche : un petit calepin noir où mon prénom est gravé simplement sur le devant. C'est maman qui me l'a offert hier soir. Elle m'a dit que grand-mère avait eu la même attention pour elle la veille de sa première tournée royale en solo. Cela l'avait permis de mettre sur papier son questionnement intérieur, ses doutes, mais aussi les petites joies qu'elle avait éprouvées tout au long de ces mois où elle parcourut, entre autres choses, les routes de Waldor. La presse avait pris des photos d'elle, mais c'était surtout ses émotions dont elle voulait se souvenir. Ainsi que des anecdotes. Je sais par quoi commencer. Par Lord Mackenzie et son rire. C'est par un souvenir positif que je veux commencer mon récit. Je veux oublier le passage dans les toilettes du train, je veux oublier cette lettre qui patiente telle une boîte de Pandore dans mon sac.
Un rire. C'est par un rire que toute chose devrait commencer. Et pourquoi pas, finir également.
Je m'installe au bureau propre comme un sou neuf. À croire qu'il est utilisé tous les jours, mais c'est peu probable. La chambre a dû être nettoyée et époussetée de fonds en comble ces derniers jours, tout comme la maison. J'espère que les femmes et hommes de chambre de la maison auront droit à quelques jours de repos bien mérité après mon départ.
Je mets de côté la propreté des lieux pour me concentrer sur le dégorgement de mes pensées. Les écrire sur papier pourrait peut-être me permettre d'être un peu plus légère, et j'en ai bien besoin. Tout est encore frais dans mon esprit et j'aimerais pouvoir me rappeler de ces deux dernières heures en leur compagnie.
Du temps s'écoule. Il m'est impossible d'en nommer la qualité tant je me suis perdue dans ma tâche. La seule chose que je sais, en revanche, c'est qu'il aurait mieux valu un clavier qu'un stylo : mes pensées sont trop rapides par rapport à mes doigts et j'ai peine couvert la moitié de l'heure du thé quand on toque à ma porte...
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